La Forme de l’eau – The Shape of Water
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Thème (s):
Amour, Sexualité, Tolérance
Date de sortie:
21 février 2018
Durée:
2 heures 3 minutes
Directeur:
Guillermo del Toro
Acteurs:
Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkins
Age minimum:
adultes

 

La Forme de l’eau (The Shape of Water), film fantastique romantique américain de Guillermo del Toro, 2017. A remporté le Lion d’or de la Mostra de Venise 2017. Avec Sally Hawkins, Doug Jones, Michael Shannon, Richard Jenkins, Octavia Spencer.

Thèmes

Amour, tolérance, sexualité.

Le film du réalisateur mexicain spécialiste du fantastique est encensé par les critiques de tous bords, entre version pulsionnelle de La Belle et la Bête et parabole politique sur la tolérance hyperbolique. Mon avis reste aussi mélangé qu’une eau trouble…

 

Non à ce monde manichéen infiniment ingénu qui se croit ingénieux où, ici, le bien est systématiquement identifié aux bannis – en l’occurrence une muette moquée comme une simplette, une technicienne de surface elle aussi exclue pour sa couleur de peau, un vieil affichiste gay et chômeur, et un « monstre » – et le mal au blanc socialement intégré, nationaliste et anticommuniste, chrétien citant la Bible, nécessairement fasciste et machiste.

Non à cette érotisation qui, elle aussi, oppose de manière dualiste, exhibitionniste, bavarde et complaisante, la sexualité transgressive et prétendument libérée d’une Elisa se masturbant quotidiennement dans son bain et advenant à une union transgenre avec un alien, à la violence phallocrate du colonel symbolisée dans son gourdin électrique, violence d’autant plus insupportable que son épouse Elaine (Lauren Lee Smith), réduite au silence, a intériorisé la norme dominante et dominatrice. S’opposent ainsi la mutité riche en communication de l’héroïne (qui multiplie les canaux sensoriels) et le mutisme mutilé d’une femme censurée (qui consent à l’aliénation avec le sourire).

Non à cet amour-éros qui ressemble plus à un remède à l’isolement (tous les héros, même mariés, sont des solitaires, plus, des esseulés inconsolables) qu’à un amour-extatique décentrant de soi. Même dans la scène qui est censée être le sommet du film, la salle de bain transformée en aquarium pour ébats amoureux des deux héros la salle de cinéma du dessous se remplit d’eau et se vide de ses si rares spectateurs et surtout de ses possibilités de financement déjà en crise…

 

En revanche…

Oui à la compassion ingénieuse de l’héroïne qui joint l’action (généreuse) à la passion (amoureuse) et ainsi apprivoise le héros au point de risquer sa vie pour sa survie, pardon, de sa sur-vie. Oui aussi à cette compassion qui s’étend jusqu’au « méchant » : non seulement, parce que le colonel Strickland souffre en permanence et de plus en plus de cette morsure qui le putréfie, mais aussi parce que, encore plus que bourreau, il est lui-même victime d’un système de positivation à tous crins (ah ! le manuel soigneusement pratiqué de pensée positive) et de réussite à tout prix (imposé par un supérieur encore plus inhumain que lui).

Oui à cette Belle qui, par amour et par l’amour, éveille la Bête à sa beauté et, en retour, se laisse révéler par elle à la sienne.

Oui à cette symbolique éloquente où le don de la créature produit des effets qui varient en fonction de la manière dont il est reçu : en guérison et en bénédiction, chez les bons, en poison chez les méchants. Les Anciens l’expliquaient à partir d’un principe métaphysique : « Tout ce qui est reçu est reçu selon la mesure de celui qui reçoit ». Le feu du même amour gratuit est ressenti comme chaleur lumineuse par l’élu et comme brûlure consumante par le damné.

Oui à la douceur de celle dont le nom dit orpheline et dont le corps dit jusque sur sa peau la violence de son amputation, connaît par le plus intime d’elle-même la souffrance de l’abandon. Ainsi, par la médiation de gestes concrets et gradués (œuf dur, musique, danse), Elisa s’approche de cet autre être blessé plus encore relationnellement que physiquement – car le sans-voix conduit au sans-contact –, et l’apprivoise avec respect sur la durée. Sur la vitre du car qui rythme les allers et venues d’Elisa, le trajet de deux gouttes d’eau évoluant au hasard, puis se rapprochant, s’écartant pour finalement fusionner, symbolise admirablement cette dynamique d’une passion qui, avant d’être embrasement des corps, fut embrassement des âmes. Préparé par l’agapè gratuite de la générosité miséricordieuse, l’éros ouvre ainsi à la philia suggérée par la métamorphose finale.

Oui à cette suggestive pollinisation entre le mythe païen évoqué par l’Orpheum Theater (le voisin du dessous) et Le livre de Ruth, qui y est projeté, invitant ainsi à soulever une tragique descente aux enfers par l’espérance contenue dans l’un des plus beaux récits bibliques sur la tolérance qui est aussi une histoire de piété, de pitié et, dans l’ombre « nuptiale, auguste et solennelle », une histoire d’amour.

 

Pourquoi, enfin, le réalisateur et coscénariste n’a-t-il pas filé la superbe intuition condensée dans le titre si suggestif de son film : The Shape of Water ? C’est cet intitulé qui, avant tout, m’a poussé à le visionner. En effet, les études actuelles montrent toujours mieux – même si le sujet reste encore largement méconnu voire combattu, depuis Schauberger jusqu’à Benveniste, en passant par Emoto – que, à côté de la structure chimique de l’eau, importent ses propriétés physiques : sa profondeur de réceptivité est la source de configurations totalement inattendues et de communions immensément étendues.

Bien entendu, l’élément aqueux est omniprésent dans le conte de Del Toro, non seulement sous la forme réelle, tombante ou contenante, purificatrice ou destructrice, mais aussi sous sa forme symbolique, notamment à travers les multiples déclinaisons diaprées de vert (des gâteaux gélatineux couleur émeraude aux pastilles du colonel, en passant par les variantes de vert d’eau et de céladon) et de bleu (comme la peau turquoise aux reflets nacrés de l’amphibien). Bien entendu, cette forme de l’eau est symbolique d’une société contraignante qui impose du dehors sa structure, au point d’anéantir la liberté presque totalement.

Mais qu’il est dommage que l’intrigue en soit restée à cette juxtaposition du réel et du symbolique – qui est le sens faible et artificiel du terme symbole. Paradoxalement, le cinéaste qui se veut si affranchi des aliénations occidentales, demeure prisonnier des cloisonnements post-cartésiens et ne voit pas que le réel est lui-même symbole, ainsi que Karl Rahner l’a montré dans un essai décisif (« Pour la théologie du symbole », trad. Robert Givord, Écrits théologiques, Paris, DDB, tome 9, 1968, p. 9-47). Précisément, l’eau est symbolique, c’est-à-dire montre l’invisible dans ce qu’elle visibilise, et est symbolisante, c’est-à-dire unit sans indifférencier ce qu’elle rassemble. En effet apparemment informe (sans forme), du fait de sa liquidité à la température ambiante, l’eau en réalité informe, c’est-à-dire se laisse informer et transformer par son contenu, pour mieux transmettre cette information transformante à qui se laisse toucher par son enveloppante caresse. Voilà pourquoi et en quoi, par cette forme tout en flux, elle peut devenir la métaphore vive de l’amour qui fait vivre.

 

Guillermo del Toro avait entre les mains une fable prodigieusement novatrice. Mais, emporté (aux deux sens du terme) par ses réactions, voire par ses aigreurs (déjà si palpables dans Le labyrinthe de Pan) et cette indignation élevée au statut de vertu prétendue, il a échoué au bord de ce qui aurait pu devenir un chef d’œuvre du fantastique. Entre condamnation légitime et réaction amère, il n’a pas su opérer la ligne de partage des eaux…

 

Pascal Ide

Dans un appartement sous-marin, où tables et autres objets flottent, une sirène qui dort à poings fermés dans son lit nous attend ou plutôt ne nous attend pas. En fait, ladite Aquawoman, qui s’appelle Elisa Esposito (Sally Hawkins), est encline à la rêverie. Muette et célibataire, elle suit chaque matin un rituel précis, depuis le bain où elle trouve son plaisir, au repas apporté à son voisin Giles (Richard Jenkins), un peintre mélancolique lui aussi solitaire, dont on découvrira qu’il est homosexuel.

Surtout, cette jeune femme rêveuse aux allures d’Amélie Poulain travaille le soir comme femme de ménage dans un laboratoire gouvernemental de Baltimore tenu secret. Un jour, le colonel sadique Richard Strickland (Michael Shannon) y arrive avec un caisson mystérieux qui contient une créature capturée dans un fleuve d’Amérique du Sud : le prisonnier s’avère être un homme amphibien (Doug Jones). En pleine Guerre froide (l’action se déroule en 1962, lors de l’histoire des missiles de Cuba), pour le Général Hoyt (Nick Searcy), supérieur de Strickland, il s’agit de tirer un maximum de pouvoir de cette créature contre les Soviétiques. La jeune manutentionnaire, tout au contraire, est rapidement fascinée par cette créature surnommée « l’actif » et en tombe amoureuse. Ayant vu le colonel le torturer et désormais déterminé à le disséquer, elle n’a plus qu’un désir : le rendre à la mer. Comment une faible agent d’entretien pourrait-elle lutter, même avec l’aide de Giles, de sa collègue et amie de couleur, Zelda Delilah (Octavia Spencer), et d’un scientifique du laboratoire compatissant, le Dr. Robert Hoffstetler, qui s’avère être un espion russe, Dimitri Antonovich Mosenkov (Michael Stuhlbarg) ? Surtout, comment deux êtres aussi dissemblables que l’humaine et l’amphibien pourraient-ils s’aimer ?

 

 

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