Hôtel Artémis, science-fiction américain de Drew Pearce, 2018. Avec Jodie Foster, Sterling K. Brown, Sofia Boutella, David Bautista, Jeff Goldblum.
Thèmes
Salut, amour, loi.
Comment mettre K.O le chaos ? Ce petit film décalé (jusque dans la prestation de Jodie Foster) donne à méditer cette question qui hante tant de films actuels de science-fiction. Pour une fois, non sans espérance.
Privatisant l’eau et donc aggravant la fracture sociale, Los Angeles dans un avenir très proche est devenu un chaos au point que ce scénario, dont le réalisateur est aussi l’auteur, pourrait inventer le sous-genre du film pré-apocalyptique. Ce qui est vrai de toute la ville se vérifie à échelle réduite de cet hôpital transformé en hôtel et dirigé par une infirmière transformée en médecin grâce aux nouvelles technologies. L’outillage est aussi ultrasophistiqué que les patients sont ultra-transgressifs. Enfin, ce Sin City – dont on sait qu’il s’inspire autant de Babylone que de Sodome et Gomorrhe – avec la violence mais sans le sexe, se reflète dans l’âme de chacun des occupants de l’Artémis. Ces trois niveaux communiquent selon les relations causant-causées caractéristiques des « structures de péché ». Fractalité oblige.
Le premier rempart contre ce chaos psycho-éthique (personnel) et systémique (interpersonnel) semble être, au dehors, la loi (les trois interdits systématiquement rappelés par Jean) et, au dedans, les défenses, à commencer par celle qui les résume toutes, le déni. Quelle éloquente métaphore que l’agoraphobie de Jean : l’infirmière s’est coupée du monde extérieur comme elle s’est coupée de son histoire traumatique, celle, finiment rancunière, de sa trahison amoureuse, celle, infiniment culpabilisée, de la perte tragique de son fils.
Mais, à la faveur de la crise sociale et urbaine, ces deux solutions volent en éclat, là aussi, du dehors, par la Frenchie, mais, plus encore, du dedans, par Jean elle-même qui, non contente d’introduire une femme policier, va, en cohérence avec sa compassion, devoir sortir de sa forteresse.
Le remède ne pouvant venir des seules lois institutionnelles ou psychologiques, viendra-t-il de l’amour ? Ce que l’Écriture nous apprend – le cœur doux et humble, donc aimant, nous décharge du joug pesant de la seule loi (cf. Mt 11,28-30) –, les sciences sociales le confirment au ras des affaires humaines : la seule justice ne peut satisfaire la soif de gratuité qui vrille le cœur de l’homme. Voilà pourquoi, à son corps défendant, Jean vit de l’amitié chaste, plus, paternelle, d’Everest. Si la Montagne lui procure force et sécurité, elle lui apporte plus secrètement l’enveloppement, voire l’affection qui lui permet de ne pas sombrer dans l’épuisement : elle peut ainsi se donner gratuitement, jour après jour, à ces patients ingrats parce que, à son insu, elle a gratuitement reçu.
Mais, en réalité, plus encore que l’amour ou plutôt, avant celui-ci, tous ces personnages sont en quête de salut, donc de la foi qui l’accueille. Si Nice, au lieu de s’enfuir une fois sa mission accomplie, demeure sur place, c’est parce qu’elle est écœurée, peut-être du sang versé une nouvelle fois, mais beaucoup plus de se laisser instrumentaliser jusque dans son corps pour servir les vengeances ou, pire, les perversions de ses commanditaires. Mais n’est-ce pas d’elle-même qu’elle est l’esclave, elle qui se répète en boucle cette croyance fataliste : « C’est mon métier. On ne peut pas choisir ses talents » ? Et si elle ne veut pas partir avec Sherman que pourtant elle aime et dont elle est aimée, c’est parce qu’antérieurement au don de soi, elle cherche d’abord la libération de soi, autrement dit la rédemption.
Il en est de même de Waikiki. Apparemment défenseur de son loser de frère, donc généreusement centré sur l’autre, il en est secrètement prisonnier par des conflits de loyauté innommés qui entravent sa liberté (« Tu es mon frère. Je t’aime. Est-ce que j’ai le choix ? ») et lui interdisent d’être lui-même (« Mes plans tournaient autour de toi »). Waikiki devra lui aussi d’abord être libéré de cette pathologie du don qui porte le nom bien identifié de sauvetage, avant de pouvoir rencontrer l’être aimé et mettre ses talents au service d’une mission authentiquement altruiste. Voilà pourquoi il lui faut partir seul loin de cette ville qui symbolise sa dépendance et sa complicité (de fait, nous apprenons qu’il n’a jamais quitté le sol américain).
Plus complexe et plus complet est le cas de « Madame Thomas ». Cette vieille femme physiquement peu gracieuse et psychiquement disgraciée, grincheuse et mal-aimée (« Mon dernier flirt est de 1986 »), se refuse pourtant à quitter L.A., et plus encore, l’Artémis, alors qu’elle semble enfin affranchie de sa pathologie obsessionnelle. Serait-elle l’otage d’un autre âge de cet hôpital-hospice ? Ce retour au même attesterait-il une compulsion mortifère, une répétition aliénée ? Tout au contraire, Jean se trouve face à une bifurcation (quitter Los Angeles ou y rester) et se donne le temps de la décision. Surtout, alors que Nice et Waikiki sont sur le seuil d’une vie nouvelle qui demande à fructifier, Jean se trouve plus près du terme de la sienne, qui fut féconde : d’un enfant élevé avec amour et de multiples malades soignés avec compétence et même compassion, sans jugement moral, mais non sans jugement médical. Seulement, cette guerrière couverte de blessures qui panse celles de l’humanité, cette Diane chasseresse sur le déclin, ne pouvait accéder à la sérénité de l’âge mûr et à la sagesse de l’abandon qu’en traversant l’épreuve de la vérité sur son histoire, en s’exonérant d’une culpabilité qui n’est qu’une variation de l’autopunition, et en se libérant des compromissions (son « pacte avec le diable ») sans céder à la vengeance. Heureuse nuit pascale (pâques se traduit « passage ») où elle effectue cet exode libérateur.
Demeure la figure la plus mystérieuse et la plus attachante : celle d’Everest. Donnant tout sans rien recevoir en échange, risquant tout jusqu’à sa propre vie, omniprésent, du toit à la rue, et surgissant toujours à propos, solide et fidèle comme un roc, simple au point de passer pour simplet, sans nullement l’être, ne serait-il pas, plus encore qu’un père, une figure messianique – la violence en plus ?
Si le film a respecté trois règles, ce ne sont pas celles édictées par Jean, mais les trois unités du théâtre classique – avant tout celle du temps. Au sortir de cette si longue nuit, certains sont demeurés prisonniers des ténèbres et d’autres se dirigent vers la lumière. Au fait, le 21 juin n’est-il pas le solstice d’été ?
Pascal Ide
Los Angeles, le 21 juin 2028. Les frères Waikiki / Sherman (Sterling K. Brown) et Honolulu (Bryan Tyree Henry) cherchent à braquer une banque en improvisant. Mais le casse tourne mal. Honolulu est grièvement blessé. Heureusement, son frère a toujours un plan B. Il contacte Jean Thomas (Jodie Foster, qui se double elle-même en français), une infirmière originale qui travaille seule dans un hôpital encore plus inédit. Celui-ci est secrètement caché dans un hôtel transformé en forteresse, l’Artemis, car il soigne les plus dangereux criminels du monde dont l’identité est anonymisée par les noms de villes donnés aux différentes chambres et à leurs habitants transitoires : Nice (Sofia Boutella), une tueuse à gages française, Acapulco (Charlie Day), un trafiquant d’armes américain, etc. En les accueillant, Jean énonce les règles strictes qui permettent à l’établissement de tenir – pas d’armes, pas de règlements de compte, pas de policiers – et que son assistant, le bien nommé Everest (David Bautista), dissuade de transgresser.
Mais ce soir n’est pas un soir comme les autres. Alors que les plus violentes émeutes que la Cité des Anges ait connues éclatent à l’extérieur, au-dedans, Nice s’est elle-même blessée pour tuer un mystérieux inconnu. Et, dans l’entre-deux, Morgan (Jenny Slate), une femme policier blessée, vient supplier Jean de la soigner ; Crosby King (Zachary Quinto), accompagné de ses hommes de main, vient récupérer en force un stylo rempli de diamants jaunes volé par Honolulu ; enfin et surtout, son père, Wolf King (Jeff Goldblum), un criminel qui rackette la moitié de la ville et finance cet hôtel-hôpital, vient se faire soigner par Jean. Entre transgression et extermination, mais aussi révélation et libération, l’hôtel Artémis, avec ses bons services rendus aux bons et aux moins bons, pourra-t-il survivre ?