Conclave
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Pays:
Américano-britannique
Thème (s):
Concupiscence, Transition transgenre, Vérité
Date de sortie:
4 décembre 2024
Durée:
2 heures 0 minutes
Évaluation:
**
Directeur:
Edward Berger
Acteurs:
Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Lucian Msamati, Sergio Castellitto, Carlos Diehz, Isabella Rossellini
Age minimum:
Adolescents et adultes

Conclave, drame américano-britannique d’Edward Berger, 2024. Adapté du roman éponyme de Robert Harris, 2016. Avec Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Lucian Msamati, Sergio Castellitto, Carlos Diehz et Isabella Rossellini.

Thèmes

Vérité, concupiscence, transition transgenre.

Apparemment, Conclave contient tous les ingrédients pour un thriller de haute intensité. Mais le film d’Edward Berger tient-il ses promesses ? Et d’ailleurs, le pouvait-il ?

 

  1. Le léger Habemus Papam de Nanni Moretti (2011) était centré sur la terreur que le cardinal Melville ressent lorsqu’il est élu pape et le conduit à fuir sa charge. Les deux papes (The Two Popes) de Fernando Meirelles (2019) mettait en scène la révélation que le pape Benoît XVI fait de sa démission à celui dont il ignore qu’il va lui succèder sur le siège de Pierre. Conclave pénètre aussi dans les arcanes d’un des phénomènes les plus secrets, l’élection du Pontife romain, et traite des questions que celui-ci se pose. Mais, pour la première fois, il tente de montrer du dedans le processus d’élection.

Le film a été salué par la qualité de son scénario aux multiples rebondissements (qui est d’abord celui du roman éponyme de l’écrivain britannique), de ses acteurs (avec une mention toute particulière pour le rôle-titre Ralph Fiennes, remarquable de tension intériorisée) et de sa mise en scène (le cadre à la fois somptueux et claustrophobe de la Cité du Vatican et, plus encore, de la chapelle Sixtine). D’un côté, le contenant est celui, idéal, de la règle des trois unités, avec un élargissement de l’unité de temps à sept tours d’élection, soit quelques jours. De l’autre, le contenu qu’est l’histoire aussi simple qu’efficace du plus grand des suspenses : qui sera le prochain pape, avec les immenses enjeux que ce choix comporte ? Le tout sur fond d’une description quasi-documentaire des différents actes très ritualisés qui entourent la mort de l’évêque de Rome.

 

  1. Mais là s’arrêtent l’originalité et l’intérêt du long-métrage. Car, en matière de suspense, donc de surprise, nous allons avoir droit à la mise en œuvre la plus ressassée des trois concupiscences (cf. 1 Jn 2,16). Pratiquées par les candidats favoris et successivement dévoilées, ce sont autant de coups de théâtre conduisant à leur décrédibilisation : « la concupiscence des yeux » ou cupidité avec le péché de « simonie » (dit le film) ou plutôt de corruption, puisqu’est révélée la manœuvre par laquelle le cardinal canadien Tremblay (John Lithgow) a acheté le vote d’autres cardinaux ; « la concupiscence de la chair » ou luxure, puisque l’on découvre que le cardinal nigérian Joshua Adeyemi (Lucian Msamati) a entretenu trente ans plus tôt des relations intimes avec une religieuse compatriote, ayant abouti à la naissance d’un fils qui fut adopté ; « l’orgueil de la vie », ici sous la forme d’une recherche démesurée du pouvoir, puisque le cardinal américain Aldo Bellini (Stanley Tucci) soupçonne le cardinal Thomas Lawrence (Ralph Fiennes) de l’ambition qui le ronge lui-même, selon le test projectif si révélateur de la paille et de la poutre.

Le seul à ne pas succomber à ces tentations délétères est le personnage le plus riche, le cardinal doyen Lawrence, qu’introduit et symbolise tout à la fois la première scène où nous le suivons de dos en train de traverser à pas rapides le tunnel sous la colline du Vatican qui le conduit au palais pontifical. Mais cet homme intègre et inquiet cèdera à une faute qui n’est pas moins grave, car sa matière est théologale : le péché contre la foi. Qu’il s’agisse d’un doute non pas contre Dieu, mais contre l’Église, ne le rend pas plus acceptable. Ne confessons-nous pas : « Je crois à la sainte l’Église catholique » (peu importe ici que ce ne soit pas un quatrième article du Credo, mais un développement du troisième : « Je crois en l’Esprit Saint ») ? Une personne qui, pendant des années, avait participé chaque semaine à une messe célébrée par le cardinal Ratzinger me disait avoir été frappée par deux qualités du futur pape : sa bienveillance constante à l’égard des théologiens du bord le plus opposé au sien ; son amour de l’Église. Ajoutons une mise au point, tant il est fréquent d’entendre que non seulement le doute ne s’oppose pas à la foi, mais en constitue le signe avéré. Tout au contraire : le doute, plus, la culture de l’incertitude, que prône Lawrence dans l’homélie précédant le conclave (1), est le vice qui détruit la vertu de foi – comme la méfiance dissout le lien amical, conjugal, etc. En revanche, la foi est avivée par la question, comme celle que la Vierge Marie pose à l’ange (cf. Lc 1,34) : « Dix mille difficultés ne font pas un seul doute », affirmait le saint cardinal Newman (cité par le Catéchisme de l’Église catholique, n. 157).

 

  1. Mais un tel thriller sur le conclave est-il seulement possible – je veux dire sans trahir, non pas le secret (il s’agit bien entendu d’une fiction), mais l’essence même du conclave ? (2) En effet, le cardinal Bellini révèle la clé de lecture du film quand, au cardinal Lawrence lui objectant : « C’est un conclave, pas une guerre », il lui assène avec colère et dureté : « Bien sûr, c’est une guerre. Et vous allez devoir choisir votre camp ». Et, ici, une guerre politique qui, pour ne pas être sanglante, n’en est pas moins violente, entre deux extrêmes nettement tranchés illustrés chacun par un trio : d’un côté, les libéraux (le pape défunt, les cardinaux Bellini et Lawrence), de l’autre, les conservateurs jusqu’à être réactionnaires (les cardinaux Adeyemi, Tremblay et Tedesco). De ce point de vue, Edward Berger s’inscrit dans le sillage de son dernier film, À l’Ouest, rien de nouveau (lui aussi adapté d’un livre, le chef d’œuvre d’Erich Maria Remarque et salué par un quadruple Oscar, dont celui du meilleur film international 2022) : de même que le jeune soldat allemand cherche à fuir la guerre sans jamais y arriver, de même le cardinal Lawrence ne trouvera la sérénité qu’en consentant à ce qui, pour le réalisateur, constitue l’essence intrinsèquement polémique (du substantif grec polémos, « guerre ») du conclave.

Mais le cinéaste se trompe lourdement et triplement. Passons la vulgate simpliste qui assimile le pôle conservateur à l’homophobie ou à l’islamophobie et le pôle libéral à l’émancipation sexuelle et sociale. Ensuite, s’il y a, bien entendu, dans l’Église ce que l’on aime appeler des « sensibilités » opposées, celles-ci ne sont pas binaires, comme le croit une certaine sociologie ecclésiale (plus représentée en France ou aux États-Unis), mais multiples (il suffit de séjourner dans les pays plus latins pour se rendre compte du peu d’opérativité des oppositions traditionnalisme-progressisme). Enfin et surtout, le conclave est un acte éminemment religieux par lequel le cardinal entre non pas dans une campagne d’influence, mais dans la prière. Trois signes parmi d’autres. Primo, il est hautement significatif que le film ne montre pas cet acte si important qu’est la messe d’entrée en conclave qui se déroule à la basilique Saint-Pierre de Rome. Secundo, le vêtement rouge des cardinaux est un habit non pas identitaire et encore moins de parade, mais un habit liturgique. Tertio, si la caméra prend le temps de filmer chaque électeur bredouiller quelques mots en latin avant de poser le bulletin dans l’urne, le vidéaste n’invite en rien à comprendre qu’il s’agit d’une prière très solennelle par laquelle l’électeur engage le salut de son âme dans le choix qu’il fait du futur pape. Une telle conscience anime-t-elle le citoyen ou l’homme politique ? Permettez-moi de transmettre une confidence du cardinal Lustiger en avril 2025 lorsque s’était réuni le conclave après la mort de Jean-Paul II : « J’avais supplié Dieu qu’il m’épargne l’épreuve de participer à l’élection du pape ». Tant il avait une très vive conscience de ce qu’un conclave est un acte d’une responsabilité très élevée qui était tout sauf politique.

Le problème du film n’est donc pas de rappeler l’hommerie, mais d’en demeurer là. Bernanos l’avait si bien compris qui, au lieu de s’attarder sur les turpitudes sexuelles de ses personnages « démoniaques », dont certains, tel l’abbé Cénabre, sont des prêtres, détaillait leur imposture théologale. Mais comment le montrer à l’écran, sauf à s’appeler Dreyer (La Passion de Jeanne d’Arc), Bresson (Au hasard Balthazar) ou Bergman (Le septième sceau) ?

Pascal Ide

(1) Voici la traduction française de l’homélie de Lawrence, quittant son papier pour improviser devant les cardinaux en émoi : « Le don de Dieu à son Église est la variété. Après toutes ses années au service de l’Église, j’ai appris à redouter un péché plus que tous les autres : la certitude. La certitude est le plus grand ennemi de l’unité. La certitude est l’ennemi mortel de la tolérance. Même le Christ doutait à la fin : ‘Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?’ Notre foi est éternellement vivante parce que, précisément, elle marche main dans la main avec le doute. S’il y avait certitude et aucun doute, il n’y aurait aucun mystère. Et sans mystère, il n’y aurait pas la foi. Prions pour que le Seigneur nous fasse la grâce d’un pape qui doute. Et aussi d’un pape qui pèche et soit capable de demander pardon ».

(2) Sans rien dire du dénouement spoilé et largement médiatisé : outre la concession à l’idéologie du gender (le brouillage de la frontière entre les sexes), il semble ignorer que l’ordination sacerdotale d’une femme serait ipso facto invalide.

Alors que le pape vient de mourir d’une crise cardiaque, le cardinal Thomas Lawrence (Ralph Fiennes) est chargé de superviser le conclave qui permettra de désigner le successeur du défunt pontife, malgré ses réticences. Le Collège est surpris par l’arrivée de Vincent Benitez (Carlos Diehz), un Mexicain fraîchement arrivé de Kaboul et qui a effectué un travail missionnaire dans des zones de guerre. Ce dernier affirme que le défunt pape l’a secrètement nommé cardinal. Après vérification, le cardinal Lawrence accepte sa participation au conclave.

Les quatre principaux candidats pour le poste de souverain pontife sont Aldo Bellini (Stanley Tucci), un libéral américain dans la lignée du défunt pape ; Joshua Adeyemi (Lucian Msamati), un Nigérian aux opinions socialement conservatrices ; Joseph Tremblay (John Lithgow), un conservateur canadien ; et Goffredo Tedesco (Sergio Castellitto), un traditionaliste réactionnaire italien qui veut abolir certaines décisions du concile Vatican II. Bellini, qui déclare qu’il ne veut pas être pape, précise que sa position est d’empêcher Tedesco d’être nommé, ce qui représenterait pour lui un immense retour en arrière de la papauté.

Avant le premier vote, Lawrence prononce un sermon encourageant les cardinaux à accepter le doute et l’incertitude, sermon qui est considéré par certains comme un discours de campagne. Lawrence apprend plus tard que Benitez était proche du pape, qui a payé personnellement le billet d’avion de Benitez à destination de la Suisse pour un rendez-vous médical qui a ensuite été annulé. De plus, le confident du pape, Wozniak, dit à Lawrence juste avant le conclave que le pape a exigé la démission de Tremblay quelques heures avant de mourir. Tremblay le nie vigoureusement.

Après le premier vote, aucun candidat n’est proche de la majorité des deux tiers nécessaire ; Adeyemi a un léger avantage, et Bellini et Lawrence se partagent le vote libéral. Sans candidat unifié, les libéraux se regroupent derrière Adeyemi au grand dam de Bellini, qui méprise l’homophobie d’Adeyemi. Certains accusent également Lawrence de convoiter secrètement le trône pontifical, alors qu’en réalité Lawrence vote systématiquement pour Bellini.

Lors d’un repas commun des cardinaux, Sœur Shanumi (Balkissa Maiga), une religieuse nigériane qui s’occupe des tâches domestiques, provoque le départ précipité d’Adeyemi du réfectoire. Menant son enquête, Lawrence apprend qu’elle et Adeyemi ont eu une relation illicite trente ans plus tôt, qui a abouti à la naissance d’un fils qui a été donné à l’adoption. Bien que Lawrence soit tenu de garder le secret, une campagne de rumeurs compromet la candidature d’Adeyemi au cours des votes suivants. Adeyemi soupçonne un piège, car Shanumi n’avait jamais quitté le Nigéria avant de se présenter au conclave. Bellini transfère alors son soutien à Tremblay afin de bloquer Tedesco.

Soumise au secret, la religieuse Sœur Agnès (Isabella Rossellini) permet néanmoins à Lawrence de découvrir que c’est Tremblay qui a organisé le transfert de Shanumi au Vatican. Tremblay confirme, mais prétend que le pape l’a demandé et qu’il n’était pas au courant du lien de Shanumi avec Adeyemi. Hanté par le doute, Lawrence décide de briser les scellés qui protègent les appartements du défunt pape et découvre des documents montrant que Tremblay a soudoyé des cardinaux pour acheter leurs votes, soit un acte de simonie, ce qui confirme les rumeurs. Bellini exhorte alors Lawrence à brûler les documents pour empêcher un scandale sur la corruption de l’Église, ce qui fait comprendre à Lawrence que Bellini a peut-être également accepté un pot-de-vin pour une nomination bureaucratique. Lawrence fait photocopier les documents avec l’aide de Sœur Agnès et les fait distribuer aux membres du conclave juste avant leur repas commun. Tremblay tente de se justifier, mais se fait traiter de Judas par Adeyemi. Face au scandale, Tremblay est forcé au retrait. Lawrence et Tedesco deviennent les seuls candidats majeurs restants, bien que Benitez ait progressivement gagné des soutiens, à la surprise de Lawrence.

Au cours du sixième vote, où Lawrence vote à contrecœur pour lui-même, un kamikaze se fait exploser dans Rome, tuant de nombreuses personnes dans la foule à l’extérieur et endommageant la chapelle Sixtine. Tedesco s’emporte alors et fustige la faiblesse de l’Église depuis Vatican II, affirmant qu’il faut cesser d’être naïf et conciliant avec les musulmans, qu’il considère comme des animaux assoiffés de sang. Benitez prend alors la parole et affirme que la violence ne peut être une solution à la violence, affirmant qu’il a vu le véritable coût de la guerre au long de ses missions. Il compare également la guerre aux luttes intestines des cardinaux, affirmant que l’Église devrait fonctionner sur l’amour, pas sur la politique, et se concentrer sur l’avenir, pas sur un retour au passé. Émus, les cardinaux finissent par élire Benitez au septième tour, ce dernier prenant le nom papal d’Innocent XIV.

Peu après, Lawrence découvre que la visite médicale annulée de Benitez était destinée à effectuer une hystérectomie. Benitez lui explique alors qu’il est intersexe, qu’on lui a attribué un sexe masculin à la naissance, mais qu’il ne savait pas qu’il avait également un utérus et des ovaires jusqu’à une récente appendicectomie. Le défunt pape, qui était au courant, a caché le secret, laissant entendre qu’il avait facilité l’accession au pouvoir de Benitez. Ce dernier explique ensuite qu’il a renoncé à l’opération et choisi de garder ses organes féminins, déclarant : « Je suis comme Dieu m’a fait ». Acceptant de garder le secret de Benitez et de faire confiance à Dieu, Lawrence écoute la foule acclamer l’élection de Benitez, premier pape intersexué de l’histoire.

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