La tête en friche
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Pays:
Français
Thème (s):
Bonté, Don, Guérison, Rédemption
Date de sortie:
2 juin 2010
Durée:
1 heures 22 minutes
Évaluation:
****
Directeur:
Jean Becker
Acteurs:
Gérard Depardieu, Gisèle Casadesus, Claire Maurier
Age minimum:
Famille

La tête en friche, drame français de Jean Becker, 2010. Adapté du roman éponyme de Marie-Sabine Roger, 2009. Avec Gérard Depardieu, Gisèle Casadesus, Claire Maurier.

Thèmes

Rédemption, don, guérison, bonté.

Ce bon film est un film bon.

 

Un bon film dépend de son scénario, de ses dialogues, de ses acteurs. Jean Becker (qui a aujourd’hui 88 ans !) a du métier. Le réalisateur de Dialogue avec mon jardinier (2007) sait raconter une histoire avec talent, vivacité, sans lenteur ni lo(a)ngueur (ah, les longs-métrages de moins de 90 minutes qui, aujourd’hui, feraient presque figure de moyens-métrages !). Il est aussi servi par les dialogues savoureux de Jean-Loup Dabadie. Surtout, il bénéficie du jeu de deux immenses comédiens : Gisèle Casadesus qui fait bien son âge, parce qu’elle l’a (et, à 95 ans, a encore trouvé le moyen de tourner depuis pas moins de dix films…), a embrassé tout le répertoire classique et romantique, et dont Claude Jade disait, avec une admiration pleine de gratitude : « Gisèle Casadesus. Voilà une grande dame, une personne délicieuse, une femme cultivée et discrète, une magnifique actrice ! Je crois que je ne tarirais pas d’éloges sur elle ; je lui ai même avoué que je rêvais de vieillir avec autant d’élégance qu’elle (je suis sûrement très présomptueuse [1] » ; Gérard Depardieu dont une précédente et récente critique (Maigret) notait qu’il est peut-être aujourd’hui le seul acteur français à pouvoir embrasser tous les types de rôle.

 

Mais, surtout, La tête en friche est un film bon. Il nous conte de la manière la plus simple et presque ingénue l’itinéraire croisé autant qu’improbable d’un homme et d’une femme vers ce plus-être qu’est l’amitié réciproque.

Germain n’est pas qu’un illettré (rappelons que celui-ci est scolarisé, mais maîtrise insuffisamment la lecture et l’écriture, alors que l’analphabète ne l’a pas été et donc n’a pu apprendre à lire et à écrire) qui va prendre goût à la littérature. C’est un homme blessé qui va guérir en profondeur.

Si nous prenons la grille du don, Germain est navré dans ses trois moments constitutifs. En effet, le don est rythmé par la dynamique de la réception, de l’appropriation et de la donation proprement dite. Or, l’orphelin Germain fut rejeté, pire, moqué par sa mère, et ses rodomontades furent relayées par un instituteur, M. Bayle (Régis Laspalès), qui le prend pour souffre-douleur de la classe (carence de réception). D’ailleurs, le film s’ouvre sur un énième insuccès, ici professionnel, qui ne peut que confirmer Germain dans la conviction irrémédiable de sa nullité irréversible. La conséquence première, intérieure, est la déshérence de ses capacités laissées… en friche, l’échec scolaire et une mésestime de soi catastrophique (ratage de l’appropriation). L’effet second, tout aussi désastreux, est la stérilisation spirituelle : la croyance dramatiquement limitante qu’il ne peut donner une vie digne de ce nom (naufrage de la donation).

Au terme du film, Germain devient père. Avec quelle joie ! De plus, non seulement il donne charnellement la vie, mais il enfante spirituellement Margueritte à une nouvelle existence, matérielle et spirituelle, servant d’yeux à celle qui les lui a donnés en premier. Or, il a aussi appris à lire, à citer, à oser dire « non », à être lui-même. Donc à nourrir son estime de soi. Autrement dit, Germain laisse circuler en lui et autour de lui la fluide et fertile dynamique du don.

Bien entendu, Germain doit son chemin à cette charmante vieille dame qui, non contente de lui donner de son temps, lui offre de l’espace, c’est-à-dire une attention inconditionnellement bienveillante, avec autant d’empathie que de discrétion. Loin d’être frontale, la rencontre se fait par la médiation des oiseaux. Apparemment superflu, un tiers est toujours nécessaire pour que la dualité devienne unité, pour que la distinction conduise à la communion. Et ces intériorités entrent en résonance, avant d’entrer en communion. Elles se sont choisies bien avant d’oser le dire et même de le savoir. Car leur commun intérêt pour les volatiles ailés jusqu’à les compter et les baptiser dit une décentration de soi et une ouverture désintéressée à l’autre. Or, dans cette affinité innommée, ces deux marginalisés si dépareillés se mettent à vibrer, au-delà des différences de milieu, d’âge, de culture – différences qui, souvent surlignées, apparaissent soudain si superficielles. Bref, à leur insu, ces deux âmes s’attendaient.

Le changement opéré si radicalement par cette rencontre touchante où les âmes se saluent avant que les corps, par les regards et par les mots, se tutoient, a été préparée depuis longtemps par Germain lui-même. Cet homme si traumatisé par la vie ne s’est pourtant pas laissé envahir, puis détruire par l’amertume et le repli sur lui. C’est ce que montre son attitude avec Francine, la patronne du café-restaurant. Ses amis ne s’y trompent pas : derrière la maladresse pataude se dit une compassion de chaque instant et une attention à chaque personne, qui n’est pas sans rappeler Quentin de Montargis ou François Pignon. C’est ce que, bien davantage, atteste l’affection et la compassion que Germain porte à sa mère : à celle qui l’a rejeté depuis toujours et ne cesse de le faire au présent (par exemple, en arrachant symboliquement sa plantation de poireaux), il ne cesse d’accorder son attention qui est l’autre nom de l’amour [2]. C’est comme si, au-delà des mots, il cherchait à consoler ses maux. C’est comme si, chez cette femme meurtrie qui vivait dans sa robe rouge de séductrice éconduite, il devinait qu’elle ne cessait de ressasser l’échec sentimental de sa vie en s’auto-accusant beaucoup plus qu’en accusant l’autre. C’est comme si une partie de la mémoire de Germain ne cessait de se souvenir du jour où, l’amant de sa mère, Jean-Michel « Jean-Mi » Gardini (François-Xavier Demaison), l’avait frappé et sa mère, sans coup férir, mais avec coup de fourche, le chasser, elle lui avait secrètement montré que, en le protégeant, il était sa raison de vivre. C’est comme si une partie tout aussi secrète de l’imagination de Germain avait détecté que cette femme incapable d’exprimer sa souffrance autrement que par la violence, manifesterait à un autre handicapé de la relation tout l’amour qui, au jour le jour, l’avait poussé à économiser et payer son viager. La maison n’est-elle pas le prolongement extériorisé de la matrice protectrice, chaleureuse et aimante ? C’est comme si, enfin, il reconnaissait dans les dons matériels le don supérieur de sa personne, dans les multiples dons, pièce après pièce, le don total de soi. La boîte en fer n’offrait-elle pas la clé ? De même que le cordon ombilical attache vitalement l’enfant à sa mère, de même sa mère était-elle demeurée attachée à son enfant toute son existence ; ce que ses paroles n’avaient pas su exprimer, la mère mal-aimée et mal-aimante laissait à cet autre symbole fort qu’est la demeure le soin de le révéler à son fils secrètement chéri.

 

Enfin, si Germain a tant reçu des trois femmes de sa vie (Jacqueline, Annette et Margueritte avec deux « t »), il leur a donné en retour. Notamment à celle-ci. Déjà, Margueritte trouve une raison supplémentaire à ses multiples sorties au parc municipal. Cette âme solitaire, mais sans doute esseulée, car délaissée par ses enfants, y rencontre non seulement une compagnie, mais aussi une raison de vivre, c’est-à-dire de se donner. Enfin et surtout, dans le superbe acte de compassion enthousiaste de Germain, elle reçoit beaucoup plus qu’un logement à elle : une compagnie, une amitié, un amour. De son côté, Margueritte est beaucoup plus qu’une mère de substitution qui apporterait au cœur de Germain l’attention et à son esprit la culture qui lui ont tant manqué. La vieille femme digne est une âme simple et généreuse, une chercheuse qui, elle aussi, a besoin d’accueillir, possède la vulnérabilité pour le vivre et la délicatesse de ne pas le faire sentir.

 

Si la tête de Germain est en friche, son cœur, lui, est riche, riche d’amour à recevoir et à donner.

Pascal Ide

[1] Claude Jade, Baisers envolés. Souvenirs, Paris, Milan, 2004. Cité par la notice Wikipédia qui donne la liste vertigineuse des prestations de Gisèle comme actrice ou comédienne.

[2] « L’amour est la pure attention à l’existence de l’autre », affirmait le philosophe Louis Lavelle.

Germain Chazes (Gérard Depardieu), 45 ans, quasi illettré, est jardinier, et sa vie se résume à pas grand-chose. Enfant, il était la tête de turc de sa classe et de ses professeurs, et sa mère, Jacqueline « Jackie » (Claire Maurier), qui s’est retrouvée enceinte sans l’avoir voulu, après une courte relation avec un soldat, semble ne l’avoir jamais aimé. Pourtant, il habite chez elle dans une caravane installée dans son jardin, alors qu’elle perd peu à peu la tête. Chaque semaine, Germain emporte ses légumes à vendre au marché. Chaque jour aussi, lui et ses amis se rencontrent au bar où travaille Francine (Maurane) : là, ils plaisantent et bavardent. Annette (Sophie Guillemin), conductrice de bus, qui aime Germain et est aimée en retour, voudrait un enfant avec lui, mais il ne pense pas pouvoir offrir quoi que ce soit à celui-ci.

Et voilà qu’un jour, Germain fait la connaissance de Margueritte Vandeveld (Gisèle Casadesus), une vieille dame de 95 ans qui a voyagé dans le monde entier avec l’OMS et beaucoup lu. Lisant un ouvrage, elle propose de le lire à haute voix à Germain qui, contre toute attente, trouve plaisir à la lecture de cette vieille dame. C’est ainsi qu’ils prennent l’habitude de se donner rendez-vous chaque jour au parc. Elle lui lit notamment La Peste d’Albert Camus et La promesse de l’aube de Romain Gary. Un jour, Margueritte lui donne un vieux dictionnaire dont elle s’est beaucoup servi. Mais, après avoir essayé de rechercher quelques mots qu’il ne sait pas écrire, ses échecs lui reviennent et il lui rend le dictionnaire. Mais, lorsque Margueritte lui apprend qu’elle souffre d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge, Germain décide de vaincre sa peur de la lecture. Soutenu par Annette, il réapprend à lire afin de rendre la pareille à Margueritte en lui récitant à haute voix des livres qu’elle ne pourra plus consulter, notamment L’enfant de la haute mer de Jules Supervielle.

Peu après, la mère de Germain meurt, et par testament, lui lègue sa maison (qu’elle avait acquise par viager) et tout son argent. Le notaire lui révèle que sa mère a travaillé toute sa vie pour lui laisser le plus de choses possible. Annette, quant à elle, annonce sa grossesse à Germain. Mais voilà que Margueritte est forcée de quitter sa maison de retraite, son neveu et sa nièce ne pouvant plus payer la pension. Alors qu’elle part vivre en Belgique, elle fait présent à Germain du dictionnaire qu’elle lui avait déjà donné. Germain n’accepte pas le départ de la vieille dame, et part la rechercher pour l’installer dans la maison de sa mère. Pendant le générique, Germain récite un poème sur Margueritte et sur ce qu’elle a fait pour lui.

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