Pacific Rim (Rives du Pacifique), film de science-fiction américain de Guillermo del Toro, 2013. Avec Charlie Hunnam, Rinko Kikuchi, Idris Elba.
Thèmes
Guerre, triangle dramatique de Karpman, trilogie de Dumézil.
Tout en reprenant plusieurs configurations classiques, Guillermo Del Toro en renouvelle les codes et nous offre l’un des meilleurs blockbusters de science-fiction de 2013.
D’abord, le critère premier en matière de fantasy et d’anticipation est la (sub)création d’un univers inédit et cohérent. Or, si le réalisateur et scénariste mexicain emprunte au riche univers japonais des Kaijûs – ces monstres apocalyptiques postnucléaires qui sont autant sortis de leur imagination que de leur histoire traumatique –, il le métamorphose avec son idée épatante de pont neural et une intrigue qui nous fait entrer dans une histoire déjà commencée, autrement dit dans une narration dont la nouveauté à venir surprendra à la mesure de la richesse mise en place dans son passé.
Le récit présente un autre atout majeur, qui est loin d’être une constante, dans ces machines à gros budget qui croient devoir doper le scénario à proportion des effets spéciaux inflationnaires : une intrigue d’une limpidité remarquable, fondée sur l’opposition du bien et du mal, ou plutôt sur le triangle maléfique de Karpmann, joignant méchant, victime et sauveur. En effet, Del Toro prend le temps de présenter les bons (les quatre Jaeger) en leurs différences et de les rendre attachants en leurs similitudes. Il se donne aussi le droit de détailler les bourreaux, en leur origine et en leur dessein (en revanche, une meilleure visualisation de leur structure et de leurs potentialités aurait augmenté notre crainte de leur dangerosité, donc notre joie de la victoire ; de même, les combats auraient eu lieu non seulement en mer et de nuit, mais sur terre et de jour et auraient accru leur visibilité). Et, là encore, le réalisateur innove en intériorisant le troisième pôle, celui de l’innocence : loin d’être oubliée, elle est intégrée aux personnages des combattants comme un moment de leur parcours parce qu’ils ont tous subi des pertes douloureuses de leurs proches à cause des Kaijûs. Autrement dit, les victimes apparaissent alors comme la face vulnérable de ces héros sauveurs et non pas comme des personnages individués. Ce faisant, l’histoire se simplifie et surtout s’invite un élément de dramatisation : ce qui stimule leur motivation, accroît aussi leur vulnérabilité (justice ou vengeance ?).
Enfin, nous retrouvons sans étonnement la grande trilogie fonctionnelle observée et systématisée par Dumézil : le chef, le savant et le guerrier. Mais, là encore, elle bénéficie d’un traitement original, par le dédoublement des figures : avant tout, les guerriers qui doivent mouvoir les imposantes machines à deux, et donc s’harmoniser mentalement ; les hommes de sciences qui se bipolarisent en mathématicien et en biologiste, mais aussi en savant « sage » et en savant fou, en théoricien et en praticien qui va jusqu’à donner de sa personne ; enfin, une autorité qui se réfracte au dehors en cols blancs qui risquent la vie des autres et en cols bleus qui risquent la leur et seront bientôt tentés de transgresser leurs ordres, et, peut-être plus encore, au-dedans, chez l’héroïque Marshall Stacker Pentecost lorsque son sens du devoir entrera en conflit avec sa mission de père (paire ?). À leur tour, chaque dédoublement est porteur de tension, de réconciliation et de coopération qui dramatisent la trame narrative.
L’idée la plus novatrice du film est celle du pont neural et de son corollaire psychique, la dérivation : le réalisateur en a exploré avec créativité et cohérence la richesse scénaristique, jusqu’à par exemple montrer ce que deviendrait le « savant fou » dérivant avec l’Alien, mais surtout en interrogeant le destin d’une telle fusion. En effet, celle-ci suppose une telle proximité qu’elle semble ne pouvoir s’établir qu’entre membres d’une même famille – ce qui permet de parcourir les différentes configurations possibles (père-fils, frère-sœur, triplés, etc.). Mais, dès lors s’invitent tous les facteurs de fission qu’une telle fusion ne manque point de générer : le conflit entre générations, la culpabilité irrésorbable à la mort d’un des deux conducteurs, etc. Bref, le réalisateur n’a pas manqué de voir tout le potentiel scénaristique de ce concept qui projette de manière ludique et réussie l’une des grandes questions de la philosophie, l’articulation de la liberté et de la nature en l’homme, qui est aussi l’une des grandes questions des sciences humaines et sociales, l’étroite connexion du donné et du construit. Voire, la symbolique ambiguë et assumée (héritée des mangas et de la SF japonaise) des doubles monstres, les bourreaux qui surgissent diaboliquement des entrailles chtoniennes et les sauveurs qui descendent démiurgiquement des hauteurs ouraniennes, souligne l’ambivalence de ces gentils monstres que sont les Jaeger. L’agent double a toujours été un agent trouble…
Une limite : le réalisateur nous surprend, voire nous prend à contrepied en offrant un film de guerre (même s’il s’agit de combats inventés dans un avenir proche) sous un titre romantique. Mais ne cherche-t-il pas à secrètement compenser une intrigue trop symboliquement masculine (qui, s’il convoque des héroïnes, est obligé de les viriliser) ? Dans son histoire si riche en bipolarités complémentaires, Guillermo del Toro a oublié d’inviter la première d’entre elles, celle d’animus et d’anima (qui est plus riche que celle du Yin et du Yang). Décidément, aujourd’hui, « tout ne va pas bien dans le ménage d’Animus et d’Anima [1] ».
Pascal Ide
[1] Paul Claudel, « Parabole d’Animus et d’Anima : pour faire comprendre certaines poésies de Rimbaud », Positions et propositions, dans Œuvres, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1965, p. 27-28.
En 2013, de gigantesques monstres appelés Kaijûs émergent d’un portail interdimensionnel appelé « La Brèche » au fond de l’océan Pacifique aux alentours de la faille géologique de Guam. Pendant trois ans, ils causent des ravages sur les villes côtières le long du Cercle de Feu, comme San Francisco, San José del Cabo, Sydney, Manille et Hong Kong, et tuent des myriades de personnes, jusqu’à ce que l’homme trouve la risposte en construisant des robots immenses appelés Jaegers, « chasseurs » en allemand. Du fait du stress mental intense lié au pilotage et à sa complexité, la machine est commandée par deux personnes (ou plus), reliées par un pont neuronal dans un processus appelé « dérive ».
En 2020, Gipsy Danger, piloté par Raleigh Becket (Charlie Hunnam) et son frère Yancy, s’affronte à un Kaijû de Catégorie 3 surnommé Knifehead. Alors que le monstre endommage le robot, éjecte Yancy hors du poste de pilotage et le tue, Raleigh parvient à piloter seul Gipsy et éliminer le Knifehead. Traumatisé par la mort de Yancy, il quitte le programme Jaeger.
En 2025, suite à une vague de revers, les gouvernements mondiaux décident de mettre fin au financement de la construction continue de Jaegers, en faveur de la construction de murs côtiers massifs. Mais les attaques des Kaijûs sont sans cesse plus nombreuses, leurs tailles plus grandes, et les Jaegers détruits plus vite qu’ils ne sont construits. Les Jaegers restants sont relocalisés sur la base de Hong Kong, le Shatterdome, sous le commandement du Marshall Stacker Pentecost (Idris Elba). Pour sauver l’humanité, il décide de se tourner vers Raleigh Becket (Charlie Hunnam), devenu ouvrier sur un chantier de construction murale, et Mako Mori (Rinko Kikuchi), directrice du programme de restauration des Jaegers et fille adoptive de Pentecost. Mais les démons intérieurs du premier ne risquent-ils pas de lui interdire d’affronter ces démons extérieurs ? Et qu’attendre d’une recrue qui n’est encore jamais allée sur le terrain et dont la famille fut elle aussi tuée par un Kaijû ?