Bac nord
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Pays:
Français
Thème (s):
Confiance, Pardon, Trahison
Date de sortie:
18 août 2021
Durée:
1 heures 44 minutes
Évaluation:
**
Directeur:
Cédric Jimenez
Acteurs:
Gilles Lellouche, Karim Leklou, François Civil
Age minimum:
Adolescents et adultes

BAC Nord, biopic dramatique français co-écrit et réalisé par Cédric Jimenez, 2020. Inspiré par le scandale au sein de la brigade anti-criminalité de Marseille en 2012 : dix-huit de ses membres avaient été déférés en correctionnelle pour trafic de stupéfiants et rackets. Avec Gilles Lellouche, Karim Leklou et François Civil.

Thèmes

Trahison, confiance, pardon.

Autant le film est scénaristiquement réussi, autant il est éthiquement inabouti.

 

Bien évidemment, comment ne pas être passionné par la description au plus près de la réalité vécue par les policiers de la BAC marseillaise, ce qu’ils doivent endurer pour simplement sécuriser les habitants des quartiers nord, sans même espérer y faire règner un semblant d’ordre ? Comment aussi ne pas être saisi par cette action qui se traduit par une montée en tension (le film est à déconseiller aux personnes sensibles à cause non pas tant du spectacle de la violence que du stress croissant qu’il engendre), de plus en plus insupportable, engendrant un réel suspense pour les spectateurs qui, comme moi-même, ignore l’histoire réelle ? Une fois la saisie accomplie, l’intrigue sera de nouveau relancée lorsque viendront les phases de l’enquête et de la prison.

 

Toutefois, après l’émotion, la réflexion. Laissons de côté la dimension sociopolitique, particulièrement complexe, que pourrait structurer le triangle dramatique (les bourreaux que sont les dealers, les victimes authentiques que sont les populations de ces quartiers pris en ôtage, les vrais sauveurs que sont les policiers sur le terrain, etc.), pour nous centrer sur une question éthique qui pourrait aisément être occultée, alors qu’elle est au cœur du récit. Au fond, l’histoire qui nous est racontée est une histoire de trahisons en cascade. La plus apparente et qui semble être la leçon (simpliste) du film est celle dont le trio est victime : d’abord de la part de Jérôme qui, face à la juge et sous le regard médusé de Greg nie toute implication dans la collecte de cannabis) ; puis, de la part de leurs collègues de la brigade Nord qui ne courront pas le risque de passer plusieurs années en prison ; enfin de la part des « cols blancs » du ministère de l’intérieur. Mais cette condamnation généralisée dit-elle tout, voire vise-t-elle juste ? D’abord, Jérôme lui-même ment, donc trahit la confiance de la place Beauvau, mais par pragmatisme, par simple calcul : lâcher le trio, pour sauver tout le reste de l’équipe de la BAC Nord. Ensuite, Yass oblige Antoine à trahir à son tour son indic. Enfin, il y a plus caché. Amel est déloyale à l’égard de toute sa famille et de toute la cité ; Antoine brise le lien de confiance avec la police en conservant des prises et en se drogant ; Yass accepte la mission de Jérôme non pas en conformité avec l’éthique de la police, mais pour assurer sa promotion ; même l’amitié du trio est minée lorsque, pendant l’interpellation des clients pris sur le fait au square des Oliviers, le dealer local les prend à partie, Antoine perd son sang-froid et les agresse, conduisant chacun à sortir son arme, dans un engrenage meurtrier dont le trio sort choqué, Yass se retournant à juste titre contre Antoine.

 

Si centrale soit cette problématique de la trahison, le film ne l’affronte pourtant jamais. D’ailleurs, ni la psychologie ni l’éthique ne s’y sont intéressées de près. L’on doit à un psychologue jungien, James Hillman, l’un des rares travaux. Appuyons-nous sur quelques-unes de ses analyses [1].

En amont, tout enfant naît dans un climat marqué par une confiance fondamentale. Grâce à elle, il bénéficie d’une réelle croissance ; sans elle, il ne peut que sombrer dans la violence. Or, dès la première image, nous apprenons que Gregory est sans aucune famille. De fait, nous ne le verrons jamais vivre hors de son travail, à la différence de Yass ou d’Antoine, et découvrirons que ses seuls amis sont ceux qu’ils fréquentent sur son lieu professionnel. D’ailleurs, c’est par un acte de loyauté inconditionnel envers Jérôme que, après une soirée détendue, il acceptera cette mission… de confiance. Celle qui le conduira à sa perte.

En aval, lorsque la personne est trahie, elle sombre dans une cascade stérile dont la fine analyse est sans doute l’apport le plus déterminant du psychologue américain [2] : la vengeance (qui, immédiate, conduit à une nouvelle vengeance ou, différée, à une obsession), le déni (c’est-à-dire la dénégation de la valeur de la personne et la survalorisation de son ombre au sens jungien), le cynisme (généralisant, celui qui est trahi considère désormais tout amour comme une tricherie), la trahison de soi (alors que celui qui a confiance s’ouvre et se révèle, celui qui a été trahi nie, par protection, la valeur de ces actes de confiance, « trahissant les fondamentaux de [sa] propre nature » dans une « souffrance inauthentique et une mauvaise foi [3] ») et le danger paranoïde (l’exigence imposée à l’autre d’une relation d’où tout risque est exclu, donc toute faille est exclue, donc aussi toute confiance l’est aussi…).

Or, le dénouement de l’histoire donne raison à Hillman. Loin de comprendre et de pardonner, le trio a succombé à ces multiples tentations : au pire, Greg la quitte et devient agent de municipalité ; intermédiaire, mais non moins réactif, Antoine abandonne aussi pour se reconvertir en infirmier pénitentiaire ; au mieux, Yass est resté dans la police, mais en se syndiquant. Sans surprise, c’est, du trio, ce dernier qui est le plus intégré socialement (Yass est le seul à être marié et père), qui est le moins désintégré psychologiquement.

 

Notre auteur ajoute que ce devenir n’est en rien une fatalité. Hillman ose dire que le remède réside ultimement dans « l’un des sentiments religieux les plus nobles : le pardon [4] ». Et il ajoute un élément passionnant, inspiré par la psychologie jungienne de l’anima et de l’animus. La personne saine équilibre en elle cette double polarité symboliquement féminine et masculine. Or, « l’expérience de la trahison fait partie d’un mystère masculin [5] ». Emblématiquement, en effet, elle est l’acte du père qui trahit la confiance que l’enfant nourrit à son égard. Mais on ne sort de la trahison qu’en permettant à l’anima de pleinement s’exprimer : pas seulement les multiples sentiments toxiques que nous avons égrenés ci-dessus, mais, ultimement, l’amour qui va jusqu’à pardonner.

Or, le monde de la BAC Nord est un univers viriliste : non seulement parce qu’il est très majoritairement composé d’hommes masculins, mais parce qu’il exclut presque tout sentiment, toute intimité et toute vulnérabilité, toute expression de la compassion.

 

Ainsi ce CAP Nord est vrai en ce qu’il montre – la glaciale réalité des quartiers hors la loi de Marseille que redouble la violence intrapolicière sensée représenter cette loi –, et erroné en ce qu’il ignore – dans un milieu comme dans l’autre, la chaleur médiatrice d’un cœur qui guérit en compatissant et en pardonnant. En regard, affirme Hillman avec réalisme, ne rêvons pas à ce monde imaginaire sans ombre d’où toute trahison serait bannie. Mais, par le jeu combiné, réconcilié, de l’anima et de l’animus, par l’« intégration de l’anima » dans une « paternité pleine et entière [6] »,

 

« il se pourrait bien que la trahison n’ait d’autre conséquence positive que le pardon, et que l’expérience du pardon ne soit possible que si nous avons été trahi. Un tel pardon n’a rien d’un oubli, c’est le souvenir d’un tort subi et transformé dans un contexte plus vaste, ou, pour reprendre les termes de Jung, c’est le sel de l’amertume transformé en sel de la sagesse.

« Cette sagesse, en tant que sophia, est de nouveau une contribution féminin à la personnalité masculine, et fournirait le contexte élargi que la volonté ne peut constituer pour elle-même. La sagesse, la concevrais ici comme étant cette union de l’amour avec la nécessité [l’événement dramatique, mais consenti de la trahison], où le sentiment finit par circuler librement à l’intérieur de notre destin et nous réconcilie avec l’événement [7] ».

Pascal Ide

[1] James Hillman, La trahison, dans La trahison et autres essais, trad. Élise Argaud, coll. « Rivages poche. Petite Bibliothèque » n° 626, Paris, Payot & Rivages, 2008, p. 9-48.

[2] Cf. Ibid., III, p. 25-34.

[3] Ibid., p. 32.

[4] Ibid., V, p. 42. Souligné dans le texte.

[5] Ibid., p. 23.

[6] Ibid., V, p. 40.

[7] Ibid., V, p. 43. Souligné dans le texte.

  1. Grégory Cerva (Gilles Lellouche), Yassine (Karim Leklou) et Antoine (François Civil), agents de la brigade anti-criminalité (BAC) Nord de Marseille, officient dans les quartiers nord, la région de France détenant le plus haut taux de criminalité. Alors que Greg et Antoine sont célibataires, Yass est marié à Nora (Adèle Exarchopoulos) et attend un enfant. À leurs liens professionnels s’ajoutent des liens amicaux, dus aux longues heures passées ensemble.

Lors d’une intervention musclée pour saisir un « charbonneur », ils ont un accident sur le trajet, ce qui leur est reproché par leur officier supérieur, Jérôme (Cyril Lecomte) : pour la préfecture de police, un contrôle ou une interpellation a la même valeur. De même, il impose de ne pas entrer dans la cité, pour ne pas créer d’incident. Au cours d’une autre intervention périlleuse, le trio se retrouve à pourchasser un véhicule, qui se réfugie dans le quartier des Aigues douces. Les caïds leur interdisent l’entrée dans la cité et les provoquent. Obéissant à leur hiérarchie, Greg, Antoine et Yass sont forcés de reculer. Mais se sentant humilié, Greg fait remonter son ressentiment à Jérôme.

À la suite d’une demande du préfet, Jérôme leur propose alors de réaliser un démantèlement d’un immense réseau de trafic de drogue dans ce même quartier. Pour y parvenir, Antoine fait appel à son indic, Amel (Kenza Fortas). Au péril de sa vie, cette dernière propose de le renseigner contre cinq kilos de résine de cannabis ne provenant pas de la cité des Aigues douces où il est aisément traçable. Les cinq kilos récoltés, Antoine reçoit l’information de la part d’Amel : l’arrivée d’un imposant stock de drogue. L’opération est mise en place avec l’intégralité de la BAC Nord et approuvée par la hiérarchie. Le trio réussit, par le charbonneur, à remonter jusqu’à la planque et arrêter les dealers alors que la situation dégénère fortement et que les autres policiers de la BAC réussissent à tenir en joue une bande incontrôlable, sans pouvoir tirer un seul coup de feu.

Le démantèlement est un succès, fêté par l’entièreté de la BAC Nord. Mais la joie est de courte durée. Quelques semaines plus tard, Greg, Antoine et Yass sont arrêtés à l’issue d’une inspection de l’IGPN. Il leur est reproché d’avoir récupéré du cannabis sans l’aval de leur hiérarchie, uniquement pour leur profit personnel. Jérôme les défendra-t-il ? Le trio échappera-t-il à l’accusation de trafic de drogue en bande organisée ?

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