Insaisissables 2
Thriller américain de Jon M. Chu, 2016. Avec Lizzy Caplan, Jesse Eisenberg, Daniel Radcliffe
Thème
Illusion.
Insaisissables 2 n’est certes pas un grand film. Mais il est davantage qu’une simple amplification, en plus spectaculaire de l’opus 1 (Insaisissables de Louis Leterrier, sorti en 2013), comme le sont la majorité des franchises (le troisième était déjà annoncé un an avant la sortie du deuxième). Tout en renouvelant astucieusement le premier, il donne à réfléchir sur ce divertissement par excellence qu’est la magie, mieux sur la magie de la magie.
Certes, la magie est d’abord tour de passe-passe, habileté qui rend hommage au talent du prestidigitateur si bien nommé. Et, comme le premier, le deuxième volet de la saga nous donne à voir, pour notre plus grand plaisir et avec la plus haute expertie (Jay Chou, qui rejoint également l’équipe, est, dans la vie, un magicien chinois professionnel), quelques numéros qui culminent dans la scène virevoltante de la carte volante – et volante, parce que volée…
Mais elle est aussi et plus profondément, illusion. Le magicien ne fait pas que dissimuler ses trucages, il trompe le spectateur – qui est le premier ravi de s’être laissé leurrer et ne demande rien de tel que le frisson de la surprise estomaquée, lorsqu’il n’en est pas le pigeon. Cette jouissance renvoie d’ailleurs en miroir à celle de tout homme de spectacle en général et du magicien en particulier. En cela, la magie devient un art. Le film nous révèle aussi que ce n’est pas tant le spectateur que son cerveau qui le trompe. Cela, par cette propriété que sont les états de conscience modifiée dont use la technique hypnotique – mais dont le film abuse : jamais une personne qui connaît l’astuce ne pourrait tomber si vite en transe profonde ; surtout, jamais elle n’agirait contre ses convictions profondes, ainsi que le génial rénovateur de l’hypnose, Milton Erickson, l’a démontré. Pourtant, l’informaticien que, dans le premier spectacle, les Cavaliers manipulent, tient un discours aux antipodes de ses croyances.
Ces deux niveaux de magie demeurent fidèles à son étymologie empruntée à la langue-mère des langues indo-européennes, le sanskrit : maya y signifie illusion. Mais ils n’accomplissent pas sa vocation la plus radicale. Si l’homme aime à être dupé avec son accord par un talentueux artiste, il aime encore plus, en comprendre par après la raison. En effet, nous sommes faits pour la lumière ; or, si vous me permettez une nouvelle étymologie elle aussi parlante, la vérité se dit en grec aléthéia, et Léthée est le nom donné au fleuve de l’oubli dans les Enfers ; ainsi, vérité signifie littéralement le non-oubli, ce sur quoi se lève le voile qui avait conduit à son oubli (Jason Bourne ne pourrait qu’y acquiescer !). Dès lors, la magie devient la métaphore, plus, le symbole, de ce passage de l’ombre à la lumière, de l’oubli à la reconnaissance, caractéristique de toute quête de vérité authentique. Dès lors, l’on comprend que les héros ne feraient que trahir la magie en l’instrumentalisant au service du vol et que, tout au contraire, ils en accomplissent la vocation en la mettant au service de la justice qui est vérité : déjouer les faux semblants, arracher le masque hypocrite de la bonne foi derrière lequel l’injustice se voile toujours. Plus que cela, seul celui qui sait comment l’on trompe l’attention peut démasquer et dénoncer l’usurpateur. A ce sujet tout le monde a noté l’heureuse trouvaille d’avoir pris comme méchant un magicien professionnel, le sorcier de Poudlard ; mais presque tous les observateurs ont aussi souligné sinon l’erreur de casting, du moins la faiblesse de la direction d’acteurs…
La magie ne sort de l’addiction et de la transgression que si elle est un enveloppement qui appelle ultimement le dévoilement. Pour cela, elle emploie de manière privilégiée le principe de l’emboîtement : emboîtement des histoires, que peut signaler un emboîtement des lieux, ainsi que l’atteste l’astuce finale qui, riens moins que cela, avait englobé un jet privé dans une boîte sur la Tamise. En effet, alors que l’histoire suivie par le spectateur à un rythme assez haletant pour qu’il n’a pas le temps de prendre du recul, paraît conduire à la tragédie, elle est en fait maîtrisée et englobée de bout en bout, et s’achève en comédie. Or, cette inversion du temps et de l’espace devient une conversion à la justice et à la vérité : le manipulateur était en fait manipulé, la victime est innocentée et le coupable puni. Nous est aussi enseignée une grande loi de vie : l’énoncé erroné peut se transformer en vérité partielle quand il est réinterprété à partir d’une perspective plus large et intégré dans un exposé plus généreux.
Insaisissables 2 nous fait donc entrer dans le monde multiple et emboîté de la magie, plus encore, il opère comme elle. À un premier degré, elle (il) nous divertit en nous manipulant avec notre plein gré car le jeu est sans enjeu. À un deuxième, elle s’inverse et se (dé)tourne de son innocence, en leurrant le pigeon et faisant triompher l’ego du manipulateur-arnaqueur. Mais, à un ultime degré, elle peut se retourner en moyen de guérison – Dylan Rhodes (Mark Ruffalo) sort de la fatalité de la répétition, en redoublant pour lui-même la scène de la mort de son père –, voire en moyen de rédemption – effleurant le thème des jumeaux, central dans Le prestige de Christophe Nolan (voilà un grand film sur la magie !), Merritt McKinney (Woody Harrelson) atteste par contraste avec son double criminel que les faux voleurs du premier opus sont de vrais justiciers.
Pascal Ide
Un an après avoir surpassé le FBI et acquis l’admiration du grand public grâce à leurs tours exceptionnels, les quatre Cavaliers – J. Daniel Atlas (Jesse Eisenberg), Jack Wilder (Dave Franco), Dylan Rhodes (Mark Ruffalo) et Merritt McKinney (Woody Harrelson) – reviennent, non sans s’enrichir d’une équipière de talent et de charme, Lula Lizzy (Caplan). Toutefois leur spectacle est animé par une tout autre intention : non plus distraire, et accessoirement dérober le bien d’autrui, mais, au contraire, dénoncer les méthodes peu orthodoxes de Walter Marbry (Daniel Radcliffe), un magnat de la technologie qui est aussi à la tête d’une vaste organisation criminelle. C’est toutefois sous-estimer leur adversaire. L’homme d’affaires a une longueur d’avance sur eux, et les conduit dans un piège : il veut que les magiciens braquent l’un des systèmes informatiques les plus sécurisés du monde. Qui, des deux, réussira à jouer l’autre ? A moins que tous deux ne soient eux-mêmes la proie d’une illusion (une magie) encore plus large ?