La vie rêvée de Miss Fran
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Pays:
Américain
Thème (s):
Abandon, Don, Pardon, Rédemption, Solitude
Date de sortie:
10 janvier 2024
Durée:
1 heures 31 minutes
Évaluation:
****
Directeur:
Rachel Lambert
Acteurs:
Daisy Ridley, Dave Merheje, Parvesh Cheena, Marcia DeBonis
Age minimum:
Adolescents et adultes

Sometimes I Think About Dying (La vie rêvée de Miss Fran), drame romantique de Rachel Lambert, 2023. Adapté du court métrage éponyme de Stefanie Abel Horowitz, 2019, lui-même inspiré de la pièce de théâtre de Kevin Armento, Killers, 2013. Avec Daisy Ridley, Dave Merheje, Parvesh Cheena et Marcia DeBonis.

Thèmes

Solitude, don, abandon, pardon, rédemption.

Ce film sobre n’est minimaliste que du point de vue psycho-sociologique, non du point de vue éthique et donc scénaristique.

 

  1. Si, nous allons le redire, le long-métrage se refuse à toute exploration du psychisme de sa protagoniste principale, en revanche, il pose d’emblée un cadre au moins caractérologique. En effet, dès les premières images, Fran nous est présentée comme une femme à la vie très réglée (se couchant et se levant à heure fixe), très contrôlée (elle parcourt le même chemin, mange debout), très sécurisée (elle trouve sa joie dans son travail professionnel et, dans celui-ci, à remplir des tableaux Excel), sinon perfectionniste (elle fait son lit au cordeau tous les matins), donc très immobile. Jusque dans ses loisirs. Sa seul détente semble se réduire aux sudokus dont elle est tellement addicte que même les très rares coups de téléphone qu’elle reçoit ne peuvent l’en distraire.

Cette délimitation très étroite de soi conduit à une grande limitation dans la relation à autrui : ni bonjour, ni merci, ni s’il te plaît, ni « oui » festif (elle prend sa part de gâteau qu’elle va manger à part).

  1. Il est légitime que le spectateur s’étonne, voire s’inquiète d’une vie aussi introvertie. Même sans avoir accès, via ses rêves, à son imaginaire mortifère. Nous sommes spontanément portés à chercher la cause, au point que cette quête, lorsqu’elle est excessive, nous conduit à confondre cause et coïncidence (biais de corrélation illusoire [1]) et à nier le hasard. Or, assurément, la réalisatrice frustre notre désir d’en savoir davantage sur l’origine de cette timidité maladive. Elle nous fait ainsi savoir que Fran n’a pas de mauvais souvenir de cette enfance solitaire. Ou du moins celle-ci le prétend-elle. Peut-être Rachel Lambert se tait-elle par respect pour l’intégrité de ses personnages : elle nous rappelle ainsi que nous ne pouvons savoir de l’autre plus que ce qu’il veut nous livrer. Peut-être opte-t-elle pour cette approche empirique typique de la littérature anglo-saxonne qui est portée à cette écriture factuelle, descriptive, qui s’oppose à l’accès à la conscience intime, si typique du romantisme du dix-neuvième siècle [2]. Peut-être a-t-elle voulu nous peindre un personnage qui n’est pas sans rappeler « Pomme », l’anti-héroïne de La Dentellière [3]. Peut-être enfin ébauche-t-elle comme une déontologie dont les collègues de Fran offre une illustration exemplaire. En effet, comment ne pas s’étonner et s’émerveiller de ce que ce micromonde qu’est le bureau soit exempt de ces péchés si fréquents dans les huis-clos et si caractéristiques de ces espaces quasi-privatifs, que sont la rumeur, la jalousie et les jugements téméraires ? Loin de s’étonner de l’attitude de l’autre en général et de l’auto-exclusion de Fran en particulier, le tropisme premier de ces collègues semble être de s’accueillir, de s’aider et de se fêter.
  2. Toutefois, la question sur la cause demeure légitime, ne serait-ce que pour, en creux, nommer l’a-normalité du vécu intérieur et extérieur de Fran (pourquoi une aussi jolie femme n’a-t-elle jamais été courtisée ou du moins amoureuse ?) et, en plein, reconnaître le sens de la vie qui est de se donner à l’autre sans retour. Comment ne pas s’interroger sur la place maximale laissée à la peur (d’où la défense maximale qui lui fait traiter d’indiscrètes des questions dictées par le seul intérêt) et la place si minimale offert à l’amour (elle n’est jamais tombée amoureuse et personne ne semble tenté de la séduire) ?

D’ailleurs, si le psychisme de Fran n’était en rien disgracié, pourquoi serait-elle habitée par ces fantasmes de mort (le titre original n’est-il pas : Sometimes I Think About Dying ?), ces natures mortes (que l’expression est parlante !) et ces bestioles si symboliques (serpents, cafards, etc.). Comment ne pas songer à différentes hypothèses psychiatriques face à ses hallucinations et ses comportements d’auto-exclusion – quitte à les exclure ?

 

  1. Face à cette modicité explicative, le spectateur pourrait penser qu’il a droit à un copycat de Perfect days, une version occidentale de cet autre (merveilleux) anti-récit, de la simple description morne et monotone d’un présentisme bouddhiste (d’une temporalité méthodiquement réduite au seul instant). Ou bien, il pourrait être tenté de réduire le déplacement apparemment minime opéré chez Fran au seul dérangement occasionné par l’irruption d’un nouveau-venu qui ne fait que se substituer à une ancienne collègue apparemment aimée, et donc à la seule extériorité accidentelle, c’est-à-dire fortuite, d’une rencontre.

Mais ce serait s’aveugler sur les changement intérieurs qui s’attestent, et à la logique même de la rencontre. Si la multiplication des longs plans fixes témoignent de cette vie figée, la multiplication des gros plans sur des objets révèle tout au contraire l’importance prise par les détails anodins. De même, le scénario nous donne à voir avec sobriété, j’oserais dire avec chasteté, un véritable bouleversement de la personne de Fran. De fait, celle-ci va vivre un triple acte décisif.

  1. Un don. Certes, au début, c’est Robert qui prend l’initiative de dire qu’il aime le fromage blanc, l’invite au cinéma, puis au restaurant. Mais, peu à peu, la jeune femme se donne elle-même le droit de répondre. D’ailleurs, même lors de la première sortie, elle met ce qui, pour elle, est une belle robe. Et, à l’instar de tout don, ce don est une promesse de communion, ainsi qu’en témoignent de multiples images symétriques, par exemple de pont joignant les deux berges.
  2. Or, ce faisant, Fran court un risque. Pour le dire avec une expression qui est malheureusement trop galvaudée, elle sort de sa zone de confort. Bref, à ce don se joint un abandon. Le meilleur signe en est ce baiser volé qui lui échappe. Quelle plus belle attestation de ce que cette femme tout en contrôle se voit soudain débordée par le sentiment démesuré par excellence, le désir ?
  3. Mais cet abandon ne suffit pas. Ces hypercontrôles répétés ne vont pas sans raideurs et ces raideurs ne vont pas sans aspérités. Fran ne pouvait donc pas ne pas blesser un moment ou l’autre celui qu’elle voulait pourtant le moins au monde navrer. Or, il n’y a que deux issues au mal commis : la fuite qui est une peur et, doublée d’une auto-justification ou, pire, d’une accusation, devient un orgueil ; l’humble pardon. Et, ô miracle, nouvelle merveille totalement inattendue, Fran pose cet acte si justement appelé par-don, car il cumule toute la perfection du don : le courage de l’initiative (elle prend Robert à part) dans un lieu qui signale l’altérité ; l’humilité (si elle explique, elle ne cherche pas à s’excuser) ; la vérité de la parole (les larmes de contrition qui font écho aux sanglots de la tristesse qui l’avait abattue) ; la promesse de fécondité (le dernier plan en zoom arrière s’élargit sur la vie émanant des plantes vertes) et de communion (à la biche toute en hésitation des premiers plans fait écho le couple de chevreuils, au terme du film).

 

Selon une belle trouvaille, le titre français – qui bien sûr évoque un long-métrage célèbre, La Vie rêvée de Walter Mitty – joue sur les mots : Fran passe de « Je rêve ma vie » (ou plutôt, je la « cauchemarde » pour lui donner un piment mortifère) à « Je vis mon rêve ». Le charme singulier de cette œuvre attachante s’est prolongé dans la joie sereine que j’ai éprouvée au sortir du cinéma. Joie d’une espérance de bonheur que tout célèbre. Paix de ce que rien ne cherchait à la profaner. Et il ne fallait rien moins que la sensibilité à la fois intime et intense de notre Jedi (Rey), révélée par la troisième Trilogie Star Wars, pour endosser un rôle aussi réservé et pourtant aussi habité. Le paradoxe n’est qu’apparent. Il y a des chemins intérieurs beaucoup plus héroïques que les plus spectaculaires aventures.

Pascal Ide

[1] Cf. Loren J. Chapman & Jean P. Chapman, « Genesis of popular but erroneous psychodiagnostic observations », Journal of Abnormal Psychology, 72 (1967) n° 3, p. 193-204.

[2] Cf. Jean-Louis Chrétien, Conscience et roman I. La conscience au grand jour, coll. « Paradoxe », Paris, Minuit, 2009 ; Conscience et roman II. La conscience à mi-voix, coll. « Paradoxe », Paris, Minuit, 2011.

[3] Cf. le prix Goncourt 1974 : Pascal Lainé, La Dentellière, coll. « Le Chemin », Paris, Gallimard, 1974. Cf. site pascalide.fr : « La Dentellière, ou les deux faces de la maladie du don ».

Fran (Daisy Ridley) est employée de bureau dans une petite entreprise portuaire de l’Oregon dirigée par Garrett (Parvesh Cheena) où elle côtoie ses bienveillants collègues comme Sophie (Brittany O’Grady), Isobel (Meg Stalter), Amelia (Bree Elrod). D’une timidité maladive, cette célibataire mène une existence millimétrée, dénuée de toute fantaisie – exception faite des étranges rêveries où elle met en scène sa propre mort. Quand Carol (Marcia DeBonis) part à la retraite, arrive son remplaçant, Robert (Dave Merheje). Cette nouvelle recrue fantasque et sympathique, fait mine de s’intéresser à elle…

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