Le Fugitif (The Fugitive), thriller américain d’Andrew Davis, 1993. Adapté de la série télévisée éponyme. Avec Harrison Ford et Tommy Lee Jones.
Thèmes
TDK, Triangle maléfique, vérité, justice.
Richard Kimble est une authentique Victime : à la peine liée à la perte de l’épouse aimée s’ajoute celle de l’injuste accusation. Contre lui, se dresse un Bourreau, aussi déterminé que raffiné, dont on ne découvrira qu’au terme l’identité, son collègue et ami le docteur Charles Nichols (Jeroen Krabbé) compromis dans une sombre affaire de brevet pharmaceutique. Face à la défaillance de la police de Chicago qui, entre complicité, mépris et jalousie, fait le jeu du Bourreau, l’innocent isolé décide de se battre, ce qui confirme combien il se refuse à devenir Victimaire – « Vous n’abandonnez jamais », lui dira Gerard – et le transforme en Sauveur de lui-même.
Comment alors interpréter le rôle du marshal ? Il n’est assurément pas le Sauveur de la Victime, puisqu’il est si convaincu de sa culpabilité qu’il n’hésite pas à tirer sur lui – sa conviction, toutefois, s’amenuisera progressivement. Mais il n’en est pas non plus le Bourreau, puisque celui-ci est le médecin véreux qui a tout manigancé pour que Kimble soit envoyé à la chaise électrique. Samuel Gerard est ce que nous appellerons un Juge, c’est-à-dire une personne qui ne cherche pas à consoler la Victime, mais à arrêter le Bourreau. De fait, on ne trouve nulle trace chez lui de cette empathie si caractéristique du Sauveur ou du Sauveteur : il tue un prisonnier en cavale au prix de la surdité d’un de ses agents et sans émettre un mot d’excuse (mais non sans un geste, nous y reviendrons) ; de même, à Kimble affirmant « Je n’ai pas tué ma femme », celui qui se surnomme « le bouledogue » et a pour devise « Je ne négocie jamais », répond sans état d’âme : « Je n’en ai rien à cirer ». Dénué d’empathie émotionnelle, donc de compassion, Gerard est, en revanche, doué d’une puissante empathie cognitive qui lui permet de penser comme le présumé coupable, jusqu’à anticiper ses réactions. C’est grâce à cette intuition, qu’il percera progressivement la vérité. D’autant que, à au moins trois reprises, le médecin apparaît comme un authentique Sauveur (qui n’est pas Sauveteur), posture incompatible avec celle d’assassin narcissique, donc de Bourreau, de son épouse : Kimble sauve la vie du prisonnier dans le car pénitentiaire, celle du jeune garçon à l’hôpital et celle de Gerard lui-même dans la buanderie ; or, à chaque fois, il porte secours à des personnes qui ne pouvaient ni demander ni prendre soin d’elles-mêmes.
Au terme du film, les deux rôles de Juge et de Sauveur convergent en Kimble, non sans que le premier adopte la figure dévoyée de ce que nous appellerons aussi un Justicier : en se faisant justice lui-même, voire en lui faisant payer la mort atroce de son épouse. En revanche, toujours à la fin, ces deux personnages – Juge et Sauveur – se découplent de la manière la plus imprévisible chez le marshal que l’on pensait être un animal à sang froid, donc un Juge incapable de sauver. Déjà, Samuel Gerard tente de sauver le médecin, l’apostrophant à l’aveuglette : « La police de Chicago pense que vous êtes un tueur de flics [autrement dit, elle veut vous faire la peau]. Je sais que vous êtes innocent. Je sais la vérité sur le Dr Nichols. Richard, laissez tomber ». Or, en l’appelant par son prénom, le policier se rapproche avec empathie et en l’interpellant sans le contraindre, il propose sans imposer. Donc, à l’instar de Kimble, Gerard adopte la posture du Sauveur en rien Sauveteur.
Surtout, dans l’émouvante scène finale, alors que le chirurgien redit « Ils ont tué ma femme », le marshall, loin de répéter la scène où il avait rétorqué : « Je n’en ai rien à cirer », ôte ses menottes avec un touchant respect, souligné par la désignation (pour la première fois) du titre respectable de « Docteur » et répond avec une conviction appuyée et une compassion assurée : « Je sais, Richard ». Kimble ne peut s’empêcher de souligner le décalage : « Je croyais que vous n’en aviez rien à cirer ». Soudain vulnérable, Gerard introduit une distance humoristique : « Ne le dites à personne ». Ainsi, le Juge « bouledogue » à la limite du Justicier (« Essayez de m’arrêter », lance-t-il à la police de Chicago, lorsqu’il a perdu sa juridiction), cache donc, même à ses collaborateurs les plus proches, le cœur sensible d’un Sauveur.
Décidément, Sauveur et Juge se ressemblent sans jamais s’identifier, se rapprochent sans jamais coïncider. Ne faudrait-il pas, à côté du Bourreau, de la Victime et du Sauveur, introduire un quatrième personnage dans le triangle maléfique ?
Pascal Ide
À Chicago, le chirurgien vasculaire renommé Richard Kimble (Harrison Ford) découvre un soir en rentrant chez lui son épouse Helen (Sela Ward) le crâne fracassé. Accusé du meurtre par la police, Kimble clame son innocence : il a vu le meurtrier, un manchot, et s’est même battu contre lui – qui s’avèrera s’appeler Frederic Sykes (Andreas Katsulas). Mais, semblant désigné coupable par un appel téléphonique d’Helen et seul héritier de son importante fortune, il est inculpé pour assassinat et condamné à la peine de mort. Lors de son transfert vers son lieu d’incarcération, le bus pénitentiaire où il se trouve est la cible d’une tentative d’évasion qui cause un grave accident. Kimble en profite pour s’échapper. Un marshal adjoint des États-Unis redoutablement efficace, Samuel Gerard (Tommy Lee Jones), et son équipe d’enquêteurs sur les talons, le fugitif opiniâtre retourne à Chicago pour retrouver le véritable coupable et tenter par tous les moyens de prouver son innocence.