Hippocrate
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Pays:
Français
Thème (s):
Médecine, Vulnérabilité
Date de sortie:
2018
Durée:
0 heures 52 minutes
Évaluation:
****
Directeur:
Thomas Lilti
Acteurs:
Louise Bourgoin, Alice Belaïdi, Karim Leklou, Zacharie Chasseriaud, Anne Consigny, Bouli Lanners, William Lebghil, Éric Caravaca, Géraldine Nakache
Age minimum:
Adolescents et adultes

Hippocrate, série télévisée médicale française de Thomas Lilti, diffusée depuis le 26 novembre 2018 sur Canal+. 3 saisons et 22 épisodes d’une durée moyenne de 47 à 57 minutes. Adapté (en l’occurrence développé à partir) du film éponyme du même réalisateur, 2014. Avec Louise Bourgoin, Alice Belaïdi, Karim Leklou, Zacharie Chasseriaud, Anne Consigny, Bouli Lanners, William Lebghil, Éric Caravaca, Géraldine Nakache.

Thèmes

Vulnérabilité, médecine.

Inévitablement, toute critique de la série médicale désormais phare du médecin-cinéaste la compare à ses grandes sœurs aînées américaines – d’autant que, hors quelques séries-phénomène qui ont aussi connu un succès international comme Le bureau des légendes (Éric Rochant, 5 saisons et 50 épisodes, 2015-2020 sur Canal+) ou Dix pour cent (Dominique Besnehard et Fanny Herrero, 4 saisons et 24 épisodes, 2015-2020 sur France 2), nos séries sont plutôt à la traîne – : la série-source Urgences (Michael Crichton, 15 saisons et 331 épisodes, 1994-2009 sur le réseau NBC) et ses multiples variantes dont les plus fameuses s’appellent Grey’s Anatomy (Shonda Rhimes, 21 saisons et 430 épisodes [!!], 2005-, sur le réseau ABC), Dr House (David Shore, 8 saisons et 177 épisodes, 2004-2012 sur les réseaux Fox et Global), Good Doctor (David Shore, 7 saisons et 126 épisodes, 2017-2024, sur les réseaux ABC et CTV2), etc. Pourtant (suis-je victime d’un biais cognitif chauviniste ?), il se dégage d’Hippocrate un charme irrésistible qui tend à rendre « sérievore ». Pourquoi ?

 

  1. Certes, scénaristiquement, le rythme intense emprunte aux séries américaines. Dès la première scène de chacune des saisons, le spectateur est plongé au cœur de l’action : il arrive en retard, essoufflé et affolé, avec Alyson à l’hôpital Raymond Poincaré dans la première ; il ignore avec Chloé que le service des urgences est inondé à la suite de l’éclatement d’une canalisation gelée dans la deuxième ; comme la famille du patient, il ne sait pas pourquoi celui-ci, en péril de mort, attend le SAMU depuis six heures dans la troisième. Ainsi le spectateur ne perd pas son temps à ce qu’on l’introduise dans ce micro-monde des urgences dont chacun aujourd’hui connaît les principaux codes, soit expérimentalement, soit fictionnellement. Mais il y va plus que d’une imitation des as hollywoodiens du récit à suspense, à savoir une immersion vécue d’un réalisateur et scénariste qui est lui-même généraliste toujours en exercice.

Assurément aussi, les personnages principaux, patients, médecins et institutionnels, sont décrits avec réalisme parce que, ajoutons-le, le réalisateur (à qui l’on doit la trilogie médicale à succès : Hippocrate, 2014 ; Médecin de campagne, 2016 ; Première année, 2018) est également fils de médecin et donc a été façonné par ce milieu au sein duquel il a vécu. Mais, là encore, cette proximité si crédible n’est pas qu’une mimésis des émules américains qui sont conseillés par de multiples experts médicaux. Elle est d’abord au service d’un amour singulier de chacun de ses personnages, suivis avec une rare empathie qui assure la continuité sans jamais céder à la facilité et à la fréquence des retournements, qui caractérisent trop souvent les scripts outre-Atlantique.

 

  1. Alors, reposons notre question : qu’est-ce qui nous attache si fortement à cette série addictogène ? J’émettrais l’hypothèse que cela tient à la mise en scène de la vulnérabilité.

Derechef, comparons à nouveau Hippocrate avec ses homologues américaines. De prime abord, ces dernières semblent convoquer la fragilité, mais, tôt ou tard, elles finissent par l’annuler. Dans Urgences, la prise au sérieux de graves thèmes d’actualité, comme la séropositivité ou la situation catastrophique du Darfour, ainsi que la multiplication vertigineuse des intrigues amoureuses entre les personnages ne fragilisent pas l’hôpital universitaire du comté de Cook de Chicago où se déroule la série et encore moins la médecine qu’elle pratique.

Dans Grey’s Anatomy, qui est centré sur la totalité de l’hôpital, le Seattle Grace Hospital, et non plus sur le seul service des urgences, nous retrouvons la même fragilité des médecins (ici les jeunes internes qui viennent d’arriver) et la même labilité dans les relations amoureuses. Toutefois, les nouveaux tissent entre eux de forts liens d’entraide et d’amitié, et la relation emblématique, celle de Meredith et de Derek, ne tiendra pas seulement jusqu’au bout, la mort dramatique de celui-ci au terme de la saison 11, mais sera féconde de pas moins de trois enfants.

Dans Dr House, l’ambivalence est encore plus évidente : la série ne se justifie à mettre en scène ce médecin misanthrope, arrogant, cynique, anticonformiste et peu conventionnel (excusez du peu !) que parce que, certes, il présente une double fragilité, physique (il boite en raison d’une douleur chronique à la jambe droite due à un infarctus du muscle de la cuisse) et psychique (il abuse, voire est dépendant d’un analgésique opiacé, le Vicodin), mais surtout, il fait montre d’une omniscience lui permettant de résoudre les diagnostics les plus énigmatiques.

Enfin, dans Good Doctor (qui adapte la série sud-coréenne éponyme), le scénario se risque à introduire un jeune autiste savant qui est interne en chirurgie seulement parce que le syndrome d’Asperger rend plus jouissives l’infaillibilité de ses diagnostices et, osons-le dire, ses victoires sur un système qui, après l’avoir exclu, s’humilie à l’inclure et à reconnaître qu’il est un good doctor

Bref, jamais aucune de ces séries n’entame sa confiance dans la toute-puissance du système et du savoir médicaux.

Il ne s’agit pas de critiquer le souci du happy end trop pourfendu par le cynisme pessimiste à la française, mais d’interroger cette dissimulation de l’omnipotence et le déni de cette dimension constitutive de l’être humain qu’est la vulnérabilité positive. Autrement dit, la fragilité n’est pas une parenthèse nécessaire pour conjurer la superbe de la puissance médicale, mais une composante intrinsèque d’un homme qui est capable (et éventuellement coupable), donc émissif, seulement parce qu’il est vulnérable, c’est-à-dire réceptif. Oui, il y va de la dynamique du don qui, à l’instar du cœur, est diastole et systole.

 

  1. Or, cette vulnérabilité s’invite de manière variée, voire typologique dans les différentes saisons et les divers personnages principaux et récurrents d’Hippocrate. Au point de devenir, à mon sens, sinon le thème principal, du moins le spécifique de la série française vis-à-vis des géants américains.

Vulnérabilité des protagonistes médicaux (première saison), des institutions hospitalières (deuxième saison), voire du système de soin (troisième saison).

La fragilité des médecins est elle-même hétérogène. Alyson est doublement vulnérable : professionnellement puisqu’elle est toute jeune interne qui prête d’autant plus le flanc au syndrome de l’imposteur qu’elle était affecté à la gériatrie avant d’être mutée en médecine interne ; affectivement puisqu’elle est déchirée entre son amour vacillant pour son petit ami Samir (Amir El Kacem) et son amour naissant pour Hugo.

Vulnérabilité du fils de Muriel Wagner qui se dédouble en syndrome du pistoné et complexe d’Œdipe de celui qui n’a pas encore fait le deuil d’un surmoi maternel hyper-exigeant et un ça qui rêve de transformer sa vie en une fête permanente.

Encore plus évidente est la précarité d’Arben qui se réfracte en un triple trouble : culturel (ce franco-albanais dissimule-t-il quelque honteux secret sur son origine ?), vocationnel (veut-il prendre soin des vivants ou des cadavres ?) et, on le découvrira, institutionnel (non-diplômé, est-il ou non un médecin ?).

Enfin, cette vulnérabilité éclate singulièrement dans le personnage le plus complexe et le plus paradoxalement attachant de la série, Chloé. Si elle est admirablement servie par le jeu de cette grande actrice qu’est Louise Bourgoin (l’on croirait qu’elle a été médecine ou infirmière avant d’être actrice !), elle l’est tout autant par un scénario qui a su ouvrir à une résonance symbolique. En effet, la stagiaire piétine ainsi ses confrères sans état d’âme, en ses actes comme en ses prises de parole (à coup d’injonction : « Sois fort ! »), parce que d’abord elle se piétine elle-même, dans un hypercontrôle clivant et permanent. Et elle ignore les signaux répétés que lui adresse son cœur physique ainsi que les demandes elles aussi réitérées de son cardiologue parce d’abord, elle s’est coupée de son cœur (affectif et intime). Quelle parabole troublante, alarmante et attristante que cette grande cicatrice qui lui laboure la poitrine et lui lacère les entrailles.

 

  1. Passons les fragilités (sic!) du scénario qui multiplie usque ad nauseam les scènes d’arrêt et de réanimation cardiaques, et les concessions à l’éthique minimaliste et formaliste à la Childress et Beauchamp qui conduit par exemple au discours convenu et mainstream autour de la problématique les FtoM (acronyme pour les patients transgenres). Demeure une série qui réussit à brillamment remporter le trio gagnant : peinture réaliste d’un micromonde peu connu, histoire haletante au suspense constant, personnages riches, complexes et évolutifs.

Pascal Ide

Résumé de la saison 1

Le personnel de médecine interne de l’hôpital Raymond Poincaré est renvoyé chez lui en quarantaine après qu’un patient est décédé d’un pathogène inconnu. Seuls trois internes sont disponibles pour soigner les patients du service : Chloé Antovska (Louise Bourgoin), stagiaire de quatrième année, suivant les patients transgenres ; Alyson Lévêque (Alice Belaïdi), nouvellement nommée interne en première année, affectée à la gériatrie ; Hugo Wagner (Zacharie Chasseriaud), lui aussi stagiaire de première année, fils de Muriel (Anne Consigny), qui est chef de l’unité de soins intensifs.

Tous trois travaillent avec un personnel soignant réduit. Chef de leur service et amant en secret de Chloé, Manuel Simoni (Éric Caravaca) les suit depuis son domicile en quarantaine à cause de l’infection. Du fait de la pénurie, un pathologiste et médecin légiste d’origine albanaise, Arben Bascha (Karim Leklou), est réaffecté à la médecine interne ; ancien gastro-entérologue, il n’a pas traité de patient vivant depuis cinq ans !

En fait, Chloé cache aux autres non seulement sa liaison avec Simoni, mais un récent remplacement valvulaire aortique qui la fragilise : ex-protégée de Muriel qui l’a encadrée et formée, elle aspire à devenir médecin en unité de soins intensifs (USI). De son côté, Hugo recherche la popularité auprès de ses pairs et surestime ses capacités. Il ment d’abord sur son erreur avec une patiente ayant tenté de se suicider, Marion Rivière (Hélèna Guihard). Alyson et Hugo deviennent amants. Avec la permission de l’administratrice de l’hôpital, Nathalie Ferrand (Géraldine Nakache), les internes réduisent le nombre de patients pour alléger leur charge de travail. Muriel déplace de manière opportuniste ses patients post-USI dans les salles nouvellement libérées de médecine interne. Alyson, hésitante et en manque de confiance, reconnaît son erreur lorsqu’elle a testé Marion. Terrassée par de multiples tromboses, Chloé fait un arrêt cardiaque et les avocats de l’administration profitent de ce bouc-émissaire idéal pour lui imputer la responsabilité de la mort de Marion. C’est sans compter Alyson, Arben et Hugo qui se mobilisent pour soutenir Chloé et informer les parents de Marion.

Enfin, la quarantaine est levée avec l’agent pathogène partiellement identifié comme un virus tropical transmis par les moustiques.

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