Jusqu’au bout du monde
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Pays:
Mexicano-canado-danois
Thème (s):
Amour durable, Guerre
Date de sortie:
1er mai 2024
Durée:
2 heures 9 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Viggo Mortensen
Acteurs:
Viggo Mortensen, Vicky Krieps
Age minimum:
Adolescents et adultes

Jusqu’au bout du monde (The Dead Don’t Hurt), western mexicano-canado-danois écrit, mis en musique, réalisé et interprété par Viggo Mortensen, 2023. Présenté en avant-première au festival international du film de Toronto 2023. Avec Viggo Mortensen et Vicky Krieps.

Thèmes

Amour durable, guerre (méfaits de la).

Si le deuxième film de Viggo Mortensen, dont il est là encore réalisateur, scénariste, acteur et compositeur, présente bien des mérites, il est regrettable qu’il soit assombi par des problèmes de forme et de fond.

 

  1. Grands sont les mérites de celui que je ne peux cesser d’identifier à Grands Pas-Aragorn, dont il a su si bien rendre la figure romantique et la tension dramatique. Même si, nous y reviendrons, les personnages sont trop indépendantes, le cinéaste a su transmettre sa conviction en un amour fidèle. Le récit célèbre ce qui fait tenir un couple dans la longue durée : la reconnaissance de l’incommensurabilité du mystère d’autrui (le difficile dialogue lors du retour de la guerre), l’attention à l’autre (belle surprise de Vivienne découvrant Holger creuser ce qui deviendra le premier parterre), la connaissance, plus, la compréhension de l’aimé (dans le déplacement opéré pour mieux saisir la logique de l’autre : « Je n’aurais pas dû partir. – Tu avais besoin de partir »), la nécessité de dire « Je » pour pouvoir dire « Tu » et construire un « Nous » (le bain purificateur préalable aux vraies retrouvailles), la multiplication des micro-actes qui engendre la vertu (les lettres qui entretiennent le lien pendant la longue absence), la fécondité de l’amour (la capacité à accueillir l’enfant du viol et de la violence, qui s’étend à l’éducation : belles scènes où Holger apprend à celui qu’il a adopté les gestes de la vie dans l’Ouest encore ensauvagé : la chasse, et bientôt domestiqué : écrire).

Mais le principal mérite du western réside peut-être dans la monstration de ce que ce genre atteste trop rarement : les méfaits de la guerre sont systémiques ; autrement dit, ses ravages n’épargnent ni les soldats ni les civils, ni ceux qui sont sur le front, ni ceux qui ne sont que physiquement éloignés. Longue est la conscience que la première dévastation n’est pas seulement corporelle, mais d’abord psychique. Plus longue encore est la prise de conscience qu’elle s’étend à ceux qui semblent protégés et que, de plus, la guerre voulait préserver. Tout est résumé dans un échange de questions : « Comment fut ta guerre, demande Viv ? – Comment fut ta guerre, répond Holger en miroir ? ».

 

  1. Demeure d’abord une erreur de forme. On le sait, le cinéma actuel abuse de la prolepse. Celle-ci est sensée doper le suspense. Ici, elle l’annule purement et simplement. Cette anticipation est souvent une solution de facilité, parfois un indice de paresse. Dans Jusqu’au bout du monde, elle signe un acte de décès. De manière incompréhensible, elle rend toutes les tensions et leurs résolutions prévisibles. Sauf les ambivalences, d’ailleurs inexpliquées. Comme ce trou qui vaut tombeau autant que parterre, comme ces fleurs qui célèbrent la vie et l’amour ou expriment la mort, comme le départ-fuite-deuil qui est autant poursuite du tueur qu’arrachement à la souffrance et quête fataliste d’un destin tragique.

Et nous sommes ainsi invités à passer de la forme au contenu éthique. Pourquoi pas le féminisme implicite quand il est l’occasion de fêter la belle figure de Jeanne d’Arc à laquelle s’identifie la fleuriste québécoise ? Mais pourquoi cette insistance si répétée qu’elle en devient militante, sur une indépendance qui finit par nier les liens les plus évidents ? « De qui est cet enfant ?, demande Holger – De moi », répond Vivienne. Dans sa toute-puissance, ce déni rappelle le mot d’Ève juste après la chute et juste avant le meurtre d’Abel, dont André Wénin a montré toute la charge violente : « J’ai acquis un homme avec l’aide du Seigneur ! » (Gn 4,1). En paraissant humblement inviter Dieu son créateur, elle exclut revendicativement Adam, le père procréateur. Or, l’on sait combien cette violence inaugurale s’est répercutée dans les exclusions qui ont suivi en cascade. Assurément, la violence commise par Vivienne s’explique par celle qu’elle a subie. Mais elle ne saurait excuser les répercussions sur l’innocent, à savoir l’enfant.

Cette indépendance se poursuit dans la décision qui demeurera toujours inexpliquée de ne pas épouser celui que, pourtant, elle aime profondément. Elle conduira à une conséquence logique, mais encore plus absurde, leur séparation : le sadisme (commis par vengeance ou égoïsme, et non pas par perversion) se retourne tôt ou tard en masochisme. Enfin, elle résonne, de manière toujours insondée, dans l’attitude d’Holger dont l’unique objectif, personnel, est d’aller au bout du monde (heureuse traduction-interprétation du titre en français). Motivation si centrale qu’elle fait inclusion : dans la scène initiale, elle sous-tend son arrivée en Californie ; dans la scène finale, elle anime son retour au Pacifique où, face à l’océan, au soleil couchant, les larmes de l’ex-shérif sont censées susciter celles du spectateur. Pour ma part, je ne faisais que me demander en quoi pouvait être con-solant celui qui, esseulé, était dé-solé de la mort de l’être aimé…

Autre questionnement éthique. L’on a bien compris que le charpentier danois s’est refusé à toute compromission en remettant son étoile de shériff et en payant lui-même sa location au maire corrompu. On a aussi intelligé son impuissance face à la cupidité idolâtrique du très petit nombre, la complicité active d’un nombre intermédiaire (en particulier ce juge inique qui ose convoquer Dieu pour couvrir son ignoble mensonge) et la lâcheté (passive) du grand nombre. On a aussi entendu que, dans l’emballement de la violence mimétique, le seul salut est héroïque : l’identification à la victime innocente, au grand risque de ne faire qu’élargir le lynchage. Mais l’absence de toute justice résolutoire frustre le spectateur de la légitime catharsis qu’il est en droit d’attendre après cet étalage presque complaisant d’insupportables ignominies, actives ou passibes (et si, à la suite d’Aristote, mes critiques convoquent souvent ce processus cathartique, cela provient d’un besoin anthropologique qui fonde le droit le plus strict du spectateur et le devoir corrélatif du dramaturge).

 

Mais ne renions pas notre joie et ses multiples raisons : celle des paysages grandioses et sauvages de Durango, au Mexique ; celle d’une femme qui, en transformant un ravin sec et caillouteux en un éden fleuri, fait fructifier son indépendance intransigeante en une appartenance abondante (féconde) ; celle d’un homme qui, après avoir cédé à une fuite égoïste, répare par une serviabilité altruiste ; celle d’un couple qui transcende l’épreuve en preuve d’amour durable.

Pascal Ide

  1. L’Ouest américain. Première scène : une cavalière, seule et en armure, dont on découvrira qu’elle est Jeanne d’Arc, traverse les bois. Deuxième scène : un homme veille une femme qui vient de mourir. Troisième scène : un homme en tue six autres dans un accès de folie et s’enfuit.

Alors commence l’histoire qui alterne le passé et le présent. Vivienne Le Coudy (Vicky Krieps), fleuriste d’origine québécoise, rencontre de Holger Olsen (Viggo Mortensen), un charpentier immigré d’origine danoise. Cette jeune femme résolument indépendante qui refuse de se marier, accepte néanmoins de quitter San Francisco pour vivre avec lui le suivre dans le Nevada, où il a élu domicile. Elk Flats, elle découvre une maisonnette laissée à l’abandon, en lisière d’une forêt. Dès lors, le film se donne pour mission de suivre ses efforts pour transformer le lieu en un éden fleuri.

Mais lorsque la guerre de Sécession éclate, Olsen décide de s’engager et Vivienne se retrouve seule. Elle doit désormais affronter Rudolph Schiller (Danny Huston), le maire corrompu de la ville, qui protège Alfred Jeffries (Garret Dillahunt), un propriétaire terrien cupide, et surtout les avances de son fils brutal et libidineux, Weston Jeffries (Solly McLeod). Pourra-t-elle se défendre, seule, contre ces hommes ? Olsen rentrera-t-il du front après des années de guerre et, si oui, s’aimeront-ils toujours ?

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