Jalouse
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Thème (s):
Blessure, Jalousie, Mal, Personnalité Narcissique
Date de sortie:
8 novembre 2017
Durée:
1 heures 42 minutes
Directeur:
David Foenkinos, Stéphane Foenkinos
Acteurs:
Karin Viard, Anne Dorval, Thibault de Montalembert

 

 

Jalouse, drame français de David Foenkinos et Stéphane Foenkinos, 2017. Avec Karin Viard, Dara Tombroff, Anne Dorval, Thibault de Montalembert, Anaïs Demoustier, Bruno Todeschini.

Thèmes

Jalousie.

L’excellent film écrit et scénarisé par les frères Foenkinos présente un tableau presque caricatural de jalousie, qui semble même dériver vers la personnalité narcissique. Mais, plus inattendu, il paraît nous présenter son issue, au moins partielle. Cette guérison est-elle crédible ?

 

Dès la scène inaugurale, le tableau de la jalousie est brossé avec légèreté, mais en toute vérité : de la tristesse de savoir son ex-mari heureux de partir aux Maldives avec sa nouvelle épouse (« Moi, tu m’emmenais à Dijon chez tes parents ») à la minimisation-annulation des talents de sa fille (« Elle n’a pas un gros stock de neurones »), jusqu’à la comparaison avec elle (« Tout le monde m’a dit que Mathilde était merveilleuse, et moi, rien ») et à la consolation-compensation de cette morosité par l’alcool (« Sophie, passe-moi la bouteille »). L’une des originalités, voire des audaces du film consiste d’ailleurs à montrer cette jalousie s’exercer non pas d’abord dans le cadre en quelque sorte horizontal du couple, de l’amitié ou de la fratrie, mais dans le cadre intergénérationnel, plus encore dans celui tabou des relations mère-fille.

Tous les traits de cette description – que j’oserais qualifier de clinique – sont au rendez-vous : le premier d’entre eux, si souvent minimisé, la tristesse (Nathalie ne sourit presque jamais de bonheur) ; l’incapacité à se réjouir du bonheur de l’autre et la tendance compulsive à le dénigrer ; l’esprit spontanément plus critique que laudatif, surtout à l’égard des personnes réputées ou brillantes – emblématique est son attitude envers Mélanie, aussi jeune que douée – ; le positionnement spontané en rivalité ; l’agitation (rien n’apaise la tristesse innommée) ; la contagion, c’est-à-dire la progressive extension à tous ceux dont la trop grande lumière ternit son besoin de reconnaissance ; et, au fond, l’absence d’estime de soi, de confiance en soi (par exemple, en sa capacité de plaire et de nouer une nouvelle relation durable) et de reconnaissance de ses propres talents.

Le film s’essaie au diagnostic étiologique, surtout pour écarter les causes somatiques (le médecin généraliste évoque une peu crédible période de « transit » vers la ménopause…), et psychiques (nulle allusion à une histoire traumatique ou à une hérédité familiale chargée), soulignant donc en creux le caractère immoral de cette attitude si toxique, pour le jaloux autant que pour l’entourage.

 

Or, la jalousie ici mise en scène est à ce point envahissante qu’elle confine au narcissisme. Dès lors, d’amusant, le tableau devient inquiétant, voire révulsant. Là encore, la description est d’une précision médicale, égrenant tous les symptômes caractéristiques : la centration permanente sur l’égo, le syndrôme du « moi je » ou du « moi d’abord » ; la conviction répétée de sa supériorité (ici intellectuelle) ; le déni systématique d’altérité ; la transgression sans regret ni trouble de conscience (allant jusqu’au mensonge et au vol, dans le cas de voyage organisé par son ex-mari et sa nouvelle femme) ; la manipulation et même la persécution (à l’égard de Mélanie) ; l’absence totale de contrition après avoir lésé l’autre et de compassion à l’égard de la souffrance commise ; ainsi que la carence tout aussi patente de gratitude. Le tout sur fond de talents indéniables (son intelligence de la littérature, sa pédagogie et son autorité sur ses élèves) : n’est-ce pas au nom du soleil de ses dons que le narcissique cherche à faire oublier le trou noir de son comportement destructeur – non sans la responsabilité de son entourage ?

 

Mais foin de toutes ces approches diagnostiques qu’il serait possible de préciser beaucoup plus, tant le film multiplie finement les signes et les exemples. La question centrale est : Nathalie change-t-elle authentiquement ? Celle dont le nom, le film nous l’apprend, signifie « naissance » est-elle renée ?

Tout le scénario tend à nous le faire accroire, et nombre de critiques interprètent l’histoire comme une évolution. En effet, méthodiquement, la jalousie de Nathalie a le génie de miner toutes les différentes relations qui tissent sa vie jusqu’à les détruire : avant tout familiales avec sa fille, mais aussi professionnelles, potentiellement amoureuses avec Sébastien et même amicales avec Sophie. Or, avec la même minutie, l’intrigue les reconstitue progressivement. En particulier, Nathalie se réconcilie avec Sébastien au cimetière Montmartre dans une belle scène, baignée de lumière et enveloppée de la douce médiation de morts soudain très présents (quelle belle trouvaille que celle d’inscrire ce kairos à l’ombre de la présence de cette vieille dame inconnue et pourtant en rien anonyme, puisqu’elle répond au nom de Madeleine Pinchot !). D’ailleurs, heureusement, les différents protagonistes résistent avec une belle lucidité aux multiples manigances de Nathalie, ce qui nous permet de ne pas les victimiser.

Toutefois, nombre d’éléments importants nous portent à refuser cette évolution positive.

D’abord, ce que l’on peut deviner du passé immédiat. En effet, Jean-Pierre n’a pas choisi comme nouvelle épouse cette caricature, jeune et sotte, dont médit la jalouse, mais une femme bonne qui, si elle n’est ni cultivée ni brillante, a développé une vive intelligence relationnelle. Cet anti-type si patent de l’héroïne en dit long sur ce que son ancien mari a dû pâtir, donc sur cette malice méprisante qui ne valorise tant l’esprit que pour mieux écraser l’autre de sa supériorité.

Ensuite, les raisons avancées pour expliquer la métamorphose de la jalouse apparaissent bien insignifiantes. Surtout, elles sont sans commune mesure avec la gravité de la pathologie. Au fond, elles se réduisent à quelques heureuses rencontres (surtout la vieille dame de la piscine, mais aussi le professeur de yoga) et à quelques conseils d’exercices physiques (faire de la piscine ou du yoga). Une attitude aussi destructrice ne s’est pas mise en place en quelques mois (et d’ailleurs, n’est jamais sans antécédents personnels et familiaux) ; elle ne disparaîtra donc pas en quelques instants. Elle relève de traumatismes psychiques profonds (affectant l’estime de soi de manière durable) ; elle ne saurait par conséquent être traitée par des moyens seulement physiques et symptômatiques.

Plus encore, il est à craindre que la principale raison de l’apparent changement de Nathalie soit d’origine extérieure : la rencontre tant attendue du quinqua amoureux. Or, les études psychologiques – comme le bon sens – l’attestent, les modifications exogènes ne s’accompagnent pas de changements intérieurs : le solo le plus tristement en manque de mariage et d’amour qui, enfin, rencontre l’âme sœur idéale, se retrouve, après quelques mois, au même degré de morosité que celui qui plombait sa vie de célibataire. Donc, dès que l’occasion se présentera, dès la première déception avec Sébastien, Nathalie resombrera dans son narcissisme à figure de jalousie maladive.

On objectera que notre analyse est bien sombre. Mais c’est le film lui-même qui l’est, et avec lucidité. Très astucieusement, il nous fait croire à un changement de l’héroïne, de sorte que nous participons au jeu de dupe qu’elle agence autour de sa personne. Or, à chacune des prétendues réconciliations, l’on peut opposer une objection de taille. Surtout, au terme, il y a le très révélateur aveu : « Jalouse, non, je ne crois pas ». Loin d’être à porter au compte de la saillie finale, il est la révélation accomplie que l’histoire, dans son apparente diachronie, n’était que la description synchronique achevée d’une figure : le Jaloux. Autrement dit, cet aveu vaut déni – d’autant que, fait à un voisin inconnu que nul autre protagoniste ne pourra rencontrer, il ne court en rien le risque d’être ébruité. D’ailleurs, rien, sur les traits de Nathalie ne montre qu’elle soit touchée par un récit qui, racontant en miroir sa propre histoire, devrait la conduire à un regret ému.

On objectera aussi que Nathalie semble non seulement admirer sa fille, mais la défendre courageusement en apostrophant vertement ce jury infame. Mais elle n’en fait qu’à sa tête, conjure toute possibilité de repentir, fait passer son attitude rebelle pour de l’amour familial et, là encore, ne prend nullement en compte le désir de sa fille, donc dénie toute altérité. Surtout, comment ne pas s’alarmer de la dénégation persistante de son acte manqué, à savoir la tentative manquée d’élimination de Mathilde ? C’est la fille de Sophie qui dit vrai : ses parents ont invité un assassin sous leur toit… Une nouvelle fois, nous sommes en droit de nous interroger sur la complicité coupable de ce réseau narcissique qui se tait jusqu’à excuser le coupable et qui, dans sa passivité manipulée, entretient la toxicité de la personnalité destructrice.

 

Comme toute comédie digne de ce nom, Jalouse fait rire de ce qui devrait nous faire pleurer, en mettant en scène une personne qui s’avère être un personnage, c’est-à-dire un masque ou mieux, un type – comme le faux dévot, le misanthrope ou le malade imaginaire –. Mais, à la différence de la majorité des comédies classiques, le film nous fait un moment croire à son évolution, pour nous révéler au final la personne dans le même type enfermé et enfermant.

Pascal Ide

Nathalie Pêcheux (Karin Viard), accueille chez elle, avec l’aide de sa meilleure amie, Sophie (Anne Dorval), sa fille Mathilde (Dara Tombroff) qui arrive avec son compagnon, Félix (Corentin Fila), pour fêter ses 18 ans. Alors que tout le monde se réjouit du bonheur de cette jeune fille ravissante qui est promise à une carrière de danseuse classique et à qui tout sourit, Nathalie, divorcée, nourrit une jalousie obsessionnelle à son égard. Le lendemain, nous la retrouvons à l’école où, professeure de lettres en khâgne, elle rencontre la nouvelle et jeune enseignante de sa matière, Mélanie (Anaïs Demoustier), dont elle sape aussitôt l’enthousiasme avec autant de radicalité que de sagacité. Progressivement, toutes ses relations passent à la moulinette de ce dénigrement systématique : bien sûr, celle avec son ex-mari, Jean-Pierre (Thibault de Montalembert), mais même celle qui s’ébauche avec un sympathique célibataire, Sébastien (Bruno Todeschini), que Sophie lui présente. Jusqu’où ira cette plongée dans la jalousie ? Et surtout, qui Nathalie entraînera-t-elle avec elle dans cette course à l’abîme ?

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