Drame et thriller français de Fabrice Gobert, 2017. Avec Laurent Lafitte, Chiara Mastroianni, Pio Marmaï.
Thèmes
Personnalité narcissique, salut, EMI (expérience de mort imminente).
Les interprétations du film sont partagées, oscillant entre le drame fantastique louchant vers Orphée et le thriller réaliste lorgnant vers Fight Club. Mais la lectio facilior (la lecture plus facile) de la première ne doit être invoquée que si l’intrigue résiste définitivement à toute explication réelle, et la deuxième ne rend pas compte avec cohérence du profil psychique du héros (ainsi qu’on va le dire). Et si le récit nous contait une autre histoire ?
L’intrigue se répartit de manière limpide en trois actes : la réussite ; la chute ; le salut.
La première partie conte le quotidien, plus que l’ascension, d’une personnalité narcissique. En effet, les traits du comportement d’Antoine Leconte empruntent tous au profil, maintenant banalisé, de cette catégorie psychiatrique, précisément à la pire sous-espèce (avec les pervers) : les tyranniques, ceux qui jouissent du pouvoir exercé de manière dictatoriale. Et ces traits gravitent autour de deux pôles : la survalorisation de l’ego jusqu’au mépris le plus total de l’autre (Antoine ne se souvient pas plus de ses conquêtes d’un jour qu’il ne salue ses employés ou ne remercie ses collaborateurs) et le besoin d’être entouré d’une cour (dès la première scène où on le rencontre au bas du ring de boxe) ; l’insensibilité à la souffrance d’autrui.
De ce point de vue, l’on ne saurait renvoyer dos à dos les deux opinions présentes dans les critiques : celle, incompréhensiblement positive et empathique, de Frédéric Strauss dans Télérama, qui fait de Leconte une victime (« cassant et tendre, très physique et pourtant paumé idéal dans ce labyrinthe cérébral) dont on espère la revanche (il « finit par retomber sur ses pieds d’une manière séduisante, convaincante aussi »), et les autres, par exemple, celle de Thomas Sotinel dans Le Monde, qui en fait un « parfait salaud » – non sans malheureusement atténuer son jugement en le reconduisant sociologiquement au machisme (« une manière masculine d’être, fondée sur le recours à la force pour assurer sa supériorité ») et à la critique sociale de l’entreprise moderne en général et de l’atmosphère, sans foi ni loi, des chaînes de télévision privée en particulier. Seule la deuxième dévoile la vérité sur la personnalité éminemment toxique d’Antoine Leconte. Il est symbolique que la tentative d’assassinat survient après cette longue nuit où, successivement, il ne respecte pas le pugiliste qu’il a lui-même engagé, déçoit et méprise son amante d’un soir, humilie son épouse et ignore sa fille.
Ce que la vie montre trop rarement, le cinéma, lui, permet de le concrétiser. Toute la logique de mort dont vit le moi cancéreux d’Antoine est libérée dans la deuxième partie du film. La chute du tyran, favorisée par le long temps de coma, permet une reconfiguration progressive des liens et donc son exclusion. Le monde de violence, de mensonge, de manipulation et de stupre qu’il avait tissé autour de lui se défait pour laisser place au respect, à la vérité et à la fidélité – au moins minimalement. Plus encore, l’attitude vitriolique d’Antoine qui avait jusqu’ici rongé toutes ses relations, s’attaque dorénavant à son intégrité et menace sa santé mentale : ce qui apparaît comme une fenêtre ouverte sur le fantastique ne serait-il pas plutôt l’entrée dans le monde pathologique, voire dissocié, de ce narcissique hors norme, et son effondrement ? Quoi qu’il en soit, la violence morale exacerbée qui fut exercée contre les victimes produit en retour la violence physique contre le bourreau lui-même. Tout est résumé dans la parole hargneuse de celui qui, profondément humilié, lui lance : « Tu es vraiment une pourriture. Un jour, tu le paieras », et met sa menace à exécution.
Le plus souvent, les films sur les ambitieux despotiques sont construits en deux volets : grandeur et décadence. Ce n’est pas l’un des moindres mérites de K.O. que de lui adjoindre un troisième qui ébauche une remontée, voire une rédemption : depuis la reconnaissance de ses fautes jusqu’à la vulnérabilité incarnée dans la larme salvatrice, par le besoin de trouver, dans le combat, l’énergie pour ne pas sombrer dans la dépression qui le menace.
Mais est-ce vraisemblable ? Jamais la littérature n’a conté la guérison-conversion d’un narcissique surtout grand format. De plus, une telle interprétation (ici réaliste) ne prend pas en compte, dans les deuxième et troisième parties, le hiératisme des personnages, le décor presque épuré (que l’on songe à la rencontre irréelle avec le policier), la donnée selon laquelle, même si c’est en sa défaveur, toute la redistribution des rôles se fait de nouveau autour du personnage d’Antoine, etc. Par ailleurs, c’est oublier cette fin si étrange qui nous fait entendre la sonnerie continue et monotone (au sens étymologique) d’un scope – à joindre avec la médiation elle aussi salvifique de la jeune infirmière prise de compassion.
Faut-il donc retomber dans la lecture fantastique ? En effet, le réalisateur qui fut révélé par la série à succès Les Revenants fait évoluer son personnage dans un monde en partie irréel. Et si l’interprétation était que, depuis le début de la deuxième partie jusqu’à la fin, Antoine était demeuré dans le coma ? Ainsi que bon nombre d’E.M.I. (expériences de mort imminente) l’attestent, le héros aurait ainsi parcouru un itinéraire de prise de conscience et d’ouverture à l’autre. Si l’inconscient, tel que Milton Erickson le comprend, est une puissance d’autoguérison, n’aurait-il pu aider à renconstruire les liens blessés, au-dedans et au dehors – non sans participation de la volonté, mais sans aller jusqu’à la réconciliation extérieure ? Dès lors, la dernière image du film donnerait à entendre à la fois la mort et le salut – l’achèvement d’une vie. Merci à l’ami fidèle pour cette hypothèse onéreuse, mais avantageuse, qui permet d’assurer une cohérence à laquelle aucune autre interprétation ne peut prétendre.
Par cet entre-deux du rêve et de la réalité, du monde des presque-morts et des vivants, le film se situerait quelque part entre Le sixième sens et Inception – la géniale simplicité de M. Night Shyamalan et la géniale prolixité de Christopher Nolan en moins –. Toutefois, ce ne serait pas honorer l’originalité du scénario qui, pour être maladroit, tente de nous conter, fait assez rare pour être souligné, la rédemption intérieure d’une personnalité narcissique.
Pascal Ide
Antoine Leconte (Laurent Lafitte) est le bras droit du propriétaire d’une chaîne de télévision privée, avec pour mot d’ordre : « Ne demande pas les choses, obtiens-les ». Il est aussi dominateur dans son milieu professionnel que dans sa vie privée. Mais les personnes commencent à réagir. Son management arrogant et destructeur conduit à une révolte des salariés. Sa femme, Solange (Chiara Mastroianni), qui est aussi animatrice de la station, s’apprête à publier un roman où elle dévoile la personnalité violente de son mari. Enfin, son mépris dominateur de ses collaborateurs conduit l’un de ceux-ci, Edgar Limo (Sylvain Dieuaide) à attenter à sa vie.
Après une période de coma, Antoine se réveille à l’hôpital, le torse couturé d’une impressionnante cicatrice. Il découvre brusquement que tout a basculé : alors qu’il est convaincu qu’on lui a tiré dessus, son entourage lui explique, vidéo à l’appui, qu’il a été victime d’une crise cardiaque ; le directeur des programmes est devenu un ringard présentateur du bulletin météo sans ambition ; le luxueux hôtel particulier du 16e arrondissement qu’il partage avec son épouse est troqué contre un appartement plus modeste où il vit désormais seul ; son assistante Dina (Zita Hanrot) jusqu’ici méprisée, occupe des postes plus enviables ; son pire ennemi, le représentant des salariés, Benezer (Jean-Francois Sivadier), devient un complice encourageant. Antoine va-t-il demeurer K.O. ou réagir ? Mais, au fait-il, s’agit-il d’un rêve ou de la réalité ? Ou plutôt, d’un complot ou d’un cauchemar ?