L’île
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Thème (s):
Dieu, Salut
Date de sortie:
8 janvier 2008
Durée:
1 heures 52 minutes
Directeur:
Pavel Lungin
Acteurs:
Piotr Mamonov, Viktor Soukhoroukov, Dimitri Dioujev

 

 

 

L’île, drame russe de Pavel Lounguine, 2006. Avec Piotr Mamonov, Viktor Soukhoroukov, Dimitri Dioujev.

Thèmes

Salut, Dieu.

L’île raconte le chemin de rédemption d’un assassin. Soumis à une double contrainte perverse (le choix de Sophie : être tué ou tuer son capitaine), il a lâchement tué un homme courageux et généreux (on le voit partager sa nourriture). Devenu moine, il vit triplement isolé : sur une île du nord de la Russie ; exclu par ses frères du monastère ; mais plus encore s’excluant car rongé par le souvenir de son crime : comment trouver le repos en dormant dans le charbon, marchandise que transportait le bateau où il a commis son crime ? Le Père Anatoli cherche à réparer en multipliant, non pas tant les miracles demandés par ses innombrables visiteurs que les actes de bonté : « la charité couvre une multitude de fautes » (1 P 4,8) ; plus encore, il ne cesse de supplier le Dieu trois fois saint de lui pardonner, avec les paroles du psaume 51 ou la prière du Nom de Jésus. Tel Mendoza dans Mission, il tire l’écrasant fardeau de sa culpabilité, osant à peine espérer le pardon de Dieu. Suprême délicatesse providentielle, il le recevra de la victime elle-même, comme un quasi-sacrement. Si tôt reçu, le « serviteur de Dieu » que le maître a trouvé prêt (cf. Lc 12,43), entre dans le grand repos de Dieu (cf. Ps 95,11 ; Hé 4,5).

Dans cette interprétation, un point essentiel demeure toutefois dans l’ombre : pourquoi le Père Anatoli, si lucide sur le péché des autres, est-il à ce point aveuglé sur le sien, au point de frôler la désespérance ? Celui qui ne cesse de répandre la miséricorde n’en est-il pas le premier bénéficiaire, au nom du primat de la charité à l’égard de soi (cf. Mc 12,31) ? Et si, au lieu d’être seulement sauvé, Anatoli était un sauveur sauvé ? Si, au lieu de nous parler de la seule rédemption du moine, L’île narrait la manière dont Dieu nous rend fécond ? L’Esprit maintient cette âme simple dans l’ignorance pour lui permettre d’accueillir, en toute humilité, les charismes étonnants de thaumaturge, prophète et d’exorcisme, et d’ainsi diffuser le visage du Dieu-amour sans jamais rien s’attribuer, ni argent ni mérite ? Plus profondément, moins humainement, le moine n’est pas tant obsédé par son salut (tel Luther) que vivement conscient de tout recevoir de Dieu. Dès lors, décentré de lui, dans un état de profonde disponibilité, il accueille tous les charismes dont il a besoin pour sa mission. Voilà pourquoi il peut obtenir la conversion de son supérieur, et plus tard de son capitaine devenu général, sans jamais leur faire la leçon ni s’attribuer le moindre mérite.

N’oublions pas non plus d’autres éléments de la figure de ce moine si atypique, par exemple sa désobéissance apparente (du moins en tension avec une attitude d’absolue remise de lui entre les mains de son Supérieur) ou son esprit facétieux qui va jusqu’à susciter l’accusation de scélérat et la colère de ses frères. Et si, plus qu’une participation au Christ, ce film mettait en scène une identification ? Entre le moment où le futur Anatoli est recueilli par les moines et celui où nous le retrouvons, il se déroule à peu près 33 ans. Selon la spiritualité orthodoxe, la prière assidue du Saint Nom de Jésus configure progressivement à Celui dont le Nom coïncide presque avec son être (1). L’identification à Jésus s’opère sous la figure singulière et fameuse dans l’orthodoxie des « fols en Christ » (2). Apparus très tôt dans l’Église, ces hommes et femmes, moines mais aussi simples laïcs ivres de Dieu, choisiss(ai)ent de vivre exilés de la raison. En réalité, ce qui apparaît fou aux yeux du siècle, répond à une logique, un Logos supérieur (1 Co 1, 18-31). Les gestes, les paroles et les silences du Père Anatoli ne deviennent compréhensibles qu’à celui qui accepte d’être mesuré par une sagesse qui n’est pas humaine : si, apparemment, il n’écoute pas son frère lui demandant d’être tourné vers l’iconostase, c’est qu’il intercède déjà pour le monastère en feu ; s’il enduit la poignée de suie, c’est pour décourager le frère Job et ainsi mieux répondre à l’appel de Dieu, etc. D’où aussi cette singulière capacité, caractéristique des fols en Christ, à arracher les masques (en particulier celui du désespoir) derrière lesquels se terrent les démons et à chasser ceux-ci avec l’efficacité promise à la prière pleine de foi (cf. Mc 11,24) ; d’où aussi cette réjouissante tendance à se moquer de son image (par exemple en se faisant passer pour paresseux ou obèse) et à se libérer de tout respect humain… ce qui rend ce drame poignant étonnamment léger.

Résolument spirituel, le film de Pavel Lounguine fait partie de ces très rares films qui fixent aussitôt – et définitivement – notre regard sur le noyau du Mystère : être sauvé ou être perdu. Et si L’île était au cinéma ce que L’idiot (3) est à la littérature ?

Pascal Ide

(1) Cf. Récits d’un pèlerin russe, coll. « Points/Sagesses » n° 14, Paris, Baconnière/Seuil, 1978 ; Hilarion Alfeyev, Le mystère sacré de l’Église. Introduction à l’histoire et à la problématique des débats athonites sur la vénération du nom de Dieu, trad. du russe par Claire Jounievy et Alexandre Siniakov, coll. « Studia Œcumenica Friburgensia » n° 47, Fribourg, Academic Press, 2007.

(2) Cf. Frédéric Le Gal, La folie saine et sauve. Pour une théologie catholique de la folie sainte, coll. « Théologies », Paris, Le Cerf, 2003 ; Vasili Novakshonoff et Lev Puhalo, La vie des Fols-en-Christ. Folie du monde et sagesse de Dieu, trad. Claude Lopez-Ginisty, coll. « Les éd. du Désert », Paris, Le Cerf, 2002.

(3) Fedor Mikhailovitch Dostoievski, L’idiot, trad. Albert Mousset, coll. « Folio », Paris, Gallimard, 1994.

Un monastère orthodoxe sur une île du nord de la Russie. Un moine perturbe la vie de sa congrégation par son comportement étrange. En effet, selon la rumeur, l’homme posséderait le pouvoir de guérir les malades, d’exorciser les démons et de prédire l’avenir… C’est en tout cas ce que croient les étrangers qui se rendent sur l’île. Mais le moine, qui souffre d’avoir commis une terrible faute dans sa jeunesse, se considère indigne de l’intérêt qu’il suscite…

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