À couteaux tirés
Loading...
Pays:
Américain
Thème (s):
Amour, Vérité
Date de sortie:
27 novembre 2019
Durée:
2 heures 11 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Rian Johnson
Acteurs:
Daniel Craig, Chris Evans, Ana de Armas
Age minimum:
Jeunes et adolescents

À couteaux tirés (Knives Out), thriller à énigme américain écrit, coproduit et réalisé par Rian Johnson, sorti en 2019. Avec Daniel Craig, Chris Evans, Michael Shannon, Ana de Armas Christopher Plummer.

Thèmes

Vérité et amour.

Le bon film du scénariste et réalisateur du huitième opus de Star Wars (Les derniers Jedi, 2017) est déroutant à plus d’un titre : par son casting (que vient faire l’agent de Sa Majesté extraverti et aux méthodes très musclées sous les traits d’un détective effacé et si peu physique ?), son déroulement (pourquoi découvrons-nous très tôt qui a tué et pourquoi ?), sa construction narrative (pourquoi le spectateur en sait-il plus que le détective ? pourquoi le « méchant » apparaît-il si tardivement ? pourquoi s’intéresser tant à une coupable dont on devine très vite qu’elle ne peut l’être ?), son intention (s’agit-il réellement d’un murder mysteries, ainsi qu’on le présente, ou d’une critique sociale ? d’une intrigue centrée sur la victime ou plutôt sur le criminel ?).

 

Pour répondre à ces questions, il peut être fructueux de relire ce bijou de lucidité limpide et d’érudition intelligente qu’est l’étude aussi brève qu’incisive consacré par Deleuze à la Série Noire pour la sortie du numéro 1 000 de la collection éponyme créée par Marcel Duhamel chez Gallimard [1].

Deux conceptions du roman policier se sont succédées. La première génération montre « un détective de génie, consacrant toute sa puissance psychologique à la recherche et à la découverte de la vérité ». Et de même qu’il y a deux écoles du vrai – l’école française, avec Descartes, centrée sur la déduction, et l’école anglaise, avec Hobbes, centrée sur l’induction –, de même y a-t-il deux types de détectives, les Français Rouletabille (Gaston Leroux) ou Lecoq (Gaboriau) qui invoquent le prestige de la raison, et l’Anglais Sherlock Holmes (Conan Doyle), ce prodigieux interpète des signes. Quoi qu’il en soit du détail, ce premier type de policier est centré sur la vérité, comme produit de l’esprit. « Or, avec la Série Noire, mourut le roman proprement policier ». En effet, avec cette seconde génération, les erreurs essaiment : le criminel qui a tout prévu multiplie les bévues qui finissent par s’avérer catastrophiques ; le policier lui-même se trompe ; le coupable est connu, mais impossible à coincer. Dès lors, l’action va consister à compenser ou rééquilibrer l’erreur, comme dans la tragédie grecque (dont l’exemple par excellence est le destin d’Œdipe). Ainsi, « avec la Série Noire, la puissance du faux est devenue l’élément policier par excellence » et « l’activité policière n’a plus rien à voir avec une recherche métaphysique ou scientifique de la vérité ». D’un mot, la première génération de roman policier est à la modernité (la raison triomphante, le cogito exalté) ce que la Série noire est à la postmodernité (la déconstruction de la vérité, le cogito humilié). Deleuze en tire notamment trois conséquences qui sont autant de traits caractéristiques de la Série Noire : « l’unité du grotesque et du terrifiant » ; le pastiche et la parodie (« plus profond que le réel et l’imaginaire, il y a la parodie ») ; la multiplication des stéréotypes.

Lorsqu’on sait combien la Série Noire est liée à la société américaine où elle est née et a trouvé ses lettres de noblesse, n’est-on pas en droit de se demander si le très américain Knives Out émarge à la seconde génération plutôt qu’au thriller à énigmes de la première génération ? De fait, la recherche de la vérité intéresse beaucoup moins que les multiples erreurs commises, d’ailleurs par inadvertance, par Marta la vraie-fausse coupable d’abord, par Ransom, le faux-véritable assassin, ensuite. Qu’il est symbolique que le siège du vrai soit un trône de fer où rayonnent de multiples armes blanches, donc le lieu de toutes les violences centrées et concentrées ; plus encore, qu’il est hautement significatif qu’il s’avère être composé d’armes finalement aussi extérieurement vraies que réellement fausses ! Par ailleurs, le genre littéraire oscille constamment entre le comique grotesque et le tragique terrifiant (le patriarche s’est tout de même égorgé lui-même). En outre, le britannique Daniel Craig, alias 007, n’apparaît aussi décalé, que parce qu’il est une parodie de détective privé. Enfin, les rapaces faussement compatissants composant cette famille dysfonctionnelle sont autant de stéréotypes caricaturaux, depuis le mari adultère jusqu’au fils raté, en passant par la bru vampirique et le petit-fils néonazi.

 

Mais cette deuxième génération de roman policier n’est pas sans connaître quelques déplacements – à moins qu’il ne s’agisse de l’émergence insensible d’une troisième génération ?

D’abord, la critique sociale se fonde sur la division du continent américain que les États-Unis ont été obligés d’intérioriser par l’immigration massive. C’est ce que, de manière très révélatrice, montre la dernière image. Alors que Ransom est emmené par la police, le reste de la famille Thrombey déshéritée, divisée et expulsée, lève les yeux vers Marta qui, avançant paisiblement sur le balcon, sirote un café dans la coupe portant la signature d’Harlan : « My House, My Rules, My Coffee ». Le basculement géographique et social est encore davantage un renversement éthique et bientôt politique.

Ensuite, Marta ne domine ni ne toise la famille qu’elle a longuement servie. Elle regarde du lieu haut, mais pas de haut. Il n’y a rien ici d’un retournement dialectique, d’une revanche crypto-marxiste de la classe aliénée sur la classe aliénante. En effet, si le crime a été dévoilé, dénoncé et puni, ce n’est pas d’abord au nom d’une vérité toute-puissante, d’un savoir qui serait encore une forme dissimulée de pouvoir, mais au nom d’un amour compatissant, celui par lequel la jeune femme est poussé à faire la lumière, jusqu’à le payer de sa liebrté. Plus encore que ses hauts le cœur, c’est son cœur qui invite l’aide-soignante, plus riche en bonté qu’en argent, à dire la vérité.

Mais cette générosité serait inefficace sans l’humilité d’un détective qui préfère se tenir dans l’ombre, modestement et symboliquement, et n’accepte d’en émerger que lorsque les circonstances l’exigent. De même que, sans retour sur elle et toute centrée sur l’autre, Marta confond l’effroyable égoïsme d’une famille qui se donne la bonne conscience de lui dire qu’elle en fait partie, de même, n’ayant qu’un « moi », Benoît Blanc démasque les égos surdimensionnés d’une tribu blessée autant que blessante.

Il y a du Colombo dans ce détective au nom français et du Father Brown dans cette aide-soignante au prénom évangélique.

Pascal Ide

[1] Gilles Deleuze, « Philosophie de la Série Noire », Arts et Loisirs, 18 (26 janvier – 1er février 1966), p. 12-13. Repris dans L’île déserte et autres textes. Textes et entretiens 1953-1974, éd. David Lapoujade, coll. « Paradoxe », Paris, Minuit, 2002, p. 114-119. Les citations sont extraites de cet article.

Richissime auteur de romans policiers à succès, Harlan Thrombey (Christopher Plummer) convie dans son manoir les membres de sa famille pour célébrer son 85e anniversaire. Mais le lendemain matin, sa gouvernante, Fran (Edi Patterson), retrouve le patriarche mort, la gorge tranchée net. Alors que tout indique un suicide, le détective privé Benoît Blanc (Daniel Craig) est invité par un inconnu dans l’enquête de l’inspecteur Elliott (Lakeith Stanfield) et commence à suspecter un meurtre. En effet, la série des entretiens avec la famille révèle des secrets de famille qui sont autant de mobiles possibles. Harlan a trois enfants, l’aîné Linda, le cadet Neil et le benjamin Walter. Or, pendant cette soirée d’anniversaire Harlan a : menacé son gendre, Richard Drysdale (Don Johnson), de révéler qu’il a trompé son épouse Linda (Jamie Lee Curtis) ; annonce à sa bru, Joni Thrombey (Toni Collette), veuve de Neil, qu’il sait qu’elle l’a volé de 400.000 $ en dupliquant des chèques pour sa fille Meg (Katherine Langford), et que cette pratique cessera désormais ; renvoyé Walter (Michael Shannon) de la maison d’édition qui publie ses romans ; enfin, appris à Hugh « Ransom » Drysdale (Chris Evans), fils de Richard et Linda, qu’il n’héritera de rien.

L’on apprend alors que, après la fête, l’aide-soignante paraguyaine, Marta Cabrara (Ana de Armas), qui s’occupe de Harlan avec cœur, est montée préparer ses médications pour dormir. Mais, ayant joué au jeu de go et renversé la table pour s’amuser, Marta s’est trompé de flacons et a injecté 100 milligrammes de morphine au lieu des 3 prévus. Harlan comprend donc qu’il va mourir et lui donne des instructions strictes afin d’écarter toute suspicion sur elle. Habitué des intrigues policières, il l’invite à sortir, prendre la voiture comme si elle partait, la cacher après les caméras, revenir discrètement, monter par le treillis, entrer par une fenêtre dérobée, se faire passer pour Harlan en enfilant ses habits. Puis il se tranche la gorge. Mais, si ingénieux soit le stratagème, sera-t-il suffisant pour mystifier un vieux renard comme Benoît Blanc, surtout que Marta est incapable de mentir sans vomir ? D’ailleurs, qui a donné au détective privé la coquette somme d’argent pour venir enquêter ?

[/vc_c

 

Les commentaires sont fermés.