La chasse
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Pays:
Suédo-danois
Thème (s):
Mensonge, Pédophilie
Date de sortie:
14 novembre 2012
Durée:
1 heures 49 minutes
Évaluation:
**
Directeur:
Thomas Vinterberg
Acteurs:
Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Annika Wedderkopp
Age minimum:
Adolescents et adultes

La Chasse (Jagten), drame danois de Thomas VINTERBERG, 2012. Multirécompené, notamment par le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 2012. Avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Annika Wedderkopp.

Thèmes

Pédophilie, mensonge.

Dans La Chasse, Thomas Vinterberg montre avec lucidité le négatif de Festen (1998), à savoir la fabrique du faux pédophile, mais il jouit sans sobriété de nous y incarcérer.

 

Il y a plus de vingt ans, le réalisateur danois frappait juste en dénonçant l’impunité du patriarche abuseur, intouchable et intouché, et démasquant les multiples mécanismes présidant à sa violence psychique autant et plus que physique. Aujourd’hui, la pédophilie est devenue le mal absolu et absolument inexpiable d’une société qui, après avoir sacralisé l’image du père, l’a décapité (le parricide étant l’une des significations cachées de la Révolution française), pour intrôniser celle de l’enfant-roi, et donc faire de l’infanticide symbolique qu’est la pédophilie, le paradigme de l’abomination. Vinterberg a l’audace de s’attaquer aux effets pervers d’une telle absolutisation, conduisant à soupçonner sans procès, puis accuser sans preuve et enfin éliminer sans trace un innocent diabolisé. La mécanique qui conduit à cette tragédie est à la fois psychologique, sociologique, éthique et même théologique.

Le mécanisme psychiatrique, s’observe avec le plus de finesse chez Klara (dont j’admire le jeu, tout en m’insurgeant qu’un réalisateur ait le droit et que les parents l’y autorisent, à mettre de telles paroles dans la bouche d’une si petite fille). C’est une petite enfant fragilisée par une tendance à la phobie, voire aux TOC (couper une ligne, c’est franchir la limite, voire causer l’effondrement du monde).

La cause est aussi psychologique. Mal-aimée par ses parents, se sentant abandonnée notamment par son père, Klara transfère son besoin d’amour sur Lucas et, s’en sentant rejetée, voire jalouse de l’amitié amoureuse qui naît avec Nadja, elle se venge pour lui faire payer ce qu’elle ressent comme une exclusion insupportable.

Les rouages sont aussi systémiques et donc sociologiques. Lucas est le bouc émissaire du mécanisme victimaire universel si précisément décrit par René Girard (cf. la récente critique de La règle du jeu). En ses différentes étapes : la rivalité initiale (ici la jalousie), l’emballement mimétique (la multiplication des faux témoins), la désignation du pseudo-coupable, jusqu’au sacrifice final où l’incertitude sur le lyncheur symbolise son anonymat et donc son identification à la foule. En ses différents protagonistes. D’un côté le faux coupable est une vraie victime. Le méchant de Casino Royale (Martin Campbell, 2006) apparaît comme un « gentil » qui est peu capable non seulement de se défendre, mais de se représenter et d’anticiper le mal. Plus encore, la scène initiale le présente en sauveteur, donc à la fois comme bien intégré dans le groupe et comme différent de ces brutes viriles, alcoolisées, mais plutôt sympathiques. De l’autre, cette foule indifférenciée aux têtes d’autant plus multipliées et peu personnalisées qu’elles doivent se fondre-confondre en un seul corps sans relief ni conviction.

L’intrigue ose, avec lucidité et intrépidité, évoquer une autre cause, éthique, et ici réside la cause profonde de la destruction. La si mal prénommée Klara ne se contente pas de mentir et de persister dans son mensonge, elle en choisit la forme la plus destructrice, celle que l’Écriture condamne. En effet, l’Ancien et le Nouveau Testament disent non pas : « Tu ne mentiras pas », mais : « Tu ne porteras pas de faux témoignage » (Ex 20,16 ; Mc 10,18, etc.). Certes, l’entretien du mensonge est excusé par une famille qui a tôt fait de sacraliser la parole de leur fille, la met sur le compte de la honte, construit une argumentation non-réfutable, ajoute à la confusion de Klara et cause la contagion mimétique chez les autres enfants qui s’inventent une histoire collective victimaire (les travaux de Lœventrup ayant montré combien il est aisé de se construire des pseudo-souvenirs). Certes, elle fut troublée, voire scandalisée par l’image probablement sexuelle que l’ami du grand frère lui a montrée, et traumatisée par ce qu’Internet peut aujourd’hui et très tôt incruster dans la tête des enfants. Mais jamais le point de départ est nié : cette petite fille a beau être très jeune, elle possède une conscience morale, a une grande capacité de verbaliser et sait qu’elle ment. Le curé d’Ars, qui en savait si long sur le cœur humain, affirmait qu’un enfant de cinq ans est capable de commettre un péché mortel, c’est-à-dire d’accomplir un péché grave en conscience et liberté.

Enfin, osons une interprétation théologique en creux. Le meurtre (prétendument) résolutoire n’est rendu possible que par un groupe paganisé qui s’invente son mythe d’origine, nie l’universalité du péché originel [1] et sacralise l’enfant jusqu’à l’idolâtrer, car elle a vidé le Ciel du seul être digne d’être adoré.

 

Mais, obsédé par sa démonstration minutieuse, voire scrupuleuse, le réalisateur finit par manquer sa cible. Trop préoccupé de distiller avec doigté le malaise chez son spectateur, il invente une société improbable où jamais la médiation objective et institutionnelle (la police, puis le juge) ne vient confronter les personnes, dénoncer les comportements, protéger le suspect et enfin prononcer la parole qui libère le soupçonné du soupçon, menace la coupable, voire châtie les (nombreux) complices.

La première conséquence en est une dialectisation manichéenne où Lucas apparaît pur jusqu’à l’incohérence (comment un homme si fin dans le déchiffrement de la psychologie enfantine est-il si grossier dans la lecture du comportement des adultes ?). S’il se distingue tant du groupe par sa froideur distanciée, le traumatisme de son divorce et la souffrance due à l’éloignement de son fils tant aimé, pourquoi, un an plus tard, se précipite-t-il derechef dans les bras de cette populace hypocrite et faussement bienveillante ?

La deuxième conséquence est la construction complaisante d’un scénario où le dernier mot est à la désespérance sur l’humanité. Vintenberg a trop stylisé sa fable (elle se déroule pendant les trois mois les plus réfrigérants de l’année, d’octobre à décembre, dans un pays congelé), trop universalisé son héros (désingularisant ses traits, on ne saura, par exemple, jamais en quoi consiste exactement son métier), pour que, à notre tour, nous ne le soupçonnions pas de justifier par ce sombre récit sa misanthropie.

 

Les titres de Vinterberg disent le contraire de ce que ses films montrent : le repas de fête tourne au cauchemar ; la chasse met en scène un chasseur tué. Ici, le contenu finit par montrer le contraire de ce qu’est l’âme humaine contemplée dans un regard d’espérance. Alors, je ne peux que dénoncer le choix pour moi incompréhensible du jury œcuménique de Cannes. Certes, une histoire chrétienne digne de ce nom se refuse à l’innocence de l’humanité (nous avons dit pourquoi) ; mais elle se refuse tout autant à sa condamnation généralisée qui jamais ne darde sur elle au moins un regard porteur de la promesse d’un changement, donc d’une rédemption…

Pascal Ide

[1] Osons affirmer à rebours de la vulgate ambiante néo-rousseauiste : dans notre condition postlapsaire, il n’y a pas plus d’enfant innocent que d’adulte innocent.

Homme réservé, discret et apprécié de tous, Lucas (Mads Mikkelsen) travaille comme auxiliaire dans un jardin d’enfants dirigé par Grethe (Susse Wold). Récemment divorcé, il amorce une nouvelle relation amoureuse avec Nadja (Alexandra Rapaport) et améliore ses relations avec son fils adolescent Marcus (Lasse Fogelstrøm). C’est alors que, contre toute attente, une fillette de 4 ans, Klara (Annika Wedderkopp), fille de son meilleur ami, Theo (Thomas Bo Larsen), et de son épouse Agnès (Anne Louise Hassing), l’accuse à tort d’abus sexuels. Progressivement, les rumeurs sur sa prétendue pédophilie se répandent, d’autres témoignages d’enfants, troublants, semblent la confirmer ; la méfiance et l’exclusion s’installent dans le village ; pire encore, ses amis ou prétendus tels le délaissent. Lucas arrivera-t-il à faire triompher la vérité ? La petite Klara reconnaîtra-t-elle son terrible mensonge ?

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