La Dernière marche
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Pays:
Américano-britannique
Année:
1995
Thème (s):
Mort, Peine de mort
Durée:
2 heures 2 minutes
Directeur:
Tim Robbins
Acteurs:
Helen Hester, Jack Henry Robbins, Gil Robbins
Age minimum:
Adolescents et adultes

 

 

La Dernière marche, drame américano-britannique de Tim Robbins, 1995. Avec Helen Hester, Jack Henry Robbins, Gil Robbins.

Thèmes

Peine de mort, mort.

La dernière marche narre le cheminement d’un condamné à mort vers une vie plus grande que la mort. Matthew Poncelet, condamné pour un double assassinat et viol, va, peu à peu, cesser de mentir et séduire pour accéder à la vérité sur lui, l’amour de lui-même, enfin, au pardon de Dieu et à la demande de pardon pour les victimes. Cela, par la bouleversante médiation de sœur Helen Prejean (Susan Sarandon, qui a bien mérité son Oscar de la meilleure actrice). Véritable icône du Christ, elle est tout à la fois très respectueuse et très en vérité, se refusant à toute compromission (« Je ne suis pas un jouet, je suis une personne et toute personne mérite le respect ») ; très présente (attentive à chaque besoin de Matthew, se battant jusqu’au bout pour que sa peine soit commuée) et très effacée (elle renvoie le condamné à sa conscience et, surtout, laisse œuvrer la Parole de Dieu avec confiance, l’invitant avec constance à lire les mêmes versets, notamment : « La vérité vous rendra libre » : Jn 8,32) ; très fidèle dans sa compassion et très vulnérable (acceptant, par exemple, de reconnaître sa peur devant M. Earl Delacroix, le père de l’une des victimes).

Accompagnant l’évolution intérieure des personnages, le film, admirablement construit en tableaux successifs, décrit leurs relations selon une gradation très travaillée. Lors de leur première rencontre, le visage de Matthew apparaît à peine, derrière une épaisse grille qui l’éclate, et celui de sœur Helen est lui-même flou, voilé. Puis, la grille s’aère, mais les deux protagonistes demeurent toujours séparés. Lors d’une prochaine rencontre, pour la première fois, un plan photo regroupe la religieuse et le condamné à mort, de part et d’autre d’une vitre que le profil amincit comme un fil à peine visible. Encore un pas et ce n’est plus de côté, mais de face, qu’apparaissent simultanément les deux visages, grâce au jeu du reflet.

Jusque maintenant, ils ne se sont jamais rencontrés que séparés par une barrière physique. Lors de la réunion avec la famille, quelques heures avant la fin, cette barrière s’abolit : sœur Prejean ne fait-elle pas partie de cette famille, elle qui, si proche de sa mère, a rêvé que Matthew se retrouvait présent à sa propre table familiale ? Enfin, si la parole et la vue permettent la relation, elles interposent encore une distance que seul le contact permet de combler. Matthew, touché par la confiance et l’amour si droit, si indéfectible de sœur Helen, peut se laisser toucher par cette main qui se pose sur son épaule.

L’abolition de tout intermédiaire physique signe la très profonde intimité d’âme qui s’est nouée entre les deux êtres, au-delà même de la mort ; la main tendue et bénissante de sœur Helen accompagne Matthew qui n’est plus un Dead Man Walking, mais un homme marchant vers la vie.

Le beau film de Tim Robbins, La dernière marche n’est pas qu’un témoignage rendu à sœur Prejean et à la démarche intérieure de l’assassin. Il se veut aussi une réflexion sur la peine de mort. Sans nul manichéisme, il présente la souffrance et la solitude des parents des victimes (70% de divorces), et ne minimise pas la profonde antipathie suscitée par l’égoïsme, le racisme de Poncelet. Mais le choix du film n’est pas douteux : sœur Helen se bat activement pour la suppression de la peine capitale.

Surtout, les images parlent plus que tous les discours : le cheminement de M. Delacroix, surtout le parallèle long, étroit, appuyé, entre l’assassinat des deux jeunes et la mise à mort de Matthew Poncelet. D’un côté, la mort sur commande, de l’autre, la mort sauvage ; d’un côté, la froide lumière des néons (la salle d’exécution, entièrement blanche, est, intentionnellement, la seule image immaculée du film), de l’autre, la lueur sépulcrale de la lune. Dans les deux cas, la suppression d’une vie humaine : car la faute, si grave soit-elle, n’a jamais effacé la dignité de la vie. Le contraste technique-nature appelle d’ailleurs la similitude : les fûts d’arbre qui fracturent la vue ressemblent aux seringues verticales prises en gros plan, injectant le poison mortel. A chaque fois, la démultiplication des acteurs permet le report des responsabilités ou l’entretien de l’incertitude, elle crée l’illusion de l’anonymat (« je m’occupe de la jambe gauche », dit l’un des gardiens ; surtout, et le détail est véridique, des deux techniciens appuyant sur le bouton de commande, un seul déclenche l’injection mortelle). En regard, avec une profonde empathie, sœur Prejean accueille toute personne et toute la personne. Elle se refuse à tout jugement : qui sait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme ? Un de ses souvenirs ne la montre-t-elle pas, jeune, avec d’autres enfants, en train de tuer sauvagement un ragondin ?

C’est l’occasion de rappeler la position nuancée de l’Eglise sur la peine de mort. Les deux derniers textes du Magistère sur le sujet sont le Catéchisme de l’Eglise catholique (8 décembre 1992), n. 2265 à 2267, et l’encyclique de Jean-Paul II : l’Evangile de la vie (25 mars 1995), n. 55 à 56. La structure des deux textes est la même et l’encyclique cite abondamment le Catéchisme : elle cherche surtout à l’expliciter. Dans les deux cas, le texte ne refuse pas, par principe, le droit à l’Etat d’user de la peine de mort. Le raisonnement se fonde sur deux arguments. Tout d’abord, la peine de mort est un cas particulier de la légitime défense (appliquée au bien commun de la cité) ; il est important de noter que la légitime défense n’est jamais un meurtre direct, mais indirect : « la nécessité de mettre l’agresseur en condition de ne pas nuire comporte parfois sa suppression. » Toute suppression de l’agresseur, du délinquant dans un esprit de haine ou de vengeance disqualifie la légitime défense et donc la peine de mort. La seule intention doit être de protéger la vie (la sienne ou celle des personnes dont on a la charge), non de l’éliminer.

Ensuite, la peine de mort est, comme son nom l’indique, une peine ; or, toute peine présente une triple fonction : restauratrice (« compenser » l’ordre lésé), exemplaire (dissuader d’autres délinquants et « préserver la sécurité ») et médicinale (« contribuer à l’amendement du coupable »). Les deux premières fonctions concernent la cité (à titre curatif ou préventif) et la troisième le criminel lui-même. Le film paraît plaider en faveur de la fonction médicinale : indéniablement, c’est à l’approche de la mort que Matthew reconnaît sa responsabilité et se convertit. Il y a d’ailleurs là un paradoxe, puisque le personnage de Matthew Poncelet (donc sa conversion, la reconnaissance de la faute) est fictif, synthèse des deux condamnés à mort aux personnalités contrastées, Patrick Sonnier et Robert Willy, dont sœur Prejean raconte l’accompagnement dans le livre qui a donné son titre au film et dont beaucoup de dialogues sont tirés : le film est donc en tension entre l’intention politique et l’intention dramatique qui écorne la vérité.

Enfin, les deux textes du Magistère insistent sur la préférence que l’autorité civile doit accorder aux moyens non sanglants ; dans l’Evangile de la vie, Jean-Paul II note en plus la tendance croissante à réclamer la limitation de la peine de mort, voire la « totale abolition. » A de nombreuses reprises, le Saint-Siège s’est élevé contre elle : en décembre 1970, Paul VI est intervenu dans les procès de Burgos et de Leningrad, sauvant la vie à six Basques et à deux Juifs (Angelus du 1er janvier 1971). Le 4 mars 1983, Jean-Paul II a désapprouvé les exécutions capitales survenues au Guatemala, dans un télégramme adressé au Président de la Conférence épiscopale. Enfin, n’oublions pas qu’en présentant le Catéchisme à la presse, le cardinal Joseph Ratzinger a dit que, pour ce qui est de la peine de mort, la doctrine n’était pas définitive. C’est dans cette ligne que s’inscrit l’Evangile de la vie.

Remarque : Nous sommes en possession de ce que l’on appelle l’Editio typica ou édition définitive du Catéchisme de l’Eglise catholique, datée d’août 1997. Redisons-le. La première version du Catéchisme, datée de 1992, n’exclut pas le recours à la peine de mort « dans les cas d’extrême gravité », « si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains » (n. 2267). Entre temps, l’encyclique l’Evangile de la vie de 1995 affirme que la peine capitale n’a plus à être appliquée en raison du progrès de nos sociétés (n. 56). La version définitive du Catéchisme en prend acte et affirme au même numéro : « Aujourd’hui, en effet, étant données les possibilités dont l’État dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l’a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable « sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants » (Evangelium vitae, n. 56) ». Il faudrait aussi prendre en compte le propos du pape François, le mercredi 11 octobre 2017, même s’il n’a pas un poids d’autorité comparable.

Pascal Ide

Soeur Helen Prejean va accompagner jusqu’à sa mort Matthew Poncelet, condamné à la peine capitale pour l’assassinat de deux adolescents.

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