L’Appel de la forêt (The Call of the Wild), aventure américain de Chris Sanders, 2020. Adapté du roman éponyme de l’écrivain américain Jack London, 1903. Avec Harrison Ford, Dan Stevens, Karen Gillan, Omar Sy, Cara Gee.
Thèmes
Liberté, violence, sauvage, Darwin.
Si le public (surtout plus âgé) consent à surmonter certains obstacles, il goûtera un spectacle familial avec émotion, admiration, voire réflexion.
L’on connaît le cahier des doléances : le spectateur attend de splendides prises de vues réelles du Grand Nord canadien et on lui sert des images de synthèse qui mêlent animation 3D et capture de mouvement, voire des incrustations un peu trop voyantes ; il espère des animaux minutieusement dressés, et on lui adresse des bêtes d’autant plus aisément anthropomorphes que c’est l’homme lui-même qui, infographie aidant, les a dessinées pixel par pixel ; le film qui débute comme une comédie échevelée autour du personnage forcément sympathique de Perrault, se poursuit, dans une solution de continuité d’autant plus frustrante qu’elle est inexpliquée, comme un drame autour du personnage forcément attachant de John Thornton (merveilleux aventurier de l’âge perdu !) ; plus gênant encore, le film tord l’idée de Jack London – qui, à la suite de Thoreau ou d’Emerson (l’inclusion de Wild dans le titre inciterait à penser qu’il les a lus), défend la thèse d’un retour à l’état sauvage, en l’occurrence lupin, qui serait la nature secrète du chien – pour y injecter deux éléments totalement étrangers au roman. Le premier provient de l’idéologie des Lumières – le chien advient à lui-même en devenant son maître – et le second de la récente philosophie animalière – le chien-loup, dans son métissage, est supérieur à la fois à l’homme qui n’est que culture et au loup qui n’est que nature.
Mais ne boudons pas trop notre plaisir. Car le film apporte deux améliorations au livre lui-même.
La première, relative, est l’euphémisation considérable de la violence narrée par London, tant entre l’homme et l’animal (le dressage ou les corrections jusqu’à la mort de celui-ci), qu’entre les hommes (chercheurs d’or ou Indiens) et entre les animaux (Buck et Spitz) – sans rien dire de l’environnement dont l’âpre beauté n’estompe guère la farouche inhospitalité. En s’adoucissant, le spectacle devient à la fois plus familier et plus familial.
La seconde, inconditionnelle, est la cause de la première. London émargeait très intentionnellement à la vision darwinienne de la nature, ici devenue idéologique. En effet, il lui consacre un long épilogue (pas moins d’un cinquième du roman) intitulé : « The Other Animals » et traduit en 1903 par Mme de Galard : « Le chien, ce frère dit ‘inférieur’ ». Il y défend, à côté de la trop grande et naïve continuité homme-animal (hélas bien présente dans le film), le concept-clé de sa philosophie de l’évolution : l’adaptation, donc la survie du plus apte, donc la violence. En élimant de nombreuses scènes sauvages, voire en éliminant de nombreux morts, le scénario, une nouvelle fois, contredit cette interprétation unilatéralement pessimiste. Mais il fait plus : il célèbre une suavité bienfaisante.
C’est d’une part ce qu’atteste la guérison de Thornton : en voyant Buck advenir à sa nature authentique, le vieil homme prend conscience qu’il n’a fait que fuir la sienne et décide alors de s’arracher à la solitude pour revenir habiter chez les siens. Or, la violence est beaucoup plus large et beaucoup plus profonde que la seule brutalité physique : en son essence la plus intime, elle est ce qui contrarie notre nature, ainsi que l’avait bien saisi Aristote.
C’est d’autre part ce dont témoigne ce qui est, pour moi, la scène la plus exaltante et la plus dynamisante du film : le lendemain de la soirée où il vit la double catharsis de renoncer à boire et de conter son histoire, John sort une carte de la région, y trace des lignes et les prolonge au-delà, se projetant symboliquement dans l’inconnu ; puis il décide de partir, avec Buck qui joue de plus en plus l’objet transitionnel, dans cette aventure si peu balisée mais tellement désirée. En devenant une carte au trésor, la simple carte topographique s’approfondit, c’est-à-dire se double d’une véritable profondeur, celle, infiniment plus riche que toute pépite, de la liberté intime. En accomplissant le rêve de ce fils tant pleuré, il achèvera (accomplira) en lui ce qu’il n’a pu voir achevé hors de lui, et il achèvera (finira) ce deuil trop longtemps subi.
Le titre original de l’ouvrage, comme du film est The Call of the Wild. L’adjectif substantivé renvoie à beaucoup plus qu’à la forêt : au temps de l’origine qui est l’archi-temporalité de la donation originaire [1]. Or, tout don illumine de sa gratuité imméritée. Et le verbe grec kaléin, « appeler » (qui a d’ailleurs donné le substantif ekklésia, « église », c’est-à-dire ceux qui sont appelés), est construit sur la racine kalos, « beau ». Ainsi, répondre à l’appel de l’Ensauvagé, c’est être enfanté dans la beauté – ce qui, pour Platon, est l’œuvre propre de l’amour.
Pascal Ide
[1] « Ce n’est pas l’appel qui est sauvage, mais plutôt la part silencieuse tapie en Buck, dans ‘les profondeurs de sa nature et celles plus enfouies encore qui remontaient aux origines du Temps’ » (Jack London, Romans, récits et nouvelles, tome I, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » n° 615, 2016, p. 1306).
Dans les années 1890, Buck, un très robuste chien dressé par le juge Miller (Bradley Whitford) et sa riche famille de Santa Clara en Californie, est enlevé en pleine nuit, puis vendu à un chercheur d’or. L’animal est alors envoyé dans une petite ville de la vallée du Klondike dans la province canadienne du Yukon, en Alaska, où la ruée vers l’or bat son plein. Sur place, il est choisi par Perrault (Omar Sy), un homme chargé de transporter le courrier. Voyageant à travers les montagnes et les lacs gelés avec son amie indienne Françoise (Cara Gee), le postier découvre les qualités exceptionnelles de Buck. En effet, dans une vie terrible faite de rude labeur, de rivalités cruelles entre chiens et de nuits passées à dormir dans la neige, Buck finit par s’imposer aux autres chiens et remplacer le chef de meute, le chien-loup Spitz.
L’attelage arrive finalement à Skaguay, en Alaska, mais une mauvaise nouvelle attend Françoise et Perrault, qui sont obligés de vendre le traîneau et les chiens. Ceux-ci sont récupérés par Hal (Dan Stevens), un jeune chercheur d’or arriviste, accompagné de son épouse, Mercedes (Karen Gillan). Alors que lui et ses compagnons sont victimes d’un accident dans la neige, Hal insiste pour continuer au point de maltraiter ses bêtes. Buck tente de l’en empêcher et reçoit une sauvage correction. C’est alors que John Thornton (Harrison Ford), un vieux prospecteur, endeuillé par la mort de son fils et la séparation d’avec son épouse, et déjà croisé, intervient et défend le chien contre son tortionnaire. Celui-ci n’aura de cesse de récupérer le chien et de se venger de Buck.
Thornton finit par recueillir Buck et l’emmène dans la cabane où il vit en reclus. C’est alors que lui vient l’idée de réaliser le rêve de son enfant défunt : voyager par delà les montagnes pour trouver de nouvelles terres sauvages. Le vieil homme et le chien voyagent en canoë, pour descendre le fleuve. Un jour, Thornton et Buck découvrent une cabane abandonnée et s’y installent. Alors qu’il se baigne, Thornton découvre une pépite d’or parmi des cailloux au fond de l’eau et, de ce fait, se met à en rechercher. Buck, quant à lui, fait connaissance avec une horde de loups vivant de l’autre côté de la rivière. Sympathisant avec eux, le chien semble avoir trouvé sa place dans la nature. Mais peut-il quitter le maître auquel il est tant attaché ?