Gemini Man, science-fiction américain d’Ang Lee, 2019. Avec Will Smith, Mary Elizabeth Winstead, Clive Owen.
Thèmes
Double, clonage.
Sur fond d’une histoire inédite mais mal ficelée, le réalisateur triplement oscarisé met en scène avec brio des techniques révolutionnaires et ébauche une réflexion éthique.
Le scénario insiste : « Tu es le meilleur, et de loin » ; « Tu réussis là où, avant toi, quatre cadors ont échoué ». Partant de là, il pose un excellent problème : comment combattre et, en l’occurrence, abattre, quelqu’un de nettement supérieur à tous les autres, plus, le meilleur ? De prime abord, la question est insoluble, voire constitue une contradiction dans les termes : dépasser l’indépassable.
La seule solution combine le biologique et le psychologique. Le biologique est le clonage ; le psychique est le traumatisme, plus encore que le vieillissement : ce que le Senior gagne en expérience, anticipation, etc., sur le Junior, il le perd en vivacité et en énergie renouvelable (!). En revanche, ce que le clone ignore, c’est la navrure engendrée par les morts accumulées, plus, le quasi-stress post-traumatique. En effet, malgré le nombre impressionnant de cibles (pas moins de 72), Brogen n’est ni un alexithymique totalement anesthésié, ni, encore moins, un sociopathe qui aurait le goût du sang (comme Vladimir Volkoff le soupçonnait des tueurs à gage). La preuve en est qu’il éprouve de la compassion affective pour Danny qu’il sauve alors qu’elle l’a trahi. Mais, selon ses propres mots, il est une « âme blessée ». De fait, il n’a pu survivre que parce qu’il se méfie de tous, et donc ne peut avoir « ni femme, ni enfants, ni Paris », c’est-à-dire d’authentique lieu de gratification.
Tout ou presque a été dit de la triple technique d’ailleurs tellement innovante que peu de spectateurs pourront pleinement en bénéficier (à Paris, seulement Pathé Beaugrenelle), sans rien dire des futurs acheteurs de DVD.
La première concerne la manière de filmer. Le format HFR (pour « high frame rate », littéralement « taux élevé d’images par seconde ») est ici utilisé à raison de 120 images par seconde. S’opposant à la règle jusqu’ici intouchable des 24 images par seconde, Peter Jackson avait déjà doublé la cadence dans Le Hobbit : un voyage inattendu (2012) et Ang Lee étrenné ce rythme, 120 images par seconde, donc, dans son précédent film, Billy Lynn (2016). Or, par l’augmentation de la célérité dans le défilement des images, l’impression de continuité spatiale et temporelle se trouve considérablement accrue.
Ensuite, le cinéaste a tourné dans une version particulièrement immersive de 3D en très haute définition, baptisée « 3D+ ». D’ailleurs Jim Cameron qui a employé la seconde technique pour Avatar, utilisera la première pour les futurs épisodes de la saga la plus attendue de la planète cinéma (le deuxième opus est programmé pour Noël 2020…).
La dernière innovation concerne le contenu de ce qui est filmé : Lee a utilisé les derniers développements de la motion capture, technologie en plein essor, le rajeunissement numérique permettant d’implanter sur le corps d’un acteur, son visage de la génération précédente, les multiples archives de l’abondante filmographie de l’acteur assurant une connaissance de sa peau grain par grain.
Le résultat en est des scènes d’action aussi fluides qu’immersives sans être invasives. Jamais l’interface entre le spectateur et l’écran n’a été aussi réduite. Sans que tout puisse être mis sur le compte de ces prouesses numériques : s’ajoute le savoir-faire que le réalisateur taïwanais avait déjà déployé avec une grâce aérienne dans Tigre & Dragon (2000) et l’invention réussie d’une technique de combat, le bike-fu (contraction de « bike » et « kung-fu ») ou bike-jitsu, où le clone utilise sa moto comme une arme.
Malgré cette double originalité, scénaristique et technique, l’intrigue est bancale ; or, un film, c’est d’abord une histoire en images, quelle que soit la cadence de défilement. Alors que Hulk (2003) avait su habilement combiner une brillante histoire d’aventures super-héroïques rimant avec colériques, à une histoire traumatique de père indigne, ici, l’obstacle (la première blessure) lié au quasi-meurtre involontaire de la petite fille dans le Thalys fait double emploi avec son clone qui s’avère être aussi son fils (du moins partiel), voire triple, si l’on prend en compte la problèmatique d’un fils à deux pères en domino (blanc-noir, non pas tant physiquement qu’éthiquement), sans parler d’une mère ambiguë qui se réfracte aussi entre sa fonction génitrice et sa fonction professionnelle. Bref, le scénario souffre d’une pléthore inexploitée dramatiquement et symboliquement. Enfin, par quelle aberration, l’affiche, de surcroît taguée par un « Will Smith contre Will Smith. Qui vous sauvera de vous-même ? » ose-t-elle anticiper la moitié de l’histoire et ainsi désamorcer une bonne partie du suspense, transformant en pétard mouillé des effets que même le spectateur le plus hypersomniaque anticipe.
Demeurent quelques questions éthiques bienvenues, mais mal résolues. Retenons-en deux. Tout d’abord, en quoi le méchant est-il réellement méchant ? Ne tente-t-il pas de résoudre un véritable problème : comment rendre sinon la guerre moins traumatique, du moins le guerrier moins traumatisé ? En lui donnant la capacité de vaincre sans lui infuser le traumatisme d’avoir vaincu (l’autre homme). L’aberration éthique ne tient donc pas d’abord à l’intention. À aucun moment il n’est explicitement dit que Clay Verris sert ses propres intérêts ni qu’il identifie le bien commun à son bien propre. En revanche, s’il ne détourne pas la fin, il contourne le chemin qu’est la liberté d’autrui (il ne cesse de mentir à Clay Junior) et retourne la loi (qu’il ne cesse de transgresser, en désobéissant à son chef hiérarchique).
Par ailleurs, au terme du film se pose un nouveau dilemme, qui d’ailleurs réfute la fausse bonne intention de Clay : comment éliminer un méchant de sang-froid qui, de plus, se trouve être son père, sans pourtant meurtrir irréversiblement son âme ? Autrement dit, comment sauver l’innocence d’un tueur qui a toujours respecté son code d’honneur (pour autant qu’un sniper professionnel soit légitime) ? Ici, la solution trouvée est simple, à la limite du simplisme : puisque la régulation institutionnelle est inopérante et manipulable, le bon père se charge d’effacer le mauvais père. Mais c’est oublier un signe que Thomas convoque pour montrer la priorité de l’amour de soi sur l’amour d’autrui : « l’homme ne doit pas, pour préserver son prochain du péché, encourir soi-même le mal du péché, qui contrarierait sa participation à la béatitude [1] ».
Pascal Ide
[1] Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 26, a. 4.
Henry Brogan (Will Smith), le meilleur des meilleurs des tireurs d’élite employés par la puissante DIA (Defense Intelligence Agency ; vous avez dit CIA ?), décide de raccrocher : dans sa dernière mission, il visait à 2 km de distance, un bioterroriste, lancé à 238 km/h dans le Thallys parti de la gare de Liège ; or, non seulement il lui a mis une balle dans le cou, alors qu’il visait la tête, mais il a failli tuer une petite fille qui s’interposait involontairement. Mais ses ex-employeurs ne sont pas d’accord avec cette retraite anticipée, car il en sait trop. Dès lors, le chasseur devient la proie. Dans sa traque, il réussit à retourner Danny (Mary Elizabeth Winstead), une débutante ralliée à sa cause. Mais Clay Verris (Clive Owen), son ancien camarade de régiment, un électron libre qui échappe à la directrice de l’agence, Lassiter (Linda Emond) a trouvé un plan imparable pour répondre à la question : comment tue-t-on un tueur hors pair ? Pilotant dans l’ombre un programme de clonage, il lui oppose son double, mais rajeuni et dopé de nouvelles capacités. Comment Brogan pourra-t-il vaincre un duplicata qui non seulement le surpasse, mais lui renvoie sa propre image ?