Avant votre mariage, apprenez à communiquer

« Avant votre mariage, apprenez à communiquer », Famille Chrétienne, 1115 (mai 1999), p.

Le but de l’amour est de faire un. Mais il n’y a pas de communion sans communication. Celle-ci doit se mettre en place dès les fiançailles. Elle exige un apprentissage qui peut être délicat. Quelques conseils du Père Pascal Ide, auteur de Mieux se connaître pour mieux s’aimer (Fayard)…

Au plan humain, les trois secrets du couple sont la communication, le don et le pardon. J’en rajouterai volontiers un quatrième : l’imagination.

En recevant les couples en crise, leur difficulté la plus évidente et la plus constante est la difficulté à communiquer. Lorsqu’ils échangent, les époux me donnent l’impression de vivre à des étages différents.

Or, les bonnes et les mauvaises habitudes de communication se prennent très tôt – ce qui ne signifie pas que les plis défectueux soient irréversibles. C’est dès les fiançailles qu’il faut mettre en place une parole et une écoute ajustées.

Le deuil de la communication parfaite

Les fiancés ont d’abord un deuil à faire : celui d’une communication d’emblée dénuée de failles et d’incompréhensions. Beaucoup de futurs mariés s’inquiètent de peiner à comprendre l’autre. Ils se disent : « Si nous avons déjà du mal à échanger maintenant, qu’est-ce que ce sera dans quelques années ! »

Derrière cette réflexion se profile une certaine conception de l’amour : les premières bouchées sont chaudes, les suivantes sont de plus en plus tièdes. Or, c’est tout le contraire qui est vrai : plus on avance, plus l’amour se réchauffe, car plus on aime l’autre pour lui-même et non pour soi.

De même, pour la communication. Celle-ci, comme le don et le pardon, n’est pas spontanée. Elle demande un apprentissage : coûteux dans sa mise en place, heureux dans ses fruits.

Au fond, faire le deuil d’une communication parfaite, c’est faire le deuil du modèle amoureux qui règne sur notre Occident depuis plus d’un siècle : l’amour romantique, qui est un amour passion, fusionnel, d’emblée « au sommet » et qui tente désespérément d’y rester.

Un homme marié depuis vingt ans me disait : « Mon amour pour mon épouse ne cesse de grandir. Pourtant, elle demeure toujours pour moi un mystère. Cela ne veut pas dire que je ne la comprends pas , mais elle m’étonne toujours ; elle est plus profonde que tout ce que je peux en saisir ». Selon un mot qu’affectionnait Jacques Lacan : « Faire le tour de l’autre, c’est en faire le tour (de passe-passe) », le faire disparaître.

Parler à l’autre en profondeur

Rentrons dans le détail. Rencontrant des fiancés, je ne leur fais pas un cours sur la communication. Je pars de leur situation, de leur enthousiasme, de leur désir de communion… et aussi des amorces de dysfonctionnement qu’il est possible de repérer et toujours plus facile de corriger dans les débuts.

Je demande d’abord à chacun des fiancés : « Pouvez-vous parler à l’autre en profondeur ? » Parler à l’autre en profondeur, c’est lui dire ce qui habite notre intimité. C’est souvent lui révéler des pensées secrètes, des événements passés que l’on a dits à peu, voire à personne. Il faut toujours du temps pour entrer dans cette confiance et cette transparence.

Cette juste communication suppose un équilibre entre deux excès. A trop se voir, l’échange devient superficiel. Je conseille alors aux fiancés de garder au moins un jour par semaine où ils demeurent seuls, sans voir leur futur époux, ni lui téléphoner : cela leur permet de s’approprier ce qu’ils vivent, de ne pas fuir la solitude, de demeurer bons amis d’eux-mêmes.

Dans l’autre sens, il y a non pas tant les fiancés qui ne se voient pas assez, mais ceux qui se voient trop peu en tête à tête. Ici, je leur conseille de garder impérativement pour eux seuls (sans ami, sans grand-tante ou salle de réception à visiter) une soirée, une après-midi sur leur agenda une fois par semaine : ce temps sera réservé à un échange en profondeur sur un sujet. Et s’ils pouvaient conserver cette habitude toute leur vie…

On dit que le couple européen parle en moyenne deux minutes par jour sur les sujets importants intéressant leur vie commune !

Être écouté en vérité

L’écoute suppose un émetteur – nous venons de le voir – et un récepteur. Je demande donc aux conjoints : « Vous sentez-vous écouté en plénitude ? »

Les vices d’écoute sont de plusieurs sortes : il y a ceux qui jugent trop vite ; il y a ceux qui se passionnent plus pour l’information (« Ah, c’est intéressant ! ») que pour la personne ; il y a enfin ceux qui rassurent trop et trop vite, empêchant ainsi l’autre d’exprimer toute sa souffrance.

En revanche, la véritable écoute cherche d’abord à comprendre ce que l’autre a dit, par exemple en reformulant et en vérifiant : « C’est bien cela que tu as voulu dire ? » Là encore, cette écoute, qui est une des plus hautes formes de l’amour, est tout un apprentissage.

Communiquer sur quoi ?

Jusqu’à maintenant, j’ai surtout parlé de la manière de communiquer. Mais la communication porte sur un contenu, sur un message. Sur quoi le futur couple est-il appelé à communiquer ?

Je donne systématiquement aux fiancés des questionnaires tirés d’un ouvrage, Mariage, divorce et nullité de Geoffrey Robinson (sans toutefois donner le titre du livre pour ne pas effrayer !) : sous forme de quatorze séries de questions, sont abordés en détail nombre de sujets dont ils ont déjà parlé spontanément, mais aussi d’autres auxquels ils n’ont pas toujours pensé et que, pourtant, ils ne manqueront pas d’aborder tôt ou tard (la relation aux amis, aux loisirs, à l’argent, etc.).

J’aborde aussi avec les fiancés trois sujets essentiels à la bonne communication. Ils concernent tous la « gestion de la différence », qui est le problème essentiel du couple.

La différence homme-femme

On sait le poids des conditionnements culturels et donc la variabilité de cette différence homme-femme. Mais il ne faudrait pas que ceux-ci en viennent à nier cette réalité objective et nous fassent croire que l’un est l’autre. L’actuel succès de l’ouvrage Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus montre combien les personnes des deux sexes se considèrent mutuellement comme une énigme et aspirent à des clés de lecture de leur altérité.

Pour sensibiliser les fiancés à cette question, je leur conseille de lire l’excellent ouvrage d’Alphonse d’Heilly, Aimer en actes et en vérité. La seconde conférence traite des différences homme-femme. Soit dit en passant, le livre passionne les fiancés aussi parce qu’il leur permet de découvrir un autre regard d’Église sur les relations entre l’amour de Dieu et l’amour de son époux (première conférence), sur les gestes charnels et la sexualité (troisième conférence).

Les différences de caractère

La seconde différence concerne les individus. Pour l’approcher, je m’aide de ce que nous a appris la caractérologie de Le Senne. Je demande très souvent aux fiancés de lire la première partie de l’ouvrage de Marie-Madeleine Martinie, Communiquer en famille.

Sans en faire une clé de lecture unique et déterministe, l’intérêt de la caractérologie est double : nommer et mieux comprendre nombre d’attitudes quotidiennes ; ne pas confondre les tares et les différences.

Prenons un exemple. Lui se lève tous les matins à six heures et se couche largement après minuit ; entre les deux, il a fait trois fois le tour du globe. Elle, au contraire, aime traînasser dans son appartement, prendre un bon petit déjeuner, « buller ». Ils sont très amoureux l’un de l’autre, et veulent se marier.

Mais lorsqu’il découvre les habitudes de vie de sa bien-aimée, il ne peut s’empêcher de la trouver paresseuse ; quant à elle, elle s’inquiète de ce surexcité qui ne sait pas s’arrêter pour « profiter des bonnes choses ». En fait, la caractérologie nous apprend qu’il est un actif (très actif) et qu’elle est non-active (très peu active). Ces données sont innées, certes, elles peuvent changer, mais peu.

La caractérologie, de l’aveu de ce couple de fiancés, leur a permis de transformer leur tendance à s’accuser en acceptation de leurs différences. Tant la connaissance de soi est l’un des tout premiers secrets de la vie ensemble : pas d’intimité sans intériorité.

Les modèles parentaux

Bien des tensions et des conflits naissent aussi des différences entre les modèles parentaux que les fiancés véhiculent. Je prends donc fréquemment la peine d’en parler avec eux. Ils ont en effet tous hérité de leurs parents une certaine représentation de l’amour conjugal et de leur vocation de père et de mère. Mais ils n’ont pas forcément pris le temps de se le dire, et de le dire à leur futur conjoint.

Un thérapeute de couple disait : « Lorsque je reçois un ménage en difficulté, je ne reçois pas deux, mais six personnes : les conjoints et leurs parents respectifs ». Il ne s’agit bien entendu pas pour le prêtre de jouer au « psy », ce qui ne correspond ni à sa vocation ni à ses compétences, mais d’attirer l’attention des conjoints sur ce qui est trop souvent un non-dit.

Or, l’expérience montre qu’il y a trois attitudes erronées à l’égard de ses parents, qui pèsent lourdement sur le couple futur :

  1. L’idéalisation (plus fréquente que l’on ne croit) : le fiancé ne supporte pas d’entendre la moindre remarque négative à propos de ses parents, car il les pense sans faille. L’idéalisation est une forme de fusion.
  2. L’opposition systématique : « Ce qui est sûr, c’est que je ferai tout le contraire de mes parents ». C’est oublier que s’opposer, c’est encore se poser ; c’est faire en creux ce que ses parents faisaient en plein.
  3. L’indifférence : elle est en fait la forme refroidie de l’opposition systématique.

La juste attitude à l’égard des modèles parentaux suppose un discernement paisible de l’héritage familial : ce qui est bon, savoir en rendre grâce ; ce qui est mauvais, le nommer et le pardonner. Cela demande parfois toute une démarche de réconciliation intérieure.

Aborder tous ces sujets suppose de prendre du temps. Je n’hésite donc pas à demander aux fiancés de lire, de préparer les entretiens, puis de discuter avec eux de ce qu’ils ont découvert dans leur lecture, d’essayer de répondre aux questions qui peuvent demeurer, d’accueillir leurs objections.

Leur amour naissant, l’attrait de la nouveauté, le désir de « réussir » leur mariage les enthousiasment. Il serait dommage de ne pas profiter de cette motivation pour leur donner des instruments durables auxquels ils pourront revenir.

Pascal Ide

Quelques ouvrages :

Alphonse d’Heilly, Aimer en actes et en vérité, Paris, Cler/Saint-Paul, 1996. (Cinq conférences pour apprendre aux prêtres à accompagner les couples).

Marie-Madeleine Martinie, Communiquer en famille, coll. « Guides Totus », Le Sarment/Fayard, 1996.

Stephen Covey, Les sept habitudes des familles épanouies, trad. Anne Carole Grillot et adapté par Gabriel Joseph-Dezaize, éd. First, 1998.

John Gray, Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus. Connaître nos différences pour mieux nous comprendre, trad. Jean-Marie Ménard, coll. « Bien-être », J’ai lu, 1997.

Guy Thomazeau, Bonne nouvelle du mariage, coll. « Épiphanie », Le Cerf, 1984.

28.12.2017
 

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