Blanche comme Neige, drame français d’Anne Fontaine, 2019. Inspiré par le conte Blanche-Neige des frères Jacob et Wilhelm Grimm, 1812. Avec Lou de Laâge et Isabelle Huppert.
Thèmes
Narcissisme, amour, jalousie.
L’intention d’Anne Fontaine est tristement claire autant que clairement triste : celle qui est morte au dedans devra mourir au dehors ; celle qui vit à l’extérieur est celle qui a déployé la vie à l’intime d’elle.
Précisons. La belle-mère est doublement morte : par sa jalousie mortifère et meurtrière ; par son refus de vieillir. En effet, le miroir n’est plus seulement le lieu de la question-comparaison-poison, mais, devient ce qui renvoie le reflet cruel de l’inexorable vieillissement. D’ailleurs, l’homicide du jalousé n’est que le double manifeste du suicide depuis toujours perpétré contre le jaloux même ; et la consomption ignée ne fait qu’attester visiblement la flamme haineuse qui l’avait déjà invisiblement ravagée. La doublement belle fille, elle, dans le contexte enchanteur de ce cirque montagneux matriciel naît à elle-même, c’est-à-dire, selon l’anthropologie rousseauiste et la caméra complaisante d’Anne Fontaine, à l’amour sans père ni repère, et au désir sans foi ni loi.
Qu’en est-il en vérité ? En fait d’amour, la jouvencelle tourne son charme et son désir uniquement vers elle. En décidant très sciemment de ne s’attacher à personne (elle se vante même de ce difficile exercice de détachement universel), elle décide tout aussi intentionnellement de ne s’attacher qu’à elle-même. Et donc fait égoïstement fi de ce qu’elle suscite chez l’autre : désir, bientôt amour et, déçus, cette conséquence inéluctable qu’est la tristesse. En guise de roman d’apprentissage, la cinéaste ne filme qu’un éloge de plus du narcissisme. En guise de chemin de guérison, n’est proposé que le plus court sentier, celui qui va de soi à soi. Son héroïne ne fait que consommer de tout et consumer son tout qu’est sa belle jeunesse. La jeune fille en fleur n’attend plus d’autre fruit que d’elle-même et ignore la pollinisation qui ne peut venir que de l’autre. En cela fidèle au conte, le film ne montre de fruit, que celui vénéneux de la pomme empoisonnée. Pourtant, alors qu’elle se croit libre de tout, Claire pourrait vite devenir dépendante de ces drogues multiples (sexe, alcool, cabanis) auxquelles elle se livre sans retenue. Alors qu’elle croit se réserver, elle ne fait que se préserver. Alors qu’elle pense faire son éducation sentimentale, elle ne connaît qu’une in-ducation (si je puis dire [1] !) auto-érotique.
Certes, la galerie de ces nains en humanité que sont les hommes courtisés (entre lâche, libertin, taiseux, benêt, maladivement timide, et j’en passe) paraît excuser Claire. Mais, en manipulant leurs pulsions et en satisfaisant les siennes, elle les instrumentalise sans scrupule. Surtout, cette théorie de sous-hommes n’a rien d’un Théorème (Pasolini, 1969) au féminin – le génie en moins – où le désir viendrait libérer un village entier : dans cette « parole d’homme », jamais l’homme ne passe l’homme. Surtout, ce défilé (au double sens du terme) atteste le regard si négatif d’une réalisatrice qui avait déjà montré quelque chose de son féminisme amer dans Les Innocentes – non content d’être à charge contre la violence masculine, le film de 2016 déforme en profondeur l’une des plus belles vocations, la vie religieuse.
Le rouge (porté par Maud) n’est plus, comme dans la liturgie catholique (le Vendredi Saint ou les célébration des saints martyres) le symbole de la vie qui est donnée par amour, mais celui, au contraire, de la vie qui est répandue par violence. La blancheur n’est plus le symbole de la pureté de celle qui se garde pour mieux, un jour, s’offrir corps et âme, mais la lividité de celle qui ne vit que pour soi et n’aime que soi. En effet, qui a enseigné à Claire, par l’exemple plus encore que par la parole, que vivre, c’est vivre pour (et par) l’autre ?
Terminons toutefois par une lumière qui, paradoxalement, vient de l’homme en noir. Même si le prêtre défaille gravement en n’annonçant pas la vérité de l’amour qu’est la chasteté, et en détournant le sens de la parole fameuse de saint Augustin « Aime et fais ce que tu veux », du moins offre-t-il un véritable témoignage de pureté (« Vous n’aimez pas les pécheresses ? – Oh, si ! Mais point le péché ») et de charité (ce qui réveille la Belle endormie, n’est pas les baisers, mais son signe de croix…).
Pascal Ide
[1] Étymologiquement, éducation vient du latin ex-ducere, « sortir de ».
Aujourd’hui dans le sud de la France. Une jeune femme, Claire (Lou de Laâge), orpheline, travaille dans l’hôtel de son père décédé, sous la direction de sa belle-mère, Maud (Isabelle Huppert). Découvrant que Bernard (Charles Berling), son amant, en est devenu amoureux, Maud décide de se débarrasser de sa rivale. Mais Claire est sauvée in extremis par un homme, Pierre (Damien Bonnard). Elle se réveille dans sa maison où, en plus de lui, logent non pas des nains, mais François, son frère jumeau bègue, et Vincent (Vincent Macaigne), un violoncelliste hypocondriaque. En faisant progressivement connaissance des différents célibataires du village – Sam (Jonathan Cohen), un vétérinaire dépressif depuis un échec amoureux, Charles (Benoît Poelvoorde) , un bibliothécaire libidineux, Clément (Pablo Pauly), son fils qui est spécialiste en arts martiaux et dominé par son père, et un prêtre canadien, le père Guilbaud (Richard Fréchette) –, Claire réveille leurs désirs tout en s’éveillant aux siens – le père recteur du sanctuaire de La Salette excepté.
Mais, en entendant Bernard parler à Claire au téléphone, Maud est relancée dans son projet assassin. Le début et le milieu du conte des frères Grimm étant déjà passablement égratignés, l’heureuse fin le sera-t-elle aussi ?