Casino, drame franco-américain de Martin Scorcese, 1995. Avec Robert de Niro, Sharon Stone, Joe Pesci.
Thèmes
Ascension, décadence, machine, homme.
Rarement un générique fut une métaphore de tout un film ou plutôt une ouverture, au sens où l’on parle de l’ouverture d’un opéra. D’autant qu’il laisse entendre la Passion selon saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach. Sam « Ace » Rothstein, tout de rose vêtu, monter dans sa Cadillac. Qui explose. Sur fond de flammes, son corps est éjecté dans les airs, puis retombe, lentement, dans un jeu de caméra étourdissant. Quel symbole de l’ascension, irrémédiablement suivie de la déchéance, qui est la loi intime de la corruption !
Cette montée et cette chute du corps de Niro sont bien entendu la parabole du double mouvement d’un champion des joueurs professionnels, devenu patron d’un riche casino de Las Vegas et surtout acoquiné avec la Mafia. Mais, au-delà, elles le sont du crime organisé dans les années 1970 (depuis l’arrivée massive de la drogue), voire de l’Amérique entière. Voire, ne résumerait-elle pas la condition humaine ? En effet, pour le maître italien Martin Scorcese, imprégné de puritanisme, l’humanité est pécheresse. N’entend-on pas très distinctement les paroles de la chanson House of the Rising Sun (interprété par les Animals) : « Mère, dis à tes enfants de ne pas faire ce que j’ai fait » ? Lorsqu’apparaît pour la première fois Ginger, cette prostituée de luxe, une chanson des Rolling Stones (sic !), Heart of Stone (re-sic !) ne dit-elle pas : « Tu ne briseras jamais ce cœur de pierre » ? Le chrétien Balzac n’avait-il pas noté cette loi inexorable d’ascension et de décadence chez les ambitieux qui, tels Rastignac, pensaient refaire le monde ? Et deux siècles auparavant, Pascal n’avait-il pas tout dit en parlant de « la misère de l’homme sans Dieu » ?
Ce générique si suggestif contient aussi une autre leçon : la réduction machinique de l’homme qui, projeté par l’explosion, se transforme en un pantin désarticulé. En effet, l’efficacité mafieuse suppose que l’homme devienne une machine : « son fonctionnement, comme il est suggéré avec insistance, tient à la transformation des hommes en machine [1] ». Rothstein n’est-il pas surnommé « la machine à sous » ? Le gangstérisme n’a pu s’étendre si vite à l’échelle du pays que parce certains hommes ont consacré toute leur intelligence et toute leur énergie à le tayloriser et le rationaliser.
Nous aurions mis trois étoiles si, dans une contradiction performative inacceptable, Scorcese n’avait dénoncé l’hyperviolence en la montrant de manière aussi complaisante.
Pascal Ide
[1] Je renvoie à l’intéressante étude, pleine page, que Le Monde a consacré au film (cf. Jean-Michel Frodon, Le Monde, du jeudi 14 mars 1996, p. 24).
Sam « Ace » Rothstein (Robert de Niro) justifie son surnom par le fait qu’il est un as du jeu, ce qui lui vaut de diriger un des casinos les plus prospères de Las Vegas. Plus encore, il travaille pour le compte de la Mafia, non sans l’aide d’un brigand minable et hyperviolent, Nicky Santoro (Joe Pesci). Il rencontre Ginger (Sharon Stone) dont il tombe instantanément amoureux et qu’il épouse. Ce sera le début de la chute, inexorable et mortelle, pour eux deux.