Extrêmement fort et incroyablement près (Extremely Loud and Incredibly Close), drame américain de Stephen Daldry, 2011. Avec Thomas Horn, Tom Hanks, Sandra Bullock et Max von Sydow.
Thèmes
Paternité, confiance.
De ce film touchant et riche, je souhaiterais seulement individualiser une scène qui se déroule au tout début qui nous montre la figure d’un véritable père. En un peu plus de deux minutes (l’épisode se déroule entre 2 mn. 58 sec. et 5 mn. 08 sec.), le cinéaste nous offre une dense leçon de paternité :
- Le père, c’est celui qui prend du temps avec son fils. Le temps donné, c’est de l’amour.
- Il construit une complicité avec son fils, en inventant un langage de la tribu, un langage qui leur est propre : Thomas dodeline des épaules en lançant l’onomatopée : « Hm ! Hm ! ». L’amour aime les rites, quand ils sont flexibles et évolutifs.
- Il donne à son fils un objectif, le fait rêver, bref, lui propose une aventure : la recherche du sixième district (en plus des cinq quartiers de New York). Et il la vit avec lui. Nous reviendrons plus loin sur le fait que Thomas propose et n’impose pas cette épreuve qualifiante.
- Il élargit le champ de conscience d’Oskar, c’est-à-dire l’ouvre au monde, et donc l’invite à affronter le réel qui est plus large que toute saisie. Ainsi, à la question de son fils qui n’envisage qu’une voie, il répond : « Une autre façon de voir les choses : comment peux-tu ne pas t’en sortir ? »
- En l’ouvrant au monde, il lui fait braver les dangers, donc façonne en lui la deuxième note du masculin : courir un risque. « Il m’invitait à parler aux gens, parce qu’il savait que j’avais du mal à parler aux gens ». Oskar a finement deviné que le jeu est une préparation à la vie. Lorsque la Sainte famille doit fuir en Egypte, l’ange apparaît à Joseph, pas à Marie : il n’y a pas d’idéologie de la parité au Ciel !
- Il énonce des principes, ces lois qui font vivre. En particulier : « Ne cesse pas de chercher [Don’t stop looking] ». C’est cette parole qui, après un an, lancera Oskar dans sa quête. C’est elle qui le soutiendra : quand il la retrouvera, Oskar la glissera dans son pijama, puis dans son sac à dos pour l’expédition à la recherche de Black.
- Le père ne fait pas que donner ; il sait aussi recevoir, c’est-à-dire écouter. En recevant, il conjure le risque de toute-puissance. Ainsi, lorsque son fils l’interroge sur « amateur », il introduit dans sa carte de visite : « Pacifiste amateur », voire borne pas l’inventivité de son fils, car il introduit encore un autre titre : « Chercheur amateur ».
- Il le félicite, dit son enthousiasme face à sa mère souriante, ce qui redouble l’impact valorisant de sa parole : « He rocks » : « Tu en as dans le caillou ». Certes, le père rit, mais il ne se moque pas. Il rit parce qu’il jubile de l’inventivité de son fils. Le signe est que, l’instant d’après, il devient subitement sérieux. En félicitant, il fait un retour, il montre qu’il est touché : un père montre ses sentiments, sa vulnérabilité.
- Pour autant, il ne fusionne pas. Souvent, il ne répond pas aux questions, laissant entendre à Oskar par le tangage de ses épaules qu’il est capable de trouver la réponse par lui-même. Et le signe que ce silence est juste réside dans la réflexion du jeune garçon : « I liked it ».
- Le père est celui qui fait confiance. Il sait que cette non-parole a plus de valeur que toute parole, car elle est l’espace où il se déploie, où il devient lui-même, à l’ombre tutélaire de son père. Bref, ce silence et cette distance ne sont pas une séparation, mais riment avec confiance.
- Le père donne le nom. En rédigeant la carte de visite d’Oskar. De même, Joseph dont on ne connaît qu’une seule parole : Jésus, puisque, là encore, c’est à Joseph et non à Marie que l’ange dit le nom que le Messie devra porter. De même Henri Jones vis-à-vis de son fils, dans cette extraordinaire parole qui le défusionne du Graal mortifère.
- Enfin, Thomas vit dans une véritable complémentarité avec son épouse Linda, complémentarité qui révèle la différence homme-femme. Elle : « Ne lui fais pas faire des choses trop difficiles ». Lui : « Et quelle sorte d’adulte [kind of adult] va-t-il devenir ? » Dialogue d’autant plus important que Thomas sait qu’Oskar écoute. Or, cette juste complémentarité sans démission ni soumission n’est possible que dans l’amour. Ainsi, en montrant à Oskar son amour pour Linda, Thomas lui montre l’amour qu’il a pour sa Belle. Amour qui est aussi unique et qu’Oskar ne rencontrera qu’en quittant sa mère.
Toutes ces caractéristiques – ouvrir au monde, apporter la sécurité, donner la vie en séparant, dire « non » en disant le nom, donner la mission, sortir de la fusion – converge vers un centre : la paternité.
Pascal Ide
Oskar Schell (Thomas Horn), neuf ans, est autiste et vit à New York avec ses parents, Linda (Sandra Bullock) et Thomas (Tom Hanks). Il est proche de son père, qui cherche à le stimuler en lui donnant des missions de recherche d’indices sur un prétendu « sixième arrondissement perdu » de New York. Les tâches qui lui sont confiées l’obligent à explorer son environnement et à communiquer avec les autres, ce qui n’est pas facile pour lui.
Le 11 septembre 2001, les écoles ferment tôt et Oskar arrive seul à la maison. Il trouve six messages sur le répondeur laissés par son père depuis le World Trade Center. Oskar se cache sous son lit, où sa grand-mère (Zoe Caldwell) le trouve et reste jusqu’à ce que Linda rentre à la maison. Oskar est en colère contre les funérailles de son père, incapable de donner un sens à sa mort.
Un an plus tard, Oskar possède une cachette secrète avec des souvenirs de son père, dont le répondeur et ses messages. Dans la chambre de son père, il brise accidentellement un vase et trouve à l’intérieur une clé dans une enveloppe avec le mot « Black » dessus. Il devient obsédé par la recherche de la serrure à laquelle correspond la clé, croyant qu’il s’agit d’un indice laissé par son père. Il trouve 472 « Black » dans l’annuaire téléphonique de New York et prévoit de rendre visite à chacun d’eux. Il ment sur ses sorties à sa mère, avec qui il se montre de plus en plus distant. Il rencontre pour la première fois Abby Black (Viola Davis), qui est en train de divorcer de son mari William (Jeffrey Wright), mais elle dit à Oskar qu’elle ne connaissait pas son père. D’autres rencontres sont également infructueuses. Mais, à ces occasions, Oskar rencontre des personnes très variées, photographie et enregistre des notes sur chacune d’elles dans un album.
Un jour, Oskar s’aventure dans l’appartement de sa grand-mère. Mais, au lieu de l’y trouver, il rencontre le locataire âgé (Max von Sydow) qui y vit reclus et que sa grand-mère lui avait prévenu d’éviter. Le locataire ne parle pas, communiquant avec les mots « oui » et « non » tatoués sur ses mains et un bloc-notes. Oskar se confie à lui et l’homme lui propose de l’accompagner dans ses sorties. En explorant la ville ensemble, Oskar apprend à affronter ses peurs, comme celles des transports en commun et des ponts. Finalement, Oskar conclut que l’étranger est son grand-père et écoute les enregistrements de plus en plus désespérés du répondeur. Mais l’homme devient agité, refuse d’écouter le dernier et dit à Oskar d’arrêter sa recherche.
Plus tard, Oskar le voit se disputer avec sa grand-mère et faire ses bagages pour partir, et le confronte avec colère alors que son taxi s’éloigne. Oskar remarque alors un numéro de téléphone pour une vente immobilière encerclé au dos d’une coupure de journal de son père. Il compose le numéro et tombe sur Abby qui, surprise, emmène Oskar rencontrer son ex-mari. William se rend alors compte que la clé d’Oskar est celle qu’il recherchait. En effet, elle lui avait été laissée dans le vase par son propre père aujourd’hui décédé, à son insu lorsqu’il a donné le vase à Thomas lors de la vente de la succession. Oskar confie que le jour des attentats, il était chez lui lorsque le téléphone a sonné une sixième fois, mais qu’il avait eu trop peur pour répondre. Après avoir vu la tour s’effondrer à la télévision alors que l’appel téléphonique était coupé, il a remplacé le répondeur pour que sa mère ne le sache jamais. Il laisse la clé à William, mais, désemparé, s’enfuit de chez Abby.
De retour dans sa chambre, Oskar procède à la destruction du matériel de sa recherche. Mais sa mère l’interrompt en lui révélant qu’elle était au courant de toutes ses sorties, et qu’elle l’avait devancé dans sa rencontre de tous les dénommés Black afin de les préparer à sa visite. Réalisant enfin à quel point sa mère tient à lui, Oskar accepte la mort de son père et écrit des lettres à toutes les personnes qu’il a rencontrées pour les remercier de leur gentillesse. Y compris son grand-père qui décide de rentrer chez lui et de revenir vivre avec sa grand-mère. Oskar donne à sa mère l’album de ses aventures. Rempli de pop-ups et de languettes, il est intitulé « Extrêmement fort et incroyablement proche ».
Peu de temps après, Oskar visite un endroit de Central Park que lui et son père fréquentaient. Regardant sous la balançoire préférée de son père, le petit garçon trouve un message de son père, le félicitant d’avoir terminé ce qui aurait été leur dernière expédition. Il donne ainsi à Oskar la limite dont il avait désespérément besoin.