La planète des singes. Suprématie.
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Thème (s):
Amour
Date de sortie:
2 août 2017
Durée:
2 heures 20 minutes
Directeur:
Matt Reeves
Acteurs:
Andy Serkis, Woody Harrelson, Steve Zahn

 

 

La Planète des singes. Suprématie (War for the Planet of the Apes), film de science-fiction américain de Matt Reeves, 2017. Avec Andy Serkis, Woody Harrelson.

Thèmes

Avenir, amour.

Le neuvième opus de la saga (nous parlons série cinéma et non de la série télévisée) est aussi original que profond. Pourtant, rien n’était gagné. Le pire épisode ne fut-il pas réalisé par le meilleur réalisateur (Tim Burton, 2001) ? Or, ici tout pouvait faire craindre une simple répétition amplifiée de l’épisode précédent, d’autant que le même réalisateur était aux commandes.

 

De fait, le défi de ce préquelle était grand, presque insurmontable. En général, quel suspense pour un film dont on connaît la fin obligée ? Comme pour Star Wars 3 (La revanche des Siths), le point d’arrivée de ce Planète des Singes 3 est à la fois fixé – par la nécessité d’établir la connexion la plus étroite possible avec l’épisode suivant tourné des décennies auparavant – et tragique – la domination des singes et, trop oubliée, la régression de l’homme.

Mais la difficulté se redouble pour une raison précise : les deux épisodes précédents semblent avoir tout dit et exploré.

Le premier – Les Origines (2011) – nous révèle l’unique cause du double devenir en chiasme : l’abêtissement de l’homme et l’humanisation (c’est-à-dire l’avènement de la raison) des singes. En effet, c’est le même rétrovirus ALZ-113 qui est responsable de l’apparition spectaculaire de la parole chez les singes anthropoïdes et de sa disparition chez l’homme. De manière très signifiante, autant l’acquisition de la parole est la matrice de l’intellect et de la liberté, autant, en sens inverse, la mort physique se symbolise, chez les très rares survivants, dans la mort psychique que sont le mutisme et la démence. Au commencement était le verbe – même chez l’être d’esprit –. En grec, le terme logos – qui présente une extension d’une richesse similaire au français « raison » – embrasse autant la raison que la parole.

L’excellent deuxième épisode – L’affrontement (2014) –, lui, explore les scénarios possibles. La cellule de base se concentre sans surprise sur l’affrontement homino-simien. Mais la guerre se réfracte dans chaque camp en opposant les pacifistes (incarnés, d’un côté, par César, de l’autre, par Malcolm ; plus encore signifiés par les deux familles père-mère-enfant des deux héros) et les jusqu’auboutistes (ici, avec moins de bonheur, les partisans de l’extermination émargent au registre trop uniforme des méchants, toxiques et manipulateurs : Koba et Carver), non sans laisser une heureuse indétermination du côté des singes avec le fils de Cesar, Yeux Bleus (à qui se ralliera cet adolescent révolté : à son père ou à Koba ?). Par ailleurs, les croisements entre les espèces, voire les alliances, donc les lieux d’espoir se multiplient : depuis les paroles qui déplacent la frontière de la différence de l’ethnique vers l’éthique (« J’ai toujours pensé que les singes étaient meilleurs que les humains, dit Cesar. Je vois maintenant que nous sommes pareils »), c’est-à-dire entre les singes et les hommes partisans de l’unité et ceux qui sont sectateurs de la division ; jusqu’aux gestes (comme la belle complicité s’établissant entre Maurice, le touchant orang-outang, et le fils de Malcolm, Alexander). Bref, élargissant la combinatoire au maximum et paraissant épuiser les voies de conflit et de résolution, le deuxième opus aurait pu terminer le préquelle, moyennant un minime changement de scénario. Il ne semblait donc laisser au troisième que la pire des hypothèses : une lassante répétition dopée du précédent, comme nous le servent tant de sagas (plus de violence, plus d’effets spéciaux, etc.). De fait, si l’on se donnait la peine d’écouter (et non pas, pour une fois, de regarder) jusqu’au bout le générique, on était en droit d’interpréter les râles finaux comme une survie de Koba et donc d’imaginer une résurrection, trop facile et trop attendue, et un nouvel affrontement entre le méchant bonobo (Koba) et le gentil chimpanzé (César) – d’autant plus brutal qu’il oppose deux frères ennemis.

Se pose donc la question : comment ne pas sombrer dans de nouvelles guerres aussi interminables qu’inexpiables ? En positif, comment écrire un épisode vraiment nouveau ?

 

Une nouvelle tentation, plus subtile et toute opposée, guette le cinéaste : trahir totalement le projet initial et basculer dans le film postapocalyptique – post-ape-ocalyptique, ainsi que le film suggère –, sous-espèce virale, ainsi que je vais l’expliquer, et croisé avec l’autre genre à la mode qui en est souvent la radicalisation, le survival (comment survivre dans un milieu radicalement hostile, déserté par ce qui est humain, au double sens du terme, sans nul dehors civilisé ou édénique ?).

Le genre postapocalyptique n’est pas seulement eschatologique (raconter un des avenirs possibles de l’humanité, voire l’un des scénarios de sortie de celle-ci). Le fond explicite est la culpabilité. En effet, l’humanité ne disparaît jamais sans sa propre faute et celle-ci s’identifie presque toujours à une domination éhontée, tyrannique de l’homme. Or, deux victimes sont désignées d’avance : l’une, évidente, les vivants, précisément, les animaux (seuls capables de riposter) ; l’autre, moins patente, les objets, en l’occurrence, les machines (pour la même raison : la capacité vengeresse). Dès lors, deux scénarios postapocalyptiques sont possibles, selon la révolte prédite par le renversement dialectique du maître et de l’esclave. Ici, ce sont bien sûr des animaux ; mais, pour une fois, non plus les micro-organismes, mais leur porteur, à savoir les singes qui, en passant, ont muté. Or, l’homme infiniment coupable doit être infiniment châtié. Dans un monde où Dieu est mort (« Nous l’avons tué ! », clame Nietzsche), l’homme ne peut plus que se retourner vers lui, s’accuser et se flageller. Dès lors, la seule réparation acceptable est sa disparition.

Notre saga paraît s’emboîter exactement dans ce cadre trop connu. On objectera peut-être que l’intention initiale de l’homme était bonne : les laboratoires de Gen-Sys avaient inoculé le rétrovirus afin d’éradiquer la maladie d’Alzheimer. Toutefois, le moyen est condamné comme irrecevable : expérimenter sur le singe (notons en passant qu’il est moralement recevable et même parfois nécessaire d’expérimenter sur l’animal le plus proche de l’homme, si l’on minimise le plus possible et la souffrance et le nombre d’individus sacrifiés). D’ailleurs, il en était de même dans l’immense I am a legend (Francis Lawrence, 2007) : avant d’être prométhéen, le combat contre la maladie, ici le (ou plutôt les) cancer(s), jusqu’à son élimination totale, est un idéal qui honore et motive légitimement le chercheur. Qui prétendrait aujourd’hui condamner Pasteur ou Flemming d’avoir voulu faire disparaître ce fléau qu’étaient la rage ou la tuberculose ?

Ainsi le premier et le deuxième volets de la série ont donné un ton : il ne s’agit plus d’une science-fiction futuriste, comme chez Pierre Boulle, mais d’un film post-apocalyptique. Donc, la fin n’est pas seulement prévue, mais désespérée : cette chronique d’une mort annoncée qui vaut pour l’humanité ne vaut-elle pas aussi, métaphoriquement, pour le film ?

Mais le film n’est pas tombé dans cette nouvelle chausse-trappe et résiste à la logique d’auto-flagellation caractéristique du genre : la méchante humanité bourreau qui ne mérite que de s’effondrer sur elle-même, voire d’être punie et remplacée par ses pauvres victimes. D’abord, la figure emblématique de cette piteuse et sauvage humanité, le colonel, qui extermine non seulement les singes, mais les siens de la manière la plus barbare, se retourne de la manière la plus inattendue pour s’avérer être un sauveur (certes dégénéré) de l’humanité : il n’hésite pas à exercer sur lui-même sa méthode discutable, mais logique – si le virus de la grippe simienne qui a détruit l’humanité est encore présent dans les gènes des survivants et, mutant, poursuit son œuvre de destruction en rendant l’homme muet et décérébré, il est nécessaire de le détruire –, voire étrangement cohérente – ceux qui ont injecté les porteurs simiens deviennent maintenant les porteurs infectés qu’il faut absolument éliminer. N’est-ce pas en écoutant le long récit de McCullough que, pour la première fois, César pleure ? Et, après ce dialogue-monologue, le colonel n’accède-t-il pas enfin à sa demande de nourriture pour ses congénères ? Certes, le récit ne cherche pas à défendre à tout prix la position passablement machiavélique du colonel : rongé par la culpabilité, il finira par s’autodétruire. Mais il évoque symboliquement sa possible rédemption, par une étrange chaîne métonymique : la poupée de la petite fille (Amiah Miller) qui, ayant été recueillie par César, le sauve, est aussi celle dont s’emparera le colonel et lui transmettra le virus, mais aussi l’humanisera.

Ensuite, si le camp où sont parqués les singes ressemble de prime abord furieusement à un camp d’extermination, il s’avèrera finalement être un camp de travail obligatoire dont le but est de s’assurer une main d’œuvre gratuite et efficace en vue d’une œuvre utile (et non pas superfétatoire comme dans les camps de la mort) au moins aux yeux du colonel : l’édification d’un mur le protégeant contre ses ennemis.

 

Alors, reposons une dernière fois la question : comment Suprématie évite-t-il de répéter Affrontement sans pour autant trahir la saga ? Là encore, deux faits doivent attirer l’attention.

Le premier est la fin qui paraît relever du si discutable deus ex machina : cette spectaculaire avalanche qui anéantit toute l’humanité, l’armée du colonel autant que les rebelles sans visage et sans chef, est aussi inattendue qu’inexpliquée. Faut-il y lire une vengeance symbolique de la nature dominée ? Mais, si cette explication culpabilisante fut écartée à propos du genre postapocalyptique, sous-espèce virale, pourquoi serait-elle réintroduite maintenant ? La catastrophe ne montre qu’une seule chose : le singe nu et peu armé survit parce que, contrairement à l’homme lourdement chargé et peu agile, il est capable de grimper aux arbres dont on sait que, suffisamment enracinés, ils résistent au tsunami neigeux. Autrement dit, les singes sont mieux adaptés à la nature en furie.

Le deuxième est encore plus patent. Le scénario souligne longuement et presque lourdement la stupéfiante découverte d’un autre singe parlant. Certes, il a lui aussi été vacciné dans le zoo dont il s’est échappé, mais il n’a pas bénéficié de l’apprentissage humain et montre donc, spontanément, des capacités d’adaptation particulièrement efficaces.

Or, mutation spontanée et survie du plus apte sont les deux piliers de la théorie darwinienne (demeurés intouchés à travers ses diverses réinterprétations jusqu’à la théorie synthétique de l’évolution). Tels sont le sens véritable du film et sa grande originalité qui, en même temps – et c’est le bonus –, rentrent en résonance avec l’intention du roman initial de Pierre Boulle (se fondant sur la capacité continue d’évolution des vivants). N’est-ce pas aussi le sens caché du titre : il n’y avait pas besoin d’un affrontement pénible et itératif entre singes et hommes. La suprématie était déjà acquise : la nature a décidé de remplacer l’espèce homo en fin de course ; et ce qu’elle a décidé, nul ne peut le contrecarrer. D’ailleurs, ne dit-on pas que la durée moyenne des espèces vivantes est de l’ordre de trois millions d’années ? Or, la préhominienne Lucy (et ses multiples sœurs australopithèques) est apparue un peu avant cette durée ?

Ce scénario naturaliste présente l’immense avantage de conjurer les luttes violentes et explique que le film ne se soit pas achevé dans une sanglante bataille des cinq armées qui se serait soldée par la victoire prédestinée et écrasante des singes, l’élimination de la quasi-totalité de l’humanité et l’incarcération humiliante des rares survivants.

 

Toutefois, si telle est la clef explicative, qu’il nous soit permis de la questionner, plus et mieux, de montrer qu’elle entre en tension avec une autre valeur majeure de notre temps et cela, au ras même du film : la vision harmonieuse et holistique défendue par l’écologie. Une ultime fois, partons de deux données.

La première est la fin inattendue : pourquoi César meurt-il aux portes de la terre promise ? Nouveau Moïse parvenu au terme de son exode, aurait-il lui aussi fauté par présomption ? L’assimilation à la figure christique n’est en rien voilée : César le juste compatissant est crucifié, condamné à mourir, abandonné et solitaire – à la différence décisive près que, tenté par la haine vengeresse (Koba, le responsable de la guerre entre Hommes et Primates, revient bien, mais comme un cauchemar obsessionnel, donc comme la figure intériorisée de l’Adversaire), il a un moment succombé et donc a lui-même besoin d’être racheté. Toutefois, il renonce à sa vengeance, retrouve la mission qui le solidarise avec ses frères : « Singes tous ensemble » et donc se sauve. Il est d’ailleurs symbolique de sa bonté, toujours présente même lors de l’éclipse vengeresse, que César soit blessé par le tireur d’élite qu’il avait épargné au début. Alors comment rendre compte de ce décès aux frontières de son royaume tant espéré ?

Parce que le modèle de société dominatrice que la gent simienne représente, a fait long feu. Le véritable héros de l’histoire, qui émerge d’une manière surprenante, n’est-il pas Maurice ? Cet orang-outan des ponts et des médiations joint à sa sagesse du cœur – qui « a ses raisons que la raison ne connaît pas » (il insiste pour garder Nova en reconnaissant qu’il ne sait pas répondre à l’objection sensée de César) – la symbolique de son physique tout en rondeur – loin du King Kong puissant et inquiétant que demeure le gorille et du chimpanzé nerveux et irascible que restera le chimpanzé (même si, par un retournement que je ne m’explique pas, on a fait endosser à un doux bonobo le rôle du méchant Koba…).

Le deuxième fait est le personnage de la petite fille orpheline et muette qui s’avère être plus qu’une enfant vulnérable à défendre et protéger, mais une petite d’homme courageuse, prudente, pleine d’initiatives et de compassion qui, au péril de sa vie, sauve César d’une mort assurée par déshydratation – et, au-delà de son intention, tous les singes, en faisant don de sa poupée de chiffons… –. Maurice ne la rebaptise-t-il pas du nom transparent de Nova qui, outre l’allusion à l’héroïne du premier épisode de La planète des singes (le premier être humain rencontré, qui deviendra la compagne du narrateur, Ulysse Mérou), signifie « Nouvelle » ou « La nouvelle » ?

Autrement dit, l’avenir n’est pas à une société violente et hiérarchique, mais à un monde de douceur et d’échanges, y compris entre humains et simiens. N’est-ce pas le sens de l’évocation du personnage de Cornélius (Judy Greer : pourquoi une femme ?), le fils de César qui fut épargné et sera élevé par Maurice dans la mémoire de son père, valeureux sauveur des singes, et dont on sait que, introduisant une autre continuité avec La planète des singes, il deviendra un grand archéologue et l’ami d’Ulysse ? N’est-ce pas ce que symbolisent les images finales qui, face à cette immense étendue d’eau et cette forêt idyllique, font rêver à un paradis enfin trouvé, et, inversement, sont insoucieuses de nous montrer le parquement des hommes emprisonnés ou l’écroulement lointain de la statue de la Liberté… ?

Mais alors, en toute cohérence, comment ne pas en déduire – ce qui me réjouit en profondeur (cf. l’article sur le site : « La création, entre agression et amorisation ») – non pas tant une critique qu’une intégration de l’évolutionnisme darwinien dans une théorie plus vaste où la loi première de l’expansion et de la coopération (mutualisme, symbiose, etc.) assumerait comme une modalité toujours limitée la survie belliqueuse du plus apte. L’agression n’est plus qu’un passage, parfois obligé, vers l’amorisation ?

 

Ce n’est pas l’un des moindres mérites de ce film sombre, mais prenant, que de se refuser au manichéisme et d’adopter un rythme lent nous permettant de comprendre des personnages jamais simplistes ni figés, toujours complexes et sauvables ; plus, de susciter de l’empathie, voire de la sympathie, pour des créatures de prime abord totalement étrangères à notre monde et donc de nous faire expérimenter la possibilité d’une connexion avec un autre radicalement autre.

Pascal Ide

Deux ans après la fin de L’affrontement, nous suivons une armée d’humains progressant silencieusement dans la jungle, aidés par des éclaireurs simiens, jusqu’au moment où ils tombent sur des singes et les attaquent. Après un assaut violent et victorieux, les hommes sont vite et très durement défaits. Les singes, commandés par César (Andy Serkis), comptent leurs morts avec affliction. À la suite du retour surprise de son fils Yeux Bleus, qui a repéré un désert, César prend la décision d’y déplacer sa colonie, afin que les humains ne puissent plus les agresser.

Mais le sanguinaire colonel McCullough qui dirige l’armée des hommes (Woody Harrelson), veut à tout prix retrouver César et l’abattre, afin d’installer la domination des hommes sur les primates. Dans un raid audacieux, il se déplace en personne dans le refuge de César ; s’il manque ce dernier (ainsi qu’un autre nouveau-né), en revanche, il assassine son fils et sa femme. Abandonnant la colonie qui part seule vers le désert, César décide de se lancer à sa poursuite – ses fidèles compagnons, Maurice (Karin Konoval), Rocket (Terry Notary) et Luca (Michael Adamthwaite), se refusant de le laisser seul. Comment quatre singes pourront-ils affronter toute une armée surentraînée ? Et quand bien même, César réussirait à tuer corporellement son ennemi, celui-ci n’aura-t-il pas gagné en assassinant son âme par la vengeance et en faisant de lui un nouveau Koba (Toby Kebbell) ? Et si le colonel n’était pas aussi cruellement méchant qu’il y paraît et poursuivait un autre dessein – dont César ignore tout – ?

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