Atomic Blonde, film d’espionnage américain de David Leitch, 2017. Avec Charlize Theron, James McAvoy, John Goodman, Eric Gray, Delphine Lasalle.
Thèmes
Vérité, mensonge, homme-femme, amour.
Disons-le d’emblée, ce film non content d’être sombre, hyperviolent et complaisamment voyeuriste, nous sert le scénario à la fois complexe et téléphoné caractéristique du film d’espionnage (l’héroïne s’avèrera finalement agent triple et spécialiste de la bande de Möbius…), et s’appuie avant tout sur la performance de Charlize Theron (qui a bénéficié de l’aide de pas moins de huit coaches !).
En sortant de la séance, une question me venait :un espion peut-il vivre ? En effet, tous les agents de terrain meurent, qu’ils soient anglais, américains, russes, allemands ou français – y compris Spyglass à qui, forte de ses précédentes missions mais non sans toute-puissance, Lorraine avait promis la vie sauve. L’on répondra que, sans grande surprise, l’héroïne, ressort vivante de ce vaste carnage dont elle est d’ailleurs en partie responsable (petit « jeu » : combien de personnes tue-t-elle ?).
Mais, du coup, la question rebondit et s’approfondit : comment un espion survit-il ? Et elle vaut même pour les victimes de l’hécatombe. Car, avant de tomber comme victimes, elles en ont été pour la plupart auteurs. Au premier rang, le très cynique Percival s’est construit le plus efficace des mécanismes de défense : la négation de toute différence entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal, et, au final, entre les gagnants et les perdants, donc entre les camps (« Pour gagner, il faut d’abord savoir de quel côté l’on est »). Mais pour quel bénéfice ? La maximisation toujours plus addictive de jouissances attristantes. Et à quel prix ? L’instrumentalisation systématique, la trahison généralisée, l’esseulement abyssal et surtout la destruction de sa conscience morale, jusqu’au terme. Instructif est son bref échange avant que Lorraine ne l’exécute : « Tu n’étais pas obligée de la tuer », lui reproche-t-elle à propos de Delphine. Réponse : « Tu t’es acheté une conscience ? ». Cette effrayante impénitence finale a quelque chose de diabolique. Le narcissisme n’est-il pas l’attitude démoniaque par excellence – la blessure en plus ? D’ailleurs, en donnant paradoxalement au héros le patronyme du très noble héros de la Table Ronde, le cinéaste ne cherchait-il pas à entériner cette thèse du brouillage général des frontières ?
Toutefois Lorraine lui rétorque : « Nous, nous savons la différence entre vérité et mensonge ». Elle se refuse donc à ce cynisme autojustificateur. Je repose donc ma question : comment survit-elle ? Certes, le scénario montre qu’elle garde son idéal patriotique intact. Mais comment gère-t-elle l’intense stress post-traumatique engendré par les multiples violences, subies et causées, sur fond métaphorique d’écroulement de la violence institutionnelle qu’était le monde soviétique ? De trois manières que l’impressionnante scène d’ouverture concrétise autant qu’elle le symbolise : en se dénudant de tout superflu (elle contemple sans aménité sa nudité grise), en se dépouillant de toute attache (elle brûle la photo de Gasciogne dont on devine qu’il fut son amant) et en se blindant-réfrigérant (elle refait son corps traumatisé autant que son psychisme dans un bain glacé). Cet appauvrissement volontaire – qui n’a rien de la kénose d’amour – prolonge au dedans d’elle les amputation produites au dehors. L’espion qui vient du froid retourne au froid et se refuse à la brûlure de l’amour. Jusques à quand ?
Ajoutons le couplet non pas anti-féministe, mais interrogateur de l’inversion de la symbolique masculin-féminin. Mes lecteurs y sont habitués ! D’Angelina Jolie, Kate Beckinsale et Cameron Diaz, à Scarlett Johansson et Gal Gadot, en passant par Milla Jovovich, Uma Thurman et Jennifer Lawrence, les studios hollywoodiens ont réussi à transformer presque toutes les têtes d’affiche un tantinet sportives en super-héroïnes. En fait, la surprise n’est que relative pour Charlize Theron. L’ex-top model et danseuse classique sud-africaine a récemment donné dans deux films d’action survoltés qui sont autant de blockbusters dont la recette se compte en dix chiffres : le quatrième opus de la franchise Mad Max (Mad MaxFury Road) et le huitième de la saga Fast & Furious (qui, modestement, n’est que numérotée). Elle offre d’ailleurs une scène totalement ahurissante qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a son équivalent en aucun autre film d’action (masculin ou non) : dans un plan-séquence ultra-réaliste qui dure pas moins de sept minutes et demi, Atomic Blonde la bien nommée affronte dans l’escalier d’un immeuble abandonné, le couloir et les pièces attenantes, un groupe de six tueurs prêts à tout et surtout pas à lâcher leur proie, en de multiples assauts qui, pour être surviolents n’en demeurent pas moins chorégraphiés. David Leitch, qui n’a pas oublié que, dans une autre vie, il doubla Brad Pitt (notamment dans Fight Club) et Matt Damon (dans le troisième volet de Jason Bourne) et fut coordinateur de cascades, laisse le spectateur aussi exténué que son héroïne qui, au terme, n’a même plus l’énergie de se relever.
Mais revenons à notre sujet pour poser une seule question : pourquoi, à nouveau, les méchants sont-ils tous des hommes – hors le peu avenant Kurzfeld qui, encore vexé de l’insulte lancée par Lorraine, dirige toute l’opération de son bureau ou du jet privé mis à sa disposition, et l’insignifiant Spyglass (Eddie Marsan) qui n’ouvre la bouche que pour gémir ou se plaindre du mauvais allemand de celle qui vient de lui sauver héroïquement la vie – ? Pire : le seul amour mis en scène, outre sa réduction à une relation sexuelle torride, est un lesbianisme qui de nouveau évacue l’autre masculin, idéologiquement identifié à la violence et à la trahison.
Après l’ère de James Bond assurément macho et de Rambo assurément solitaire, n’est-il pas trop voyant que la seule alternative proposée, tout en contraste, est réactive – donc peu créative ? À quand des films d’action où, à la manière ingénieuse et souriante de Mr et Mrs Smith, le génie féminin et le génie masculin seront pleinement honorés ?
Pascal Ide
En 1989, à la veille de la chute du mur de Berlin, un homme, dont on découvrira qu’il s’appelle James Gasciogne (Sam Hargrave), et que c’est un agent secret du MI6, fuit, efficace, mais exténué et terrorisé. Il semble avoir réussi lorsqu’il est rattrapé in extremis par ce que l’on découvrira aussi être un agent du KGB, Yuri Bakhtine, qui l’abat de sang-froid en pleine rue, dans l’unique but, semble-t-il, de lui voler sa montre. Juste avant de mourir, James dit à Yuri qu’il n’est pas le meilleur.
L’agent secret Lorraine Broughton (Charlize Theron) prend un bain glacé alors que son corps et surtout son visage sont couverts d’ecchymoses. Convoquée pour raconter sa mission à Berlin, elle se retrouve en présence d’Eric Gray (Toby Jones), officier du MI6 représentant sa Gracieuse Majesté, et d’Emmet Kurzfeld (John Goodman), un officier de la CIA, dont elle récuse fortement la présence. L’on découvre alors que la montre contient une liste d’agents secrets œuvrant en Union soviétique et que Lorraine a été envoyée à Berlin à la fois pour récupérer la liste et tuer un agent double à l’identité inconnue, surnommé Satchel, qui livre des secrets aux Soviétiques depuis des années.Flashback « au commencement ». Arrivée à Berlin, Lorraine doit prendre contact avec David Percival (James McAvoy), le chef de station local. Mais peut-elle lui faire confiance? Déjà, à l’atterrissage, deux agents du KGB se font passer pour son contact et la prennent en taxi sitôt arrivée ; elle doit elle-même tuer avant que Percival ne se montre enfin et l’accompagne en voiture à son hôtel. Ensuite, il lui cache qu’un ex-agent de la Stasi, surnommé Spyglass (Eddie Marsan), a enregistré la liste grâce à sa mémoire eidétique. Puis, elle retrouve une photo de Percival et Gascione dans l’appartement de celui-ci, alors que Percival, vivant depuis dix ans à Berlin, dit ne pas même savoir où il habite. Enfin, quelques minutes après son arrivée, pas moins de deux escouades de policiers ouest-allemands montent à l’appartement pour arrêter Lorraine et elle ne leur échappe qu’après les avoir éliminés avec une redoutable efficacité. Quoi qu’il en soit, seul Percival savait où elle se trouvait. Désormais isolée et trahie par son contact et peut-être même par ses patrons qui le lui avaient recommandé, comment faire progresser l’enquête entre Berlin-Ouest et Berlin-Est en proie à une agitation sociale de plus en plus grande ? Et que veut la séduisante jeune femme qui la suit en moto depuis l’aéroport et s’avèrera être Delphine Lasalle (Sofia Boutella), un agent secret français ?