Boy erased, biopic dramatique américain écrit et réalisé par Joel Edgerton, 2018. Adapté des mémoires éponymes de Garrard Conley, 2016. Avec Lucas Hedges, Russell Crowe, Nicole Kidman.
Thèmes
Homosexualité, christianisme, histoire du salut, péché, guérison, manipulation.
En sortant du film, je me demandais comment un spectateur pourrait ne pas projeter sur la religion chrétienne, voire sur le Christ lui-même, l’angoisse, la colère, voire la rage et le ressentiment qu’une histoire d’emprise, bien racontée et bien jouée, ne peut manquer de susciter. Ce n’est que le lendemain que j’ai compris que cette histoire était amputée, donc défigurée.
De prime abord, le film du réalisateur, scénariste et acteur (il joue le personnage le plus trouble et le plus troublant, le thérapeute principal) paraît raconter une histoire totale en trois actes, dont le premier et le dernier sont, de surcroît, heureux. Il s’ouvre sur l’enfance ensoleillée d’un fils unique chéri et élevé par des parents qui s’aiment. Il s’achève sur l’image discrète d’un adulte libéré qui peut enfin vivre son homosexualité, a trouvé sens et succès à sa vie en écrivant un livre à succès dénonçant les thérapies de conversion, qui visent à faire changer d’orientation les personnes gays. Plus encore, au final, Jared vit une affection sans faille avec sa mère et une relation sans fard avec son père, voire une promesse de changement de sa part (« Je suis gay et je suis ton fils. Ça ne changera pas. Dieu sait que j’ai essayé. C’est toi qui va devoir changer. – Je vais essayer ») et de réconciliation de la sienne (« Papa, j’ai invité Maman à Noël. Tu es aussi le bienvenu »). Que demander de plus ?
Entre les deux, est racontée par le menu la vie dans le centre, avec tous les tristes ingrédients d’un processus sectaire. Ils sont d’autant plus insidieux que toute violence physique est bannie et d’autant plus insupportables que les intrusions psychiques sont commises au nom de Dieu.
L’on n’en finirait pas d’énoncer et de dénoncer les contre-vérités entendues au centre, qui font tellement système qu’elles deviennent non-réfutables : la tendance homosexuelle est un péché ; Dieu aime moins la personne gay ; la reconnaissance collective et honteuse de son péché est libérante ; la virilité se confond avec le machisme ; l’exorcisme libère le pécheur qui résiste à avouer ; l’homosexualité est acquise, donc due soit à celui qui la pratique, soit aux parents (qui, dès lors, sont obligatoirement coupables) ; il n’y a pas de victime (d’un viol homosexuel), mais seulement des complices ; tout est dans la Bible ; la science est contre Dieu et Dieu contre la science.
Il fallait condamner avec force cette « pathologie de la religion », pour reprendre l’expression de Benoît XVI. Mais cela ne suffit pas. Le pape émérite signalait aussi la maladie inverse, la « maladie de la raison » qui croit pouvoir se passer de la religion.
J’ai mis un peu de temps pour comprendre ce qui me dérangeait en profondeur dans ce film : cette histoire est faussement complète. En réalité, elle est tronquée et déformée. Amputée de son origine qu’est la création et de son terme qu’est la recréation, elle n’en représente que la partie médiane : la décréation. Y compris le terme qui, faussement heureux et libérant, n’est que le pendant réactif et révolté du précédent : la promotion des LGBT comme seule solution à l’intolérance religieuse.
Le premier acte de l’histoire ne nous est pas raconté. Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance. Le Dieu sage, bon et donc puissant, a créé l’homme doué d’intelligence, de volonté et donc activement libre. Dans cette création, la différence homme-femme révèle la différence entre Dieu et l’humanité, voire quelque chose de la distinction intradivine entre les Personnes trinitaires. Cette différence entre l’homme et la femme appelle la communion féconde : l’amour donne la vie. Cette altérité première est si fondatrice que saint Paul ose dire – et cette parole, devenue inaudible, suscite les plus vifs rejets – que le refus du Tout-Autre conduit au refus de l’autre, notamment de l’autre sexe dans les actes homosexuels (cf. Rm 1,24-27).
Le deuxième acte est celui de la chute (la décréation) : en se préférant à Dieu, le premier couple l’a rejeté et a péché très gravement (cf. Gn 3) ; en péchant, il s’est blessé. Et toute l’existence de l’humanité en fut navrée, en particulier notre condition sexuée, qui porte l’immense dignité de dire le double don de l’amour et de la vie. Nul ne sait aujourd’hui la genèse de l’orientation vers la personne de même sexe. Qui peut faire la part entre facteurs endogènes et exogènes, physiques et psychiques, individuels et culturels ? Quoi qu’il en soit, l’inclination sexuelle, comme toute propension spontanée, n’est jamais un péché. Celui-ci ne commence qu’avec la liberté, lorsque la personne trahit la bonne nouvelle de la sexualité qui est ouverture à l’amour et à la vie. Voilà pourquoi, suivant l’enseignement de la Bible (cf. Gn 19,1-29 ; 1 Co 6,10 ; 1 Tm 1,10), la Tradition de l’Église et son Magistère ont toujours affirmé que « les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés ». Ils distinguent aussi clairement les actes, les inclinations et les personnes qui, vivant cette « épreuve », doivent être accueilli[e]s avec respect, compassion et délicatesse » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 2357-2359).
Voilà un discernement que ni les parents de Jared, ni les protagonistes du centre ni le film ne proposent jamais, et donc que le héros n’entendra jamais. La véritable histoire, difficile, comme tout ce qui touche à la sexualité (celle de la personne hétérosexuelle ou de la personne homosexuelle, celle des époux, des consacrés ou des célibataires), est l’histoire d’une bénédiction inaugurale, d’un combat pour la chasteté, de chutes et de relèvements toujours possibles.
L’intrigue ne nous offre que les deux versants du moment intermédiaire, dont le second, largement idéologisé, n’est que faussement la réponse aux intolérables déformations du premier : la culpabilité généralisée ne peut qu’engendrer, à titre réactif, la déculpabilisation tout aussi universelle. Heureusement est évitée la réaction extrême qui conduit l’homme du ressentiment jusqu’à l’exclusion de Dieu : « Je crois en Dieu », confesse la lumineuse mère de Jared, après un chemin aussi discret que radical. En revanche, en nous révélant au terme que, aujourd’hui, « Sykes vit avec son mari », ne nous est pas épargnée l’accusation implicite (omniprésente dans le pamphlet faussement objectif de Frédéric Martel, Sodoma) dont se nourrit l’herméneutique gay : toute homophobie traduit une homosexualité latente. Cet argument aussi faux qu’irréfutable assimile tout destin des pulsions sexuelles à ce que Freud appelait « formation réactionnelle » et dont le personnage du baron de Charlus, dans À la recherche du temps perdu, constitue un exemple abouti avant la lettre.
Heureusement, une troisième voie existe. Elle est décrite par le psaume : « Amour et vérité se rencontrent » (Ps 84 [85],11). Elle est incarnée par le Christ, par exemple dans l’épisode de la femme adultère : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus » (Jn 8,11). Elle est rendue possible par l’Esprit-Saint : « Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir » (Ga 5,25).
De même que le récit ignore le premier moment qu’est la création, de même ignore-t-il le dernier qu’est la recréation. Il raconterait l’histoire, théologale, du pardon, celle, éthique, de l’acquisition coûteuse et joyeuse de la vertu de chasteté et, osons l’ajouter, celle, psycho-éthique, d’une possible guérison des troubles psycho-sexuels. Assurément pas du tout dans le sens décrit dans le film, qui violente la liberté de l’homme et la vérité de Dieu. Mais un certain nombre de récits le montrent, des personnes passent de l’homosexualité à l’hétérosexualité (cf., par exemple, le témoignage de Sébastien, recueilli par Pierre Pastre, Ne deviens pas gay, tu finiras triste, Paris, L’ŒIL, François-Xavier De Guibert, 1998 ; ou le travail du pasteur Philippe Auzenet, directeur de l’association Oser en Parler). Il ne s’agit alors pas d’effacer (to erase en anglais) l’identité sexuelle (qui ne s’égale pas à l’orientation), mais de la réorienter vers l’authentique amour.
Pascal Ide
Dans les années 2010, en Arkansas, « l’État des possibles ». Jared Eamons (Lucas Hedges), dix-neuf ans, vit avec son père Marshall (Russell Crowe) qui est concessionnaire automobile et pasteur baptiste, et sa mère Nancy (Nicole Kidman) qui s’occupe de leur foyer. Lorsqu’il leur annonce son homosexualité, ses parents l’invitent fortement à suivre une thérapie de conversion afin qu’il devienne hétérosexuel, dans un centre appelé Love in action. Le programme est assuré par le thérapeute en chef, Victor Sykes (Joel Edgerton). Jared se retrouve avec une dizaine d’autres jeunes, surtout garçons, tous homosexuels. Au début, malgré la honte ressentie et la violence de la demande pressante, il se prête avec bonne volonté aux exercices d’inventaire moral qui demandent d’avouer ses fautes intimes en matière sexuelle et de vivement les regretter devant tous. Peu à peu, les exigences croissent et les libertés diminuent. Sa mère, qui vient le visiter régulièrement, le pressent sans pouvoir le cerner. Certains « craquent ». Jared tiendra-t-il ?