Au revoir là-haut, drame français d’Albert Dupontel, 2017, adapté du roman éponyme de Pierre Lemaitre. Avec Albert Dupontel, Nahuel Pérez Biscayart, Laurent Lafitte, Émilie Dequenne, Mélanie Thierry, Niels Arestrup.
Thèmes
Suicide.
Comment ne pas louer la créativité esthétique constante, la caméra toujours surprenante jusqu’à en être maniérée (la touche Jeunet n’est pas loin), la reconstitution minutieuse de la guerre des tranchées et du Paris des Années Folles ? Comment ne pas admirer non pas l’intrigue de cette filouterie improbable et d’ailleurs peu centrale, mais le scénario millimétré qui tisse les histoires les plus hétérogènes pour les faire converger dans un (relatif) happy end ? Comment ne pas être touché par cette histoire d’amitié où le plus jeune sauve le plus vieux, le physique disgracié prend soin du psychisme déglingué (Albert devient paranoïaque), où le cœur mal-aimé (de son père) guérit le cœur en mal d’aimer, où la gueule cassée sans bouche fait sourire le visage absent du lunatique ? Comment ne pas pleurer à la réconciliation inattendue et pourtant si espérée d’un père plus tendre qu’il n’y paraît et d’un fils moins léger qu’il ne le donnait à voir ?
Pourtant, quelque chose en moi résiste à l’enthousiasme quasi unanime de la critique, résistance que résume bien le titre (je n’ai pas lu le livre, lauréat du prix Goncourt 2013). Quel est donc ce « là-haut » congédié que va déconstruire Dupontel, avec son anarchie douce-amère et non sans complaisance ?
S’il s’agit de l’autorité militaire qui décide, dans l’inconscience et l’indifférence, pour l’honneur et dans l’horreur, des guerres qui sont l’autre nom de charniers sanguinaires, et donc de millions de vies masculines dans la fleur de l’âge, comment ne pas dire son accord, sans condition ? Même si la scène au Lutetia, saluée par de nombreux critiques et d’ailleurs placée en bandoulière dans la bande annonce, caricature de nobles figures politiques qui n’ont pas démérité.
S’il s’agit du discours doloriste d’une religieuse inapte à la compassion, là encore, pourquoi pas ? À condition de ne pas ouvertement assimiler son propos au Crucifié que, de manière détestable, la caméra présente inversé au regard blessé d’Édouard momifié.
Si cet en-haut, enfin, s’identifie à la valeur intangible de la vie et s’il s’agit donc de justifier le suicide final, alors là, je m’écrie : « Stop ! Non ! » Certes, je n’atténue pas la souffrance ni n’exténue la désespérance d’un jeune homme qui, ayant perdu visage et voix, a accepté de passer pour mort, non pas seulement pour échapper à l’emprise familiale, voire se venger d’un père méprisant autant que méprisable, mais pour symboliser l’effacement de son être, et prolonger cette autolyse par la multiplication des masques (persona, en latin) qui, si créatifs soient-ils, se substituent à sa personne.Certes aussi, la transformation de la chute en un envol amplifié et magnifié par le superbe masque d’oiseau (un phénix ?) atténue la tragédie, voire cherche à métamorphoser la violence inouïe de la défenestration en une renaissance. Mais cet acte, indépendamment de son évaluation morale, est scénaristiquement absurde ou du moins incohérent (1) : pourquoi faire payer à son père qui vient de rembourser sa dette ?comment ôter sa vie sous les yeux de celui qui vient de la lui redonner ? comment la joie intense ressentie par la bouleversante demande de réconciliation paternelle pourrait-elle être aussitôt suivie par la tristesse profondément désespérée qui conduit au suicide ? comment l’ouverture du cœur suscitée par le don parfait qu’est le par-don pourrait-elle conduire à un acte de fermeture aussi profondément égoïste qu’un suicide ?
Bonjour ô Très-Haut qui est aussi le Très-Bas…
(1) Dans un contexte différent, il en était de même avec le suicide qui survient au terme du Huitième jour (Jaco van Dormael, 1996).
Pascal Ide
Le 2 novembre 1918, juste avant la fin de la Grande Guerre, Albert Maillard (Albert Dupontel) est témoin d’un crime dans sa tranchée : le terrifiant lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle (Laurent Lafitte), aristocrate arriviste qui veut gagner ses galons de capitaine, lance une dernière offensive, alors qu’il vient de recevoir l’annonce de l’Armistice et envoie deux de ses hommes éclaireurs. En découvrant qu’ils ont reçu une balle dans le dos, Albert comprend que c’est Pradelle qui les a tués. Se voyant démasqué, l’indigne lieutenant pousse le soldat dans un trou d’obus, pour qu’il soit enterré vivant. Mais il est sauvé in extremis par Édouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart), qui paye son héroïsme de sa défiguration par un éclat d’obus.
Dès lors, les deux hommes, socialement si différents, le grand bourgeois artiste dessinateur et le modeste comptable sans inventivité, vont devenir amis. Pour se venger de l’ingratitude de l’État, les anciens Poilus organisent une juteuse escroquerie : ils vendent très cher aux municipalités des monuments aux morts qui ne seront jamais construits. Mais leur arnaque suffira-t-elle à leur donner une raison de vivre ? Voire leur permettra-t-elle de survivre ?