Fenêtre sur cour
Fenêtre sur cour, thriller américain d’Alfred Hitchcock, 1954. Avec James Stewart et Grace Kelly.
Thème principal
Amour
Thèmes
Peur d’aimer, voyeurisme
Chambre avec vue montre les résistances (enfin surmontées) principalement féminines au mariage. Fenêtre sur cour met en scène surtout celles éprouvées par l’homme à quitter son indépendance chérie. Pas seulement un film sur le cinéma, comme l’affirmait François Truffaut, et beaucoup plus qu’une comédie romantique douce-amère, ce chef d’œuvre – peut-être le chef d’œuvre – d’Alfred Hitchcock
Momentanément immobilisé dans une chaise roulante à cause d’un plâtre, le grand reporter-photographe L. B. Jeffries (James Stewart) profite de sa situation fenêtre sur cour pour épier ses voisins à l’aide d’un téléobjectif. Cette immobilité forcée serait l’occasion rêvée pour prendre du temps avec sa fiancée, la rayonnante Lisa Fremont (Grace Kelly). Or, tout à l’inverse, il s’en désintéresse. Pour la raison la plus étonnante qui soit : « Elle est trop parfaite, trop belle, trop sophistiquée ». En fait, un tel argument est non-réfutable ; il fait soupçonner une résistance plus profonde. Jeff s’y dérobe par l’humour et la fuite dans son observation compulsive de l’autre et le monde. Après chaque conversation déplaisante avec sa fiancée, il trouve réconfort et sécurité en régressant dans le voyeurisme. Symbolique plâtre à ce point encombrant qu’il engaine aussi la hanche, métonymie de la puissance d’engendrer ; symboliques objectifs phalliques – jumelles et téléobjectif – avec lesquels Jeff pénètre la vie des autres. La psychanalyse, dont on sait qu’Hitchcock était féru, ne souligne-t-elle pas que l’impuissance est une des grandes phobies masculines ? « Je ne me sens pas très actif », répond Jeff à Lisa lui demandant comment va son cœur.
Spontanément, on aurait tendance à octroyer tous les torts à cet égoïste grincheux qu’est Jeff. Mais pourquoi Lisa ne sauve-t-elle pas Jeff de son enfermement voyeuriste ? Ne serait-ce point parce que tout, en elle, inconsciemment, l’entretient ? Si l’homme craint de ne pouvoir aimer, la femme n’est-elle pas symétriquement habitée par la peur de ne pas être admirée ? Lisa, dont les allers et venues ressemblent à un défilé de mode, se définit, par Jeff interposé, comme la « femme qui ne porte jamais deux fois la même robe ».
Au voyeurisme de l’un répond l’exhibitionnisme de l’autre ; or, deux immaturités, si congruentes soient-elles, ne font pas une maturité. Pire encore, leur appariement ne peut conduire qu’à la fusion temporaire. La véritable communion d’amour joint non pas deux êtres partiels trouvant en l’autre le complément dont il a besoin, mais deux personnes entières, intègres, se donnant à l’autre joyeusement et par surcroît.
Comment Jeff se désintoxiquera-t-il de sa drogue voyeuriste ? Aristote nous apprend que l’on ne sort d’un pli vicieux qu’en pratiquant la vertu contraire. Or, les événements vont obliger le journaliste à passer du statut de voyeur tout-puissant à celui vulnérable du « voyeurisé ». La première fois que l’assassin présumé regarde dans sa direction, Jeff recule en sursautant. Pour celui qui s’est toujours tenu dans l’ombre de sa chambre ou derrière ses appareils photos, il n’est pas simple d’accepter d’être vu. Jusqu’à l’affrontement final. Désormais, observer le réel ne suffit plus : Jeff va devoir s’engager. Empêtré dans son plâtre, il a le dessous et tombe dans la cour. Il n’y va pas que de sa vie, mais de sa raison de vivre : celui qui ne vivait jusqu’ici que de voir, se trouve exposé au vu de tous. L’observateur observé entre ainsi dans le jeu de la réciprocité qui constitue la première règle de la relation.
De son côté, Lisa doit passer de la passivité de l’admiration à un amour réellement actif. En fouillant dans les affaires de l’assassin présumé, elle accepte de risquer sa vie. Plus encore, qu’est-ce que Miss Fremont cherche dans l’appartement du criminel ? L’alliance de l’épouse ! Et c’est parce qu’elle la glisse symboliquement à son doigt que Jeff comprend toute l’intelligence de celle qu’il résistait à épouser ; cette femme courageuse pleine de présence d’esprit n’est-elle pas digne de l’aventurier baroudeur qui déclarait au début du film : « J’ai besoin d’une femme qui irait n’importe où et ferait n’importe quoi » ?
Enfin, chez cet attentif connaisseur de la condition humaine qu’est le Maître du suspense, éros n’est jamais loin de tanathos : assassinat réel de l’épouse, mort possible de Lisa qui permet à Jeff de mesurer combien il lui est attaché. Ces morts physiques pointent vers et symbolisent la mort intérieure à soi-même dans le renoncement à ses gratifications égoïstes, qui est la condition de l’amour et de la fécondité (cf. Jn 12,24).
La scène finale résume tout le chemin par eux parcouru. Dans une réserve pleine d’humour et une sobriété exemplaire, elle atteste une réelle espérance : nul baiser hollywoodien qui pourrait être une nouvelle forme de fusion-fuite, mais Jeff qui, maintenant les deux jambes dans le plâtre, accepte sans crainte la situation et envisage le mariage, et, à ses côtés, Lisa qui partage sa lecture (et son cœur) entre un magazine de haute montagne (Himalaya) et un journal de mode (Baazar) : désormais, chacun s’ouvre à l’autre en demeurant lui-même.
Pascal Ide
Histoire
A cause d’une jambe cassée, le reporter-photographe L. B. Jeffries est contraint de rester chez lui dans un fauteuil roulant. Homme d’action et amateur d’aventure, il s’aperçoit qu’il peut tirer parti de son immobilité forcée en étudiant le comportement des habitants de l’immeuble qu’il occupe dans Greenwich Village. Et ses observations l’amènent à la conviction que Lars Thorwald, son voisin d’en face, a assassiné sa femme. Sa fiancée, Lisa Fremont, ne le prend tout d’abord pas au sérieux, ironisant sur l’excitation que lui procure sa surveillance, mais finit par se prendre au jeu…