Inception et Mr. Nobody
Inception, film de science-fiction américain de Christopher Nolan, 2010. Avec Leonardo di Caprio, Marion Cotillard et Ellen Page.
Mr. Nobody, film de science-fiction belge de Jaco van Dormael, 2009. Avec Jared Leto, Diane Kruger et Sarah Polley.
Thème principal
Soif d’infini
Thèmes secondaires
Amour, deuil, don de soi, ouverture des possibles, rêve, soif d’infini
Virtuose et ambitieux, Mr Nobody traite du même thème que le blockbuster de l’été 2008, Inception : le rêve (ou le possible) est-il une issue hors de la prison du réel ?
Le troisième film de Jaco van Dormael part du dilemme insoluble d’un petit garçon de neuf ans qui doit choisir entre son père et sa mère. Ce déchirement intérieur va entraîner une déchirure dans le temps du héros. Même si le train qui emmène la mère vers l’inaccessible Canada porte un écriteau ‘No smoking’, allusion au film éponyme d’Alain Resnais qui explore les bifurcations de la liberté (fumer ou ne pas fumer ?, etc.), Némo Nobody va vivre non pas deux existences, mais toutes celles qui sont possibles. A l’image de son nom impersonnel, il ne veut se priver d’aucune vie (le film nous en donnera à voir pas moins de douze, chacune avec sa grammaire propre).
Inception pose le même problème, mais le résout en sens inverse. Ariane, l’architecte surdouée, sera d’abord séduite par l’ouverture aux possibles qu’offre le rêve. Mais elle découvrira vite le prix à payer chez ses compagnons : la dépendance, jusqu’à la tentation suicidaire. Touché par l’exemple et l’aide d’Ariane, seul personnage mû par le don gratuit de soi, Dom Cobb choisira la réalité : celle-ci lui offre ses enfants, alors que l’épouse de ses rêves n’est au fond qu’un prolongement de ses souvenirs. Mais la réponse est-elle satisfaisante ? Et si ses enfants étaient décédés ? Cobb ne préférerait-il pas l’illusion euphorisante du songe au manque insupportable qui l’attend dans le réel ?
Mais Némo est-il plus cohérent ? Lorsqu’il s’éteint, c’est l’unique nom d’Anna, son grand amour (celle qui lui disait : « Renoncer à toutes les vies possibles pour n’en vivre qu’une »), qu’il prononce et vers lequel, réversibilité du temps aidant, il retourne.
N’y a-t-il donc aucune issue entre le tragique d’un monde fini où l’on rencontre l’autre mais aussi sa possible mort, et le monde indéfini du songe (qu’il s’agisse du rêve, de la fantasy, de Second life, des drogues, etc.) où l’on conjure toute mort, mais aussi toute altérité ?
Les deux réalisateurs font de l’amour la réponse. Nolan, que l’on surnomme le moraliste d’Hollywood, a même courageusement intégré le renoncement du deuil. Sans doute. Mais tout amour n’étanche pas la soif d’absolu qui inquiète le cœur de l’homme.
Nous retrouvons une question qui nous a souvent retenu car elle fait le succès de beaucoup de films récents comme Avatar. La réponse de la psychanalyse – renoncer à la toute-puissance et consentir à la finitude –, pour être nécessaire, n’est pas suffisante. Elle sonde la misère de l’homme sans Dieu, mais elle n’honore pas sa grandeur qui se comprend seulement dans la communion avec Dieu. Une nouvelle fois, l’écran nous dit en creux que l’homme est un écrin fait pour rien moins que la vision béatifique.
Némo Nobody va vivre non pas deux existences, mais toutes celles qui sont possibles, même celles qui ne furent qu’imaginées. Le film nous en donnera à voir pas moins de douze, chacune avec sa grammaire propre. Par exemple, les vies avec les trois épouses auront leur couleur dominante, leur type de cadrage, etc.
Entre Effet papillon et L’étrange cas de Benjamin Button, ce film foisonnant laisse toutefois un goût d’inachevé. Une question irrésolue parmi une myriade : pourquoi avoir donné un nom si anonyme pour un héros si singulier ? Une incohérence parmi beaucoup : si toutes les vies se valent, pourquoi avoir fait d’Anna le grand amour vers lequel ?
Inception, lui aussi fort complexe, n’est pas non plus sans défaut : empruntant à la seule symbolique masculine, celui que l’on surnomme le moraliste d’Hollywood sacrifie la compassion à l’action et la poésie à l’explication. Il parle de rêve plus qu’il ne fait rêver…
Dom Cobb est un voleur expérimenté – le meilleur qui soit dans l’art périlleux de l’extraction : sa spécialité consiste à s’approprier les secrets les plus précieux d’un individu, enfouis au plus profond de son subconscient, pendant qu’il rêve et que son esprit est particulièrement vulnérable. Très recherché pour ses talents dans l’univers trouble de l’espionnage industriel, Cobb est aussi devenu un fugitif traqué dans le monde entier qui a perdu tout ce qui lui est cher. Mais une ultime mission pourrait lui permettre de retrouver sa vie d’avant – à condition qu’il puisse accomplir l’impossible : l’inception. Au lieu de subtiliser un rêve, Cobb et son équipe doivent faire l’inverse : implanter une idée dans l’esprit d’un individu. S’ils y parviennent, il pourrait s’agir du crime parfait. Et pourtant, aussi méthodiques et doués soient-ils, rien n’aurait pu préparer Cobb et ses partenaires à un ennemi redoutable qui semble avoir systématiquement un coup d’avance sur eux. Un ennemi dont seul Cobb aurait pu soupçonner l’existence.