La voix du pardon (I Can Only Imagine), biopic américain de Andrew et Jon Erwin, 2019. Avec Dennis Quaid, Madeline Caroll, J. Michael Finley.
Thèmes
Pardon, musique, violence.
Film émouvant, La voix du pardon conte, selon un jeu de mots sans doute intentionnel, la voie du pardon.
Du trauma initial, il nous est parlé plus qu’il ne nous est montré. Et, à une époque où l’exhibitionnisme de l’acteur suscite le voyeurisme du spectateur et vice versa, comment le regretter ? Bart a subi la violence au quotidien d’un père alcoolique, frustré de ses rêves et frustrant tous ses rêves – au point qu’il en arrive à traiter à plusieurs reprises ce père de « monstre ». Il a aussi pâti du départ irresponsable d’une mère qui l’a abandonné au pouvoir de destruction physique et, plus encore, de néantisation psychologique, de son mari. Voilà pourquoi Bart aura beau quitter le domicile familial et, contre l’avis de son père, tenter de vivre son rêve, la musique et le chant, il a trop intériorisé sa dévalorisation systématique et ses interdits dévastateurs pour porter le fruit qu’il peut, veut et doit porter. Son avenir est donc à l’image de son passé non métabolisé : une répétition d’échecs. Et son psychisme est à l’image de cette temporalité brisée : fractionné entre la personne et le personnage, entre les pauvres chansonnettes qu’il pousse pour survivre et la musique qui seule le ferait vivre, matériellement et, plus encore, spirituellement.
Mais si le moi est enfoui sous l’ego blessé, il n’est pas enfui. La source est ensablée, point épuisée. Elliptique, la scène du retournement de Bart est peut-être trop brève. En tout cas, elle interroge. En effet, à la suite d’un échange décisif avec son coach et imprésario, Scott Brickell (Trace Adkins), qui lui affirme croire en lui et pas en ses chansons, attendant qu’il transforme en portée ce qu’il porte en lui, Bart décide de retrouver Arthur (« Tu dois l’affronter »). Contre toute attente, son père a profondément changé : non seulement il reconnaît ses torts et demande pardon, mais il s’est converti. Mais, Bart n’est revenu que pour éructer la violence subie ; or, loin de rencontrer un bourreau qui, en déniant le passé, aurait justifié son statut de victime, voire de victimaire replié sur sa rancœur, il retrouve un homme doux et respectueux, plus, un humble sauveur. En lui volant l’occasion d’enfin se venger, le fils croit que son père lui vole la paix que son cœur trop endolori croyait pouvoir trouver dans une confrontation vindicative.
Mais, prenant-volant la voiture de ce père haï, Bart, encore plus enragé qu’à l’aller, tombe sur le diagnostic médical : cancer du pancréas, stade terminal. En toute logique, cet arrêt de mort aurait dû le faire exulter : enfin le monstre qui a semé la mort en lui va être emporté par celle-ci ! Or, tout au contraire, ses entrailles se retournent et il revient vers celui dont il ne soupçonnait pas combien il lui était attaché. L’annonce de son absence définitive lui fait soudain éprouver combien il tient à sa présence. Et donc, combien il n’a cessé de l’aimer.
Voilà ce que le film montre. L’on objectera que l’on ne pardonne pas comme l’on tombe amoureux, d’autant que, sauf miracle, le pardon est un acte et la passion (le sentiment)… une passion (subie). Alors, faut-il incriminer une incohérence du scénario ou une inconsistance de l’histoire ? Nullement, puisqu’il s’agit d’un biopic.
En fait, il en est du pardon comme de la chanson qui en sera le fruit. C’est ce qu’explique ce qui, selon moi, est le plus bel échange du film : « L’air et les paroles se sont révélées à moi en dix minutes », explique Bart à Amy Grant (Nicole DuPort) qui lui répond avec grande profondeur : « Bart, cela t’a pris toute ta vie », sous-entendu pour la composer. De même, si la réconciliation avec le père jaillit presque instantanément dans le cœur du fils, elle est l’achèvement et le fruit de son long chemin vers le pardon. C’est après un long et secret parcours que, soudain, éclôt le soleil auroral de la paix tant attendue.
Ce pardon qui s’est levé en lui sans lui, émerge de toute la préparation intérieure de Bart. Il a aussi bénéficié de multiples médiations.
Cette réconciliation s’est d’abord comme faufilée dans le cœur de Bart par la grâce de deux tuteurs de résilience que la Sagesse divine a placés sur son chemin : la responsable de la chorale de l’école et Scott. La première, parce qu’elle discerne le diamant dans le charbon, avec une constance qui se joue de toutes les résistances, et une compassion qui se gausse de toutes les protections. Le second, parce qu’il ose prononcer la parole qui touche et dissout les illusions ; et affirmer la vérité qui sauve puisqu’elle espère : « Je t’ai déjà vu être toi-même. Fais de ta douleur la source de ton inspiration ».
La réconciliation s’introduit aussi par ces dons symboliques et esthétiques. Le dessein divin (qui n’a rien d’un destin) passera par le dessin où, même si le père est représenté comme un monstre, son fils vient se blottir entre ses pattes. Surtout la Providence transitera par cette merveille imméritée qu’est la musique, entendue ou exécutée, mieux, composée et chantée. De même que toute mélodie jaillit mystérieusement de la musique encore plus originelle des pulsions intuitives (ainsi que Jacques Maritain décrit l’intuition créatrice [1]), de même, la musique reçue au plus intime du cœur blessé, le façonne, le vivifie et peut aller jusqu’à le guérir. La musique harmonieuse d’un cœur réconcilié ne peut que rentrer en résonance avec le cœur endurci, qui n’a pas totalement cédé à la violence de la vengeance et aspire encore à retrouver cette harmonie intérieure qu’est la réconciliation pacifiante. Dans la poignante scène finale, pendant que Bart exécute pour la première fois en concert la chanson qui signe l’aurore intérieure et extérieure de sa vie nouvelle, tous les spectateurs s’évanouissent pour laisser place à son seul père décédé, lui apparaissant en habit de lumière, transfiguré par la réconciliation devenue communion.
Ne négligeons pas, enfin, la troisième espèce de médiations : la plus puissante et pourtant la plus discrète, celle exercée par le Dieu de miséricorde. Comment, d’une part, Bart ne serait-il pas bouleversé de reconnaissance de voir la puissance de Dieu accomplir l’impossible inespéré : retourner du tout au tout le cœur de son père ? D’ailleurs, il en témoignera au terme : si Dieu a ainsi pu changer son père, comment lui-même ne changerait-il pas ? Comment, d’autre part, pourrait-il demeurer dans la très inconfortable schizoïdie de professer la foi au Christ, concert après concert, et ne pas vivre de ce qu’il confesse ? La tristesse (saint Ignace de Loyola parlerait de désolation spirituelle) qui s’abat sur lui lors de son départ heureusement avorté loin de la maison paternelle, lui signe qu’au bout de la haine de la rupture, il ne trouvera que le ressentiment de la fermeture.
Certes, le film n’est pas formellement sans imperfection : hors Denis Quaid, époustouflant, les acteurs ne sont guère convaincants, le montage est heurté et maladroit. Toutefois, et c’est de loin le plus important, il dessine le chemin de la perfection qu’est le par-don (étymologiquement : « don parfait »). « Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48), dit Jésus ; or, le « don parfait » du « Père des lumières » (Jc 1,17) est la miséricorde toujours offerte à celui qui se retourne vers Lui (cf. Lc 15,17).
Pascal Ide
[1] L’intuition créatrice dans l’art et la poésie, Paris, DDB, 1966.
Au Texas, Bart Millard, 10 ans (Brody Rose), abandonné par sa mère, doit subir la violence d’Arthur (Dennis Quaid), son père alcoolique. Des années plus tard au lycée, sa passion pour la musique donne à Bart (J. Michael Finley) l’occasion de s’évader loin de son père, avec son groupe chrétien. Mais pour s’accomplir en tant qu’artiste, il va devoir affronter son passé. En trouvant la voie pour pardonner à son père, il trouvera la voix qui lui fera créer et interpréter un double disque de platine : I Can Only Imagine, et bientôt pas moins de 21 singles.