Mais pourquoi la liturgie nous donne-t-elle d’entendre la Visitation de Marie à Élisabeth en ce dernier dimanche de l’Avent ? Certes, il s’agit de l’un des épisodes qui précèdent Noël que nous célébrerons samedi prochain. Surtout, elle nous parle de manière exemplaire de la visite que Dieu rend à son peuple, et aussi des multiples rencontres que nous allons vivre pendant ces fêtes de fin d’année. En effet, nous y croisons les quatre moments constitutifs de toute rencontre.
Pour qu’il y ait rencontre ou visitation, il faut d’abord que quelqu’un prenne l’initiative d’aller rencontrer une autre personne. C’est ce que fait Marie. Loin de se centrer sur l’événement inouï qui vient de lui arriver et l’incarnation de Jésus en elle, il est dit qu’elle « se mit en route avec empressement » (Lc 1,39). Belle parole que ce terme « empressement » qui signifie à la fois hâte et amour pour l’autre. Le lieu et la hâte confirment les qualités de cet amour. La ville de Juda près de la montagne est probablement celle d’Aïn Karim, entre les collines et le désert, près de Jérusalem. Marie doit donc parcourir quelque deux cents kilomètres. De plus, observe le cardinal Martini, « il était périlleux de partir en voyage à cette époque, en particulier pour une femme seule, fiancée, liée à un homme [1] ». Ainsi, le choix de Marie est courageux. Il est donc aussi persévérant. En effet, juive pratiquante qui n’accomplit pas plus qu’un nombre très compté de pas le jour du sabbat, elle a probablement dû arpenter ce long chemin difficultueux entre deux sabbats.
Marie, qu’est-ce qui te fait prendre de tels risques, partir avec une telle rapidité, courir avec une telle persévérance ? L’amour : elle est mue par le désir du service, de l’aide de sa cousine âgée. En entendant l’ange, elle devine qu’Élisabeth a besoin de son aide. Et « la charité est serviable » (1 Co 13,4), c’est-à-dire rend service. C’est cette même énergie de l’amour qui pousse Dieu à venir sur cette Terre si violente, apparemment si peu prête à l’accueillir et qui, pourtant en a tellement besoin de douceur et de raison d’espérer.
Et nous-même qu’allons-nous faire à Noël ? J’entendais un homme me dire : « Cela fait bien longtemps que je n’ai pas vu mon frère. Que vais-je faire à Noël ? Continuer à lui en vouloir pour les paroles injustes qu’il a eues contre moi ? Eh bien, je vais faire comme Dieu qui vient nous rendre visite. Je lui pardonne. Et je vais prendre l’initiative de l’inviter. Pour passer un temps avec lui. Pas pour remuer le passé. Pas non plus en attendant à ce qu’il me rende la pareille. Comme Dieu nous aime gratuitement, je vais lui témoigner gratuitement mon amour fraternel ».
Pour qu’il y ait rencontre, le don qui est offert gratuitement est appelé à être reçu lui aussi gratuitement (cf. Mt 10,8). Que fait Élisabeth ? Elle ne reçoit pas cette visite comme un dû : c’est normal, c’est ma cousine qui vient m’aider à cause de mon grand âge. Non, elle s’en étonne et bientôt va s’en réjouir comme d’un véritable don : « D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » De plus, elle « entend la salutation de Marie ». Et son écoute est tellement profonde que non seulement « l’enfant tressaille en elle », mais qu’elle est « remplie d’Esprit Saint ». Or, le grand exégète qu’est le cardinal Vanhoye dit que ce qu’il y a de plus profond en nous, c’est-à-dire notre cœur, est destiné à recevoir l’Esprit-Saint. Ainsi, il y a visitation, c’est-à-dire rencontre véritable, parce qu’Élisabeth la vit intensément, au plus intime d’elle-même.
Et tel est le sens de Noël. En s’incarnant, Dieu s’est fait chair, donc cœur, et nous savons combien il a rencontré chacun en personne, comme unique : Zachée, la Samaritaine, l’aveugle-né, Pierre, la Madeleine, etc.
Et si nous faisions de ces fêtes de Noël une véritable visitation ? Nos rencontres sont si souvent pauvres et mornes parce qu’elles demeurent superficielles, ou simplement parce que nous sommes absents. Le Français consulte son portable en moyenne 221 fois par jour ! Le Christ a-t-il donc dit : « Aime ton lointain comme toi-même » ? Et si, au lieu de voir la venue de l’autre comme un dû, nous nous en émerveillions comme d’un don ? Et si, au lieu d’écouter d’une oreille, nous accueillions l’autre comme nous-mêmes aimerions être écouté ?
Hier, je recevais un splendide témoignage d’une veuve profondément chrétienne. Elle me racontait que, voici plus de trente ans, M., son mari qui était athée, est gravement tombé malade et fut hospitalisé à Paris. Par relation interposée, un jeune étudiant en médecine lui a alors rendu visite, gratuitement, parce qu’il avait appris que M. était seul. En partant, il lui donne son numéro de téléphone. Quelque temps après, toujours gratuitement, il lui rend visite dans sa ville de province pour avoir de ses nouvelles. Il rencontre l’épouse, les enfants, joue aux boules avec cet homme qui aime beaucoup ce jeu. Tout le monde, en particulier M., est beaucoup touché de cette gratuité et de cette simplicité. Quelques temps après, il les invite à Paray-le-Monial. Et c’est dans le jardin de la Visitation, le monastère où Jésus a montré son Cœur à sainte Marguerite-Marie, que M. sera visité par Dieu. En rentrant à Issoudun, il retourne à la messe de son enfance et fera un superbe et fécond chemin de foi.
Après l’initiative généreuse de la rencontre et l’attention de la réception, la rencontre demande la réponse de celui qui a ainsi reçu gratuitement. En effet, Élisabeth ne se contente pas d’écouter sa cousine et d’exprimer toute la joie que son enfant et elle ressentent – ce qui est déjà beaucoup. Elle ajoute un don. Elle affirme : « Bienheureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ». Elle rend témoignage de la foi de Marie. Elle répond donc par un acte de gratitude qui est d’abord un témoignage du bien que l’autre fait.
De même, à Noël Dieu qui vient « planter sa tente » parmi nous (Jn 1,12) par amour, attend que non seulement il soit reçu chez les siens, mais que nous lui rendions amour pour amour. Et d’abord que nous lui témoignions de notre reconnaissance : « Merci, Jésus, de ton attention pour chacun, pour ma famille, pour moi ».
Une étude a été faite sur le stress vécu par les chauffeurs de bus parisiens. Les chercheurs s’attendaient à ce qu’ils pointent la circulation difficile. Or, les chauffeurs ont répondu que leur principale cause de stress venait de ce que les personnes ne les saluaient pas. L’autre soir, je rentrais par le bus 82 et un homme, en descendant, a dit à voix forte à l’adresse du conducteur : « Bonne soirée ! ». D’être ainsi reconnu a dû réchauffer son cœur.
Osons-le dire. Ces fêtes de famille qui s’approchent nous réjouissent, mais suscitent aussi en nous certaines tensions, voire certaines appréhensions. Le dernier Noël ne s’est peut-être pas très bien passé. Vous êtes agacés par les manières d’un cousin. Vous n’êtes pas d’accord avec la manière dont vos enfants élèvent vos petits-enfants.
Alors, frères et sœurs, préparons-nous. Décidons intérieurement d’être non pas dans le reproche, mais dans la gratitude. Ayons pour chacun une parole de remerciement non pas générale, mais bien concrète. Préférons la parole qui unit à la parole qui clive. Dans le doute, surtout ne dites rien. Nous ne sommes pas chargés de changer l’autre, mais de l’aimer. D’ailleurs, rien de tel que l’amour gratuit pour changer autrui. Rappelez-vous l’exemple de M. Surtout prenons la résolution de bénir, de répondre à la parole ironique ou amère par une parole intérieure de bénédiction.
Enfin, la boucle de la rencontre est bouclée si celui qui a donné avec une telle générosité accepte à son tour de recevoir avec vulnérabilité, donc quitte sa position haute. Dans le Magnificat qui fait suite au texte que nous avons entendu, Marie fait écho aux paroles d’Élisabeth : « Tous les âges me diront bienheureuse ». Elle montre donc que, elle aussi, elle a entendu et reçu ce que disait sa cousine. Surtout, Marie a couru avec empressement à sa rencontre de celle-ci pas seulement pour la servir et lui annoncer la bonne nouvelle de la venue du Sauveur, mais aussi, osons le dire à la suite de Carlo-Maria Martini, pour elle ! Il peut se cacher une secrète volonté de puissance dans le désir d’aider, d’apporter la vérité, sans attendre de retour. Marie porte un grand secret dans son cœur ; or, un secret est toujours lourd à porter. Plus encore, ce secret lui est dérobé, car elle l’a accueilli dans la foi. « L’annonce de l’ange constituait un secret très lourd à vivre, un secret difficile à communiquer et on a l’impression qu’elle ne l’a communiqué à personne [2] ». Mais l’ange lui a donné un signe pour lui montrer que « rien n’est impossible à Dieu ». Marie est donc aussi mue par « le désir de voir le signe qui lui confirme son mystère [3] ».
De même, Dieu, en descendant sur notre Terre, accepte de se laisser toucher par nous, par notre foi. C’est ce que montre une belle série télévisée qui va passer sur nos écrans pendant les fêtes. Un vrai cadeau de Noël ! Pour vous et pour votre entourage, qu’il soit chrétien, peu chrétien ou pas chrétien. Il s’agit de la série The chosen. La première saison va être diffusée en accès libre sur C 8, les lundi soir 20 décembre et 27 décembre, à raison de quatre épisodes à chaque fois. Pour la première fois, une série télé met en scène la vie de Jésus ; et elle le fait avec de grands moyens (pas moins de 10 millions de dollars pour cette seule saison). J’ai vu les deux premiers épisodes en avant-première et je fus touché par différentes choses. Nous découvrons Jésus dans le contexte de l’époque. L’histoire ne commence pas d’emblée avec Jésus, mais prend le temps de raconter la vie de Pierre, André son frère, Marie de Magdala, Nicodème, Matthieu, etc. Nous prenons le temps de découvrir leur vie, comme dans une série. Nous découvrons combien leur vie peut être vide ou désespérée avant de rencontrer Jésus. Et quand celui-ci paraît, quel bonheur ! Ainsi, à la fin du deuxième épisode (attention, spoil !), nous voyons Jésus rendre visite à la Magdeleine pour le Sabbat. Quelle proximité ! Quelle visitation !
Esprit-Saint, prépare-nous à nous laisser visiter par Jésus qui désire venir avec un tel empressement dans la crèche de nos cœurs. Et, à l’école de Marie, donne-nous de vivre pleinement ces temps de rencontre à Noël, dans l’initiative généreuse, l’écoute attentive, la parole reconnaissante et l’humble vulnérabilité.
Pascal Ide
[1] Carlo Maria Martini, Sui sentieri della Visitazione. La ricerca della volontà di Dio nelle relazioni di ogni giorno, Milan, Ancora, 1996, p. 24.
[2] Ibid., p. 24.
[3] Ibid.