La Favorite (The Favourite), biopic et drame américano-irlando-britannique de Yórgos Lánthimos, 2018. Avec Olivia Colman, Rachel Weisz et Emma Stone.
Thèmes
Pouvoir.
De ce film où la laideur le dispute à la méchanceté, où le cynisme désabusé rime avec le pessimisme désespéré, peut-on sortir autrement que dégoûté et extraire quelque leçon de vie ? Peut-être. En creux.
En effet, les trois protagonistes de ce triangle amoureux autant que politique subissent la violence autant qu’elles la commettent. Leur complicité n’est donc pas coextensive de leur responsabilité.Voire, si elles jouissent du mal, elles s’en attristent encore davantage.
Anne d’Angleterre, cette femme-enfant traumatisée par l’effroyable hécatombe de ses dix-sept enfants morts en couche, dont elle n’a jamais fait le deuil, au point que, symboliquement, dans l’ultime et sordide scène, son imaginaire apparaît tout entier envahi par la pullulation de ces objets de substitution que sont les lapins, a néanmoins le courageux et généreux sursaut de défendre le peuple écrasé par d’injustes impôts ; le geste est d’autant plus admirable qu’il contredit orthogonalement la décision de sa favorite et d’autant plus libre qu’il est précédé par un long regard triste qui est l’affectus compatissant fondant son effectus miséricordieux.
Autant la reine subit le pouvoir, autant Lady Sarah en jouit. Possédée par ce goût immodéré de la domination, elle profite de son puissant ascendant pour asservir la cour et se servir elle-même. Toutefois, elle n’a pas reconduit toute altérité à sa seule égoïté, ni étouffé toute vertu en son cœur : depuis la vérité (elle seule ose dire à son amie Anne qu’elle ressemble à un « blaireau ») jusqu’à la fidélité (elle signe sa lettre d’adieu d’un « votre fidèle amie »), en passant par l’humilité (elle sait reconnaître une erreur en arrêtant une injuste bastonnade, autant que son désir pour son mari qui doit partir en guerre) et même une certaine générosité (elle salue l’audace d’Abigail se faisant valoir auprès de la reine autant qu’elle refuse de s’abandonner à la vengeance meurtrière, alors qu’elle est abandonnée, empoisonnée et défigurée).
Même Abigail, dont l’évolution est de loin la plus inquiétante, ne peut être accusée sans être aussi excusée. Cette femme n’a perverti son cœur que parce que d’abord, l’histoire prend bien soin de nous le dire par sa bouche, elle fut elle-même pervertie de la pire manière. Et cette perversion subie ne devient que partiellement choisie, comme l’atteste la tristesse avec laquelle elle brûle le courrier qui aurait pu grâcier Sarah et, plus encore, sa fuite écœurante autant qu’écœurée dans la débauche (les images sont heureusement discrètes). De fait, cette triste déchéance s’inscrit entre trois scènes d’excitation sexuelle : celle, introductive, où Abigail subit cet exhibitionniste qui la fera symboliquement chuter dans la boue la plus méphitique ; celle, médiane, où l’intimité avec son époux Samuel Masham (Joe Alwyn) se réduit à une manipulation – d’autant plus dégradante qu’elle se fait de dos – qui est autant mépris de l’homme dégradant que d’elle dégradée ; celle, finale, où la relation homosexuelle (pourquoi ajouter l’inversion à une histoire déjà assez avilissante ?) se double désormais d’une relation d’emprise (signifiée jusque dans l’espace : la reine est au-dessus, la favorite en-dessous) où Abigail finit par reproduire ce qu’elle a pourtant cherché à fuir de toutes ses forces : la domination de l’autre jusqu’à l’esclavage. Se vérifie ici l’une des plus dramatiques lois de l’histoire, personnelle ou collective : nous sommes voués à répéter ce qui, en nous, n’est ni guéri ni pardonné.
Comment s’étonner que ce monde, là encore exclusivement féminin, soit écartelé entre les trois concupiscences : la lubricité qui rend dépendante, la richesse qui rend insolente et la domination qui rend excluante ? Le seul homme digne de ce nom – Robert Harley (Nicholas Hoult), premier comte d’Oxford, une fois accédé au poste qu’il guignait, s’avère excédé, c’est-à-dire aussi inconsistant que ses adversaires – John Churchill, bientôt duc de Marlborough, est celui dont une célèbre chanson dit à juste titre : « Ne sait quand reviendra » : cet homme droit, soucieux de ses soldats avant que de son propre confort, est le seul qui ne soit pas ridiculement grimé, le seul protagoniste dont la personne ne disparaît, à force de mascarat et de mascarade, sous son personnage. Mais, parce qu’il « s’en va-t-en guerre », il ne peut introduire cette justice et cette justesse qui sauverait ce gynécée d’une fusion qui ne peut que dégénérer en fission.
Pascal Ide
Alors que l’Angleterre et la France sont en guerre, à la cour, la mode est aux courses de canards et à la dégustation d’ananas. La reine Anne d’Angleterre (Olivia Colman), à la santé fragile et au caractère instable, occupe le trône (entre 1702 et 1707), tandis que son amie Lady Sarah Churchill, duchesse de Marlborough (Rachel Weisz), gouverne le pays à sa place.
Lorsqu’une nouvelle servante, Abigail Hill (Emma Stone), cousine de Sarah, arrive à la cour, celle-ci la prend sous son aile, afin de s’en faire une alliée. Mais la parente déchue, elle, y voit l’opportunité de renouer avec ses racines aristocratiques. Alors que les enjeux politiques de la guerre absorbent Sarah qui est mariée à John Churchill (Mark Gatiss), duc et général anglais, Abigail parvient à gagner la confiance de la reine et devient sa nouvelle confidente. Jusqu’où ira-t-elle dans son ambition ?