En thérapie, série télévisée dramatique française, d’Éric Toledano et d’Olivier Nakache, et diffusée depuis le 7 avril 2022 sur Arte. Saison 2, 35 épisodes de 20 à 25 minutes. Remake de la série télévisée israélienne BeTipul (Hagai Levi, 2005-2008) et de sa version américaine In Treatment (Rodrigo García, 2008-2010). Avec Frédéric Pierrot, Eye Haïdara, Aliocha Delmotte, Suzanne Lindon, Jacques Weber, Charlotte Gainsbourg, Agnès Jaoui.
Thèmes
Thérapie, psychanalyse.
La deuxième saison de En thérapie nous replonge avec brio dans l’univers de la cure analytique (1), en confirmant les interrogations de la première saison, dont la critique se trouve sur le site (2), et en introduisant avec profondeur deux nouvelles thématiques (3).
- Nous retrouvons avec grande joie le Dr Philippe Dayan (épatant Frédéric Pierrot !). Aux qualités exceptionnelles : la compétence professionnelle ; l’intense attention, jointe à une mémoire in-ouïe, tant aux mots (bien entendu !) qu’aux contenus (tout autant entendus !) ; l’empathie ou, plutôt la compassion (qui est l’amour fait empathie), encore plus manifeste dans cette saison ; l’engagement personnel vis-à-vis du patient, au-delà de ce que requiert l’éthique, voire la prudence ; le courage de l’affrontement (notamment à l’égard des jeux d’Alain) ; la capacité qui relève, elle aussi, du prodige, à déjouer les multiples jeux manipulateurs du patient ; l’implication-intrication de sa vie
Nous découvrons avec la même jubilation une galerie orchestrée par des scénaristes chevronnés (d’Arnaud Desplechin à Agnès Jaoui, excusez du peu !), un par patient. Le métissage est au rendez-vous : des genres, des générations, des milieux, des pathologies. Si le faible nombre des analysants ne permet pas une totale identification, la proximité de leurs problèmes avec les situations quotidiennes autorise plus que le renouvellement de l’intérêt – d’autant que leurs soucis relèvent rarement de la pathologie psychiatrique lourde.
Dernier facteur de contentement : l’enracinement dans l’actualité. L’après Bataclan de 2015 a laissé place ici à l’après premier confinement lié à la pandémie de Covid-19 – le tout sur fond de discours et de pratique très politiquement corrects.
- De même que les qualités et les intérêts de la première saison demeurent et parfois s’accroissent, de même les défauts. Qui ne tiennent pas tant à l’inégalité de jeu des personnages qui est celle des scénaristes (certains estiment les femmes plus crédibles que les hommes…), au réalisme de l’intrigue (il serait de mauvaise foi d’incriminer le trop grand interventionnisme de Dayan : la logique de l’écriture filmique exige que l’on condense en quelques séances ce que la vie étale sur plusieurs mois ou années), au jeu des acteurs (là aussi, les avis divergent) ou à la manière de tourner (à mon sens, la caméra suit moins l’évolution de la séance), qu’à son objet, à savoir la psychanalyse.
Les limites de celle-ci sautent encore davantage aux yeux : le déterminisme du transfert (c’est-à-dire la répétition fatale du schéma comportemental mis en place dans la petite enfance) – « Tous les psy ont l’origine de leur vocation chez papa-maman » (épisode 35) – ; l’hypertrophie de l’interprétation et donc de l’arbitraire (qui n’est pas sans susciter d’heureuses réactions des patients) ; surinterprétation elle-même liée à une autre démesure, celle du cérébral déconnecté de l’émotion (même en supervision, l’analyste descend très peu dans son affectivité pour vérifier ses relectures) ; l’utilitarisme ingrat (non seulement le « merci » est très rare, mais il est prohibé – « Vous voyez – dit Dayan à Lydia –, vous n’avez pas à me remercier » (épisode 33). Nous y reviendrons) ; la tentation accusatrice (tôt ou tard, papa et maman sont enfermés dans le box des accusés-condamnés) bien résumée par l’oxymore de Claire : « Un psy est un juge qui ne juge pas » (épisode 20) ; donc, la violence (j’ai trouvé insupportable et finalement peu crédible le retournement exigé par Dayan vis-à-vis de Claire lors de l’ultime séance qui était aussi l’ultime épisode ; mais cette exigence n’est-elle pas la rançon de la posture secrètement dominatrice qui est celle, habituelle, de l’analyste, en son silence invulnérable et sa distance intouchable ?) ; enfin, l’efficacité très relative du traitement, qui n’est que la conséquence du pessimisme freudien (vivre jusqu’au bout, vaille que vaille, avec ses symptômes dont l’origine a enfin été démasquée).
Oui, le réquisitoire est lourd. Mais les conséquences pour le patient le sont aussi…
- Sur ce fond plus général, deux problématiques émergent avec une insistance passionnante, en soi et dans leur traitement (sic !) analytique : la culpabilité et le sauvetage (l’attitude de sauveteur). Tous deux, dont nous verrons combien ils font système, relèvent des concepts fondamentaux de la psychanalyse freudolacanienne ; et en révèlent les failles profondes qui proviennent d’une interprétation viscéralement faussée de la dynamique du don.
La culpabilité est omniprésente. De fait, avec l’angoisse, la souffrance psychique la plus constante et parfois la plus abyssale est la compulsion à l’auto-accusation. Mais précisons. En psychanalyse, « l’avalanche de la culpabilité » (épisode 19) n’est pas engendrée par une faute, objective ou subjective, réelle ou supputée. Elle provient d’une dette insolvable. Elle est la face affective d’un dû à jamais impossible à rembourser. Or, toujours chez Freud et, plus encore, chez Lacan (plusieurs fois cité [1]), cette dette, qui n’est pas liée à une transgression, est la conséquence du don absolument et définitivement asymétrique des parents, qui place l’enfant devant une redevance proprement infinie : qui pourra jamais redonner la vie qu’il a reçue ? Peu importe que papa-maman fasse ou non payer l’amour donné ou les soins adressés à l’enfant, celui-ci se sentira toujours en dette, et il devra porter cette charge incommensurable toute son existence, selon le mot même de Dayan à Claire : « Quelle dette avez-vous encore à payer Claire ? […] Cette dette, celle que nous avons à payer envers celui qui nous donne son nom [le père], elle ne se rembourse jamais une fois pour toutes. Elle est toujour sen règlemnet jusqu’à notre dernier souffle » (épisode 35).
À l’instar de la culpabilité, le sauvetage est de tous les instants. Si elle est au cœur de l’attitude de Dayan – « Notre psy sauveur », comme l’appelle Claire (épisode 20) –, nous la retrouvons aussi chez chacun de ses patients. Présente en filigrane dans chaque entretien, la posture du Saint-Bernard fait l’objet de longs discours, un peu trop répétitifs et même un tantinet moralisants. Ainsi, les verbatims très clairs de Lydia à Dayan sur Noah, son jeune frère autiste – « Si sa propre sœur n’essaie pas de le comprendre, qui le fera ? » ; « Ma mère ne le supportera pas » (épisode 13) – et, en réponse, les propos très cashs de Dayan à Lydia – « Comment vous dire ? J’ai l’impression que vous êtes dans le sauvetage. L’empathie vis-à-vis de l’autre suppose que l’on connaisse ses limites. Le sauveur, lui, n’a pas de limite. Il n’a pas d’amotion ? Combien de temps allez-vous porter à bout de bras votre famille ? Vous n’êtes pas sa mère » (épisode 18). De même, Dayan révèle à Éléonore « Robin ne cherche pas à vous mentir, il cherche à vous protéger » (épisode 17). Thématique identique chez Alain à qui Dayan déclare : « Vous avez passé votre vie à sauver les autres. Je veux être là quand vous vous retournerez sur vous pour vous sauver vous-même » (épisode 34). En regard, pour la psychanalyse, les analysants sont appelés à être indépendantes, c’est-à-dire des personnes qui n’ont pas besoin de l’autre : « On se sauve soi-même ou pas », lance Dayan comme un slogan (épisode 20). La libération du patient consiste donc à s’arracher à la tentation de sauver autrui pour ne plus avoir comme objectif que de se sauver soi-même. Comprenons-bien. Il ne s’agit pas, comme dans le triangle maléfique de Karpman bien compris, de sortir du syndrome systémique du sauveteur pour enfin devenir un sauveur. En psychanalyse lacanienne, il s’agit de définitivement dénoncer le (et renoncer au) caractère régressif pour soi et aliénant pour autrui de l’altruisme.
Comment ne pas relever que ces deux interprétations analytiques qui sont deux déconstructions honorent pleinement le moment central de la dynamique ternaire du don, à savoir la liberté qu’est la donation à soi ? « Votre fille a besoin de se sentir responsable et autonome pour aller jusqu’au bout de sa mission », explique Dayan à Alain (épisode 14). Mais elles ne valorisent l’autonomie qu’en la coupant de son amont (la réception) et de son aval (la donation). Ainsi amputée de la pulsation réception-donation qui la fait vivre, l’autodonation (qu’est la liberté) claudique avant de s’effondrer dans le plus vertigineux et le plus morbide des narcissismes.
Primo, la culpabilité transforme le don (reçu) en dû. Que cela soit objectivement le fait (et la faute) du parent qui fait, parfois subtilement et son insu, parfois religieusement (au nom du quatrième commandement détourné, plus, dévoyé), pesé une culpabilité sur les enfants, que cela soit subjectivement le fait (et la blessure) de l’enfant qui se croit faussement débiteur.
La solution psychanalytique, purement réactive, hérite de la cécité caractéristique des réactions : annuler la dette en annulant le don. L’erreur commune à la posture culpabilisée et à la fausse solution analytique est d’ignorer la gratuité du don parental. À force de fréquenter des personnes traumatisées, l’analyste croit que tout homme est traumatisé. Témoin des manipulations innombrables que les parents font subir à leurs enfants, exigeant d’eux qu’ils remboursent une prétendue dette, la psychanalyse a confondu essence de l’amour et condition blessée ; et s’est donc rendue incapable de discerner et sauver l’admirable lien unissant les parents à leur progéniture.
Mais est-il possible de dégager cette essence du lien interpersonnel de ses conditionnements blessés, sans la lumière de la Révélation ? Le paganisme a peiné à discerné la gratuité. A fortiori, la psychanalyse qui n’en finit pas de payer (sic !) l’antijudaïsme de son fondateur. En effet, en dernière analyse, l’amour des parents et des enfants est une ressemblance (image et participation) de l’amour de Dieu pour son peuple et, plus largement, pour la création : une surabondance gratuite. Et, pour le chrétien, une analogie de la communion aimante du Père pour son Fils (voilà pourquoi les deux premières Personnes divines portent le nom de cette relation parentale, dont la psychanalyse n’a thématisé que la défiguration).
Sur la vision psychanalytique de la culpabilité, Albert Görres a rédigé un article particulièrement éclairant dont, à la suite de Joseph Ratzinger, nous extrayons le passage central :
« La psychanalyse a eu du mal à admettre que parmi tous les sentiments de culpabilité, il y en a aussi […] qui sont dus à une faute véritable. Elle ne peut rester indifférente à cette constatation […] car sa philosophie ignore la liberté […]. Son déterminisme est l’opium des intellectuels. Sigmund Freud, selon elle, a dépassé de loin le pauvre et ignorant Rabbi Jésus. Celui-ci, en effet, ne pouvait rien faire d’autre que de pardonner les péchés et, en plus, cela lui paraissait nécessaire. En revanche, Sigmund Freud, le nouveau Messie de Vienne, a fait beaucoup plus. Il a chassé le péché, la faute, de l’univers spirituel ». Or, « dans la vie quotidienne de l’âme, les sentiments de culpabilité sont nécessaires, et indispensables à la santé psychique […]. Donc, celui qui est si flegmatique qu’il ne ressent plus de sentiments de culpabilité, lorsqu’il le faudrait, devrait essayer de toutes ses forces de les retrouver [2] ».
Secundo, le sauveteur détourne la donation de soi. En effet, la générosité du sauveteur est une générosité Canada dry : elle en a l’odeur et la saveur ; mais, cherchant ultimement un retour, elle n’est pas une authentique offrande de soi-même.
Or, là encore, la solution psychanalytique ne vaut pas mieux que le mal et le pérennise : penser à soi, c’est-à-dire s’arracher à son illusion généreuse pour entrer dans le soin de soi-même – au lieu de perpétuer celui de ses parents. De sorte que ce qu’il pouvait encore demeurer de générosité dans l’attitude de sauvetage, si impure soit-elle, se trouvera au final jugé, nié et amputé.
Et l’idéal d’égoïsme sera substitué à celui de l’altruisme toujours déconstruit comme régression archaïque. Pour Dayan, la cure est achevée quand j’ai « l’envie de me retrouver en accord avec moi-même ». Le geste sauveteur n’est que le règlement infantile de cette fameuse culpabilité : derechef, l’adulte sauveteur est un enfant culpabilisé qui s’ignore et cherche à rembourser la dette imaginaire due aux parents. Cette conviction psychanalytique est autant le fruit vénéneux de l’égotisme du sujet postcartésien [3] que celui d’un univers athée incapable de penser et vivre la gratuité, qui confond l’autonomie et l’indépendance [4].
Mais, à nouveau, sans la Révélation, est-il possible de voir cette gratuité à l’œuvre ? Sans la grâce qui redresse notre condition incurvée, est-il possible d’en vivre ?
Bien évidemment, ces deux angles morts de la psychanalyse font système : en amont, la négation de la réception du don gratuite ne peut qu’engendrer, en aval, la négation de la donation désintéressée. Le mal dicte le remède résumé par une parole de Jésus qui, dans les chroniques de ce site, résonent souvent comme un apophtegme : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).
Pascal Ide
[1] Par exemple : « Savoir si le sujet veut ce qu’il désire » (épisode 15).
[2] Albert Görres, « Schuld und Schuldgefühle », Communio (éd. all.), 13 (1984), p. 430-443, ici p. 438 et 443 s. Cité par Cardinal Joseph Ratzinger, Appelés à la communion. Comprendre l’Église aujourd’hui aujourd’hui, trad. Bruno Guillaume, Paris, Fayard, 1993, note 7, p. 182-183.
[3] Cf. Michel Henry, Généalogie de la psychanalyse. Le commencement perdu, coll. « Épiméthée », Paris, p.u.f., 1985.
[4] Non sans quelques heureuses nuances. Par exemple : « Toute ma vie, j’ai servi et protégé les autres. Par sens du devoir, refus de l’injustice. Parce que c’est ma nature aussi », dit l’avocate d’Adel Chibane (Carole Franck) (épisode 15) ; « Un patient, c’est une femme qui demande de l’aide », dit joliment Claire à Dayan (épisode 20) ; « Un désir [ici, d’aider l’autre], ça ne va pas sans effort [la vertu]. Il faut le soutenir » (épisode 35).
Paris, printemps 2020, au lendemain du confinement, le Dr Philippe Dayan (Frédéric Pierrot), psychiatre et psychanalyste, accueille quatre nouveaux patients dans le pavillon de banlieue où il vient d’emménager : le lundi, Inès (Eye Haïdara), une avocate quadragénaire et célibataire ; le mardi, Robin (Aliocha Delmotte), un adolescent obèse, qui est victime de harcèlement scolaire, fils du couple de Léonora (Clémence Poésy) et Damien (Pio Marmaï), qui étaient en analyse dans la saison 1 ; le mercredi, Lydia (Suzanne Lindon), une étudiante venue partager un sombre secret concernant sa santé ; le jeudi, Alain (Jacques Weber), un chef d’entreprise qui, après le suicide d’une de ses employées, est pris dans une tourmente médiatique. Par ailleurs, attaqué en justice par la famille de l’un de ses anciens patients, Dayan se tourne vers Claire (Charlotte Gainsbourg), une analyste et essayiste de renom, et sollicite son soutien pour son procès.