Elyas, thriller français de Florent-Emilio Siri, 2024. Avec Roschdy Zem et Laëtitia Eïdo.
Thèmes
Super-héros, anima-animus.
Plus qu’à un John Wick à la française, Elyas fait songer à Rambo, plus précisément au premier opus (Ted Kotcheff, 1982). Comment, dès lors, ne pas jouer au jeu des sept erreurs ?
- Les points communs sautent aux yeux :
– la personnalité blessée par un stress post-traumatique liée à la guerre, innommable à l’époque du premier Rambo, étrangement innommé ici (on se contente de parler d’un problème psychotique) ;
– le super guerrier qui maîtrise toutes les armes et toutes les techniques de combat, indifférent à sa propre souffrance (mais aussi à celle qu’il inflige), infatigable, voire inépuisable, s’adaptant aussitôt aux environnements les plus variés et les plus hostiles ;
– plus encore, le super-héros à la vie ascétique, voire monastique (sobre, chaste et obéissant sinon à sa mission, du moins à son idéal de justice), au pouvoir quasi-divin (ubiquitaire et invisible, omniscient et omnipotent – la miséricorde, le pardon et la patience, qui sont l’essentiel en moins !). Résultats : à l’instar de son secret modèle américain, Elyas n’est pas un soldat ni un warrior, comme le dit son supérieur, mais une armée ;
– solitaire, sans famille (les gitans l’ont jeté et rejeté), ni compagne, ni ami – sauf l’équivalent du colonel Samuel Trautman (Richard Crenna), Yann (Dimitri Storoge) ;
– enfin, et ce n’est pas le moindre des parallèles : l’introduction, au sein du récit d’une quasi-diégèse qui est sensée refléter la secrète fierté éprouvée par le public, lorsque Yann, torturé par l’ennemi, confesse l’admiration sans limite du créateur pour sa créature. Or, ce syndrome Pygmalion est un quasi-copycat du dialogue culte de Trautman avec Murdock : « C’est vous qui avez commis une erreur ! – Et vous allez me dire laquelle ? – Rambo ».
- Les ressemblances qui étonnent sont aussi celles qui questionnent.
- Certaines interrogations sont liées au manque de savoir-faire hollywoodien, même si ces carences scénaristiques me surprennent toujours. En l’occurrence, l’absence d’un véritable méchant qui symbolise cette théomachie manichéenne. L’on peut à la rigueur comprendre que, comme dans le premier opus de Kill Bill (Quentin Tarantino, 2003), le véritable ennemi ne soit jamais montré et gardé en réserve pour le volet suivant ; toutefois, c’est dangereusement parier sur la réussite de ce film que d’ainsi promettre l’avènement d’une suite. Quoi qu’il en soit, le combat le plus éprouvant qui aurait dû être l’affrontement contre la figure emblématique du bad guy s’effectue contre un dur que l’on n’a jamais vu et que l’on ne reverra jamais, dont on ne sait ni qui il est, ni quel lien privilégié il entretient avec lui.
- Soulignons-le, le script est ponctué par deux scènes poétiques dont l’anima équilibre l’animus agonique – à l’instar de la scène d’ouverture intensément nostalgique du premier Rambo, souligné par la superbe musique de Jerry Goldsmith (« It’s a long road »). De même, l’investissement affectif qu’est la relation presque patri-filiale entre Elyas et Nour est l’occasion d’une double évolution non dénuée de régression : du côté de l’adolescente, un passage de la peste méprisante à la complice en plein transfert œdipien ; du côté du garde du corps, de l’égocentrisme surprotégé à l’altruisme surprotecteur. Malheureusement, mais sans surprise, ce qui en pâtit est la relation horizontale, c’est-à-dire amoureuse, qui, décidément, est trop suspectée pour faire rêver. Mais alors, et là réside l’incohérence, pourquoi rendre l’héroïne si séduisante, voire ébaucher la promesse d’une idylle, pour faire mourir sans préavis la personne et la relation, sans d’ailleurs d’autres conséquences que la culpabilité de n’avoir pu la protéger ?
- Enfin, j’interroge la compatibilité d’un Rambo avec une compréhension aujourd’hui beaucoup plus fine de la problématique poreuse du mal – surtout en résonance avec un esprit critique français, toujours prompt à dénoncer le binarisme américain. J’entrevois une seule explication, mais révélatrice : le wokisme. En effet, celui-ci dénonce toutes les formes de domination et d’aliénation, qu’elle soit patriarcale, coloniale, raciste, capitaliste, sexiste. Or, toutes ces violences sont concentrées dans l’adversaire d’Elyas. La pensée woke, si virulente et si réactive, révélerait-elle sa face sombre en secrétant des néo-Punishers, qui seraient d’autant plus crédibles qu’ils sont bi-culturels ?
Assistons-nous au début d’une franchise, comme le suggèrent certaines critiques ? Je ne sais s’il faut l’espérer ou le redouter. Contrairement aux cinq épisodes de la saga américaine qui, avec son personnage, a si profondément évolué, au point de devenir un écho passionnant des changements de la culture ambiante, autant qu’une projection du messianisme rédempteur d’abord extérieur, ensuite intérieur, ce Rambo hexagonal répond plus à un rêve archaïque ultra-violent contre une phobie actuelle, le patriarcalisme de l’islamisme, qu’à un fantasme messianique.
Pascal Ide
Elyas (Roschdy Zem) est un ancien membre d’une unité des forces spéciales, aujourd’hui solitaire et paranoïaque. Très marqué après avoir combattu en Afghanistan, il est engagé par Jamal Al-Khouary (Sherwan Haji) comme garde du corps de son épouse, Amina (Laëtitia Eïdo), et de leur fille âgée de 13 ans, Nour (Jeanne Michel). Venues des Émirats arabes unis, les deux femmes se sont réfugiées dans un château. Lorsqu’un commando attaque les lieux, Elyas va tout faire pour les protéger.