Eternal (For evigt), science-fiction et romance danois d’Ulaa Salim, 2023, mais sorti en France le 30 juillet 2025. Avec Viktor Hjelmsø, Anna Søgaard Frandsen, Simon Sears, Nanna Øland Fabricius, Halddóra Geirharosdottir, Magnus Krepper.
Thèmes
Amour, blessure, pardon, avortement.
Le deuxième long-métrage d’Ulaa Salim, dont on dit qu’il est riche de ses propres expériences, notamment de paternité, est riche des multiples genres qu’il croise (science-fiction, drame psychologique, romance, méditation écologique) et surtout des multiples sens et des multiples lectures qu’il convoque.
- À en demeurer à son sens premier, littéral, Eternal déçoit narrativement (faute de clarté), techniquement (les critiques parlent d’un Interstellar pour déshérités) et éthiquement. En effet, le chemin des deux protagonistes principaux, Elias et Anita, demeure profondément inabouti et rend donc leur bonheur incrédible. Nommons précisément leur limite. Elles tournent toutes autour du pardon.
- En préférant sa carrière à ce qu’il faut appeler sa famille (celle dont, à son insu, il est à l’origine), Elias agit avec grand égoïsme, ce dont Anita lui fait justement le reproche. Certes, il justifiera son départ pour le MIT (dans le Connecticut) en invoquant rien moins que le désir de sauver le monde (excusez du peu !) et, pour cela, la nécessité d’approfondir ses intuitions géologiques. En réalité, loin de préférer le bien du monde à son bien propre, il est centré sur sa carrière et sa réussite. En effet, s’il n’est pas capable de se laisser bousculer par celle qu’il aime, donc par l’autre dont il est le plus proche, comment croire qu’il est tout donné à tous les autres qui lui sont lointains ? Elias aurait donc dû, avant toutes choses, en retrouvant Anita, lui demander pardon de l’avoir l’abandonné et d’avoir manqué à la grande mission masculine qui est de protéger la femme lorsqu’elle a le plus besoin de son aide : la venue de l’enfant.
Multiples sont les confirmations de son égocentrisme. Par exemple, lorsqu’il apprend ou plutôt comprend qu’il est père, il vient rencontrer Anita sur son lieu de travail, l’oblige à arrêter sa classe et renvoie donc ses élèves. De même, quand il rencontre le père adoptif de Lukas, il se centre sur les quinze années perdues, affirme de manière unilatérale et revendicatrice être l’unique père de Lukas et biffe tout l’amour donné et toute l’éducation transmise pendant ce laps de temps. Une autre illustration ? Elias ne cherche que les continuités physiques ou psychologiques entre lui et son fils selon la chair, sans honorer les ruptures culturelles.
En contrepoint et en contrepoids, la seule personne décentrée d’elle-même qui cherche le bien de l’autre est justement ce père qui le supplie de penser au bien de Lukas plutôt qu’au sien propre : « Avant de parler [à ton fils], pense à ce qui est bon pour lui, pas pour toi ». Même s’il est illusoire de croire qu’un tel secret de famille ne secrètera pas de perversion (Françoise Dolto).
- Si Elias n’a pas demandé pardon, Anita, elle, ne l’a pas donné. Elle l’affirme également de façon explicite : « Je ne t’ai jamais pardonné ». Dès lors, son choix de demeurer avec l’autre homme n’est pas plus libre que celui de céder à son désir d’écarter son premier et unique grand amour. Elle demeure enfermée dans son ressentiment.
Ainsi, la problématique centrale d’Elias et d’Ania ne me paraît pas d’abord être la paternité ou la maternité, mais la maturité de leur amour qui, d’un côté, ne sait pas reconnaître ses torts et, de l’autre, instaurer au minimum une prescription et au mieux une réconciliation.
- Plus satisfaisante est la lecture symbolique de la faille terrestre.
Trop grossière et insistante lors de la rencontre avec Anita (à l’instar du manque de discrétion des images dans la première partie du film), la métaphore déploie toute sa richesse polysémique dans la deuxième partie.
- Les similitudes statiques sont transparentes. La faille terrestre est la parabole de la blessure qui a brisé le cœur d’Anita. De même qu’elle révèle la profondeur de notre planète, de même, notre histoire manifeste notre intimité. De même qu’elle menace l’intégrité de la Terre et va jusqu’à changer les couleurs du ciel, de même, la navrure affecte la totalité de l’être et jusqu’au ciel du désir qui oriente l’existence et sans lequel tout est dés-astre.
De même que la faille est à la fois effet du réchauffement climatique et cause de son dérèglement accéléré, donc coupable en sa naissance, mais non responsable en sa croissance, de même, Elias est bourreau en ce qu’il a fait souffrir Anita et victime des conséquences dans sa vie et en celle qui en a surgi.
De même que de la rupture de la croûte terrestre ne cesse de surgir, anarchique, cette lave qui vient du cœur-noyau (titre de la deuxième partie du film), de même, de la blessure non traitée (Elias a fui dans son projet sans prendre soin, ni d’elle, ni de lui) s’écoule sa vie comme le sang d’une plaie.
- Mais le parallèle est peut-être plus encore diachronique. Eternal, en effet, est clairement découpé en trois parties qui suivent d’ailleurs astucieusement non la trame extérieure (la deuxième partie aurait dû commencer avant), mais le cheminement intérieur des protagonistes. Au fond, le rythme est celui, universel, de la création (le bonheur originaire des deux amoureux), suivie de la décréation et de la recréation. Or, comment ne pas noter qu’Elias descend trois fois au contact de la faille et que ces trois moments épousent la même dialectique : 1. La première descente se conclut par une réussite, qui demeure toutefois ébauchée, inachevée. 2. La deuxième plongée est interrompue par le drame de la disparition de son coéquipier David qui, si l’on insiste pour affirmer qu’elle provient de son imprudence, est tout aussi liée à la philautie d’Elias, préférence de soi qui ronge, nous l’avons dit, ce « Je » sans « Tu ». 3. C’est ce que va manifester la troisième descente dont le spectateur est en droit de craindre le pire : de la dépression suicidaire de celui qui pense avoir raté son existence, à la culpabilité réparatrice de celui qui, enfin prêt à risquer sa vie pour sauver la mission, devrait, selon la logique néo-païenne ou pélagienne de tant de films, payer sa faute passée au prix fort du don présent de sa propre vie. Mais le plus inattendu, qui est aussi le plus espéré arrive. Toutefois, comment cet événement est-il possible ?
- Ici s’insère la troisième signification.
- En effet, la référence au chef d’œuvre de Christophe Nolan (2014) est si inévitable que nous l’avons déjà mentionnée. Interstellar ne nous parle-t-il d’ailleurs pas d’une autre faille, récente et féconde, dans l’espace-temps ? Mais, indépendamment de l’originalité scénaristique, de la richesse des personnages ou de la musique envoûtante, le rapprochement est insatisfaisant pour une raison fondamentale. Nolan avait très sérieusement travaillé son scénario pour rendre son hypothèse scientifique possible, sinon plausible. En revanche, le réalisateur danois n’ébauche aucune explication pour rendre compte de la distorsion temporelle qui ouvrirait sur une vie parallèle et de la nature de cette interface liquide qui y introduirait au sein de l’océan. Si donc, le premier appartient clairement au genre de la science-fiction, le second opine vers le fantastique
- Plus encore, la symbolique du voyage emprunte vaguement aux expériences de mort imminente. La lecture eschatologique (anagogique) paraît donc d’autant plus probable que s’invite ce nouveau deus ex machina qu’est le multivers et que la rédemption finale suit le premier (et seul) acte de don véritablement désintéressé posé par le héros, acte qui efface ainsi enfin des années d’égocentrisme.
Dès lors, si la fin ressemble plus à un rêve (cette vie d’époux et de père n’a pas été vécue et, au nom de l’irréversibilité du temps, ne pourra jamais l’être : cet amour éperdu est bel et bien perdu), elle signale aussi comme une purification, donc un salut : qu’un passé irréversiblement dépassé devienne possible signifie que le meilleur demeure toujours possible et digne d’être espéré.
- Enfin, ne négligeons pas un geste généreux ou courageux d’Anita : son refus d’avorter. En disant ainsi « oui » à la vie innocente, ne signifie-t-elle pas aussi que son « non » au pardon n’a rien de définitif ? Bien entendu, les critiques que l’on connaît ont crié au film réactionnaire. Sans comprendre que, hors toute option éthique ou politique, Eternal est d’abord un hymne à l’amour, donc à la vie, donc à la liberté, donc à l’éternité qui ne va jamais sans le temps.
Pascal Ide
Quelque part dans l’océan Atlantique, un violent séisme provoque une fissure dans le plancher océanique. Cet événement entraîne une accélération du changement climatique.
Au même moment, au Danemark, Elias (Viktor Hjelmsø), 23 ans, étudiant en science du climat, s’éprend d’Anita (Anna Søgaard Frandsen), 21 ans, qui ambitionne de devenir chanteuse. Ils vivent une belle histoire d’amour, puis se séparent lorsqu’Anita tombe enceinte.
Quinze ans plus tard, Elias (Simon Sears) se voit confier un rôle clé au sein de l’équipe internationale de scientifiques, dirigée par Maria (Halldóra Geirharðsdóttir), et chargée de refermer la faille au fond de l’océan. Avec David (Magnus Krepper), ils tentent d’atteindre cette faille grâce au submersible « Fortuna » pour la sceller, car sinon le champ magnétique terrestre pourrait être altéré, et avec lui, la vie de tous. Mais lorsqu’il croise Anita (Nanna Øland Fabricius), il s’interroge sur ce que sa vie aurait pu être…