La fine fleur
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Pays:
Française
Thème (s):
Beauté, Nature, Rédemption
Date de sortie:
30 juin 2021
Durée:
1 heures 36 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Pierre Pinaud, Fadette Drouard
Acteurs:
Catherine Frot, Melan Omerta, Fatsah Bouyahmed
Age minimum:
Adolescents et adultes

La fine fleur, comédie française de Pierre Pinaud, 2020. Avec Catherine Frot.

Thèmes

Beauté, Rédemption, Nature.

La fine fleur n’est pas seulement une exploration parfumée du petit milieu des créateurs de roses, mais une histoire qui fleurit et fructifie par une véritable pollinisation, voire, un film qui sent bon une spiritualité capiteuse, mais non captieuse.

 

Comme beaucoup de films ou de séries actuels, la comédie que Pierre Pinaud dédie à la mémoire de sa mère qui était horticultrice, nous fait entrer de manière gourmande dans un micromonde méconnu, ici celui des créateurs d’essence florale. Cette profession trop souvent confondue avec le métier de fleuriste ou d’horticulteur relève plus de l’art que de la technique – même si, comme tout art authentique, il s’emmembre d’une compétence ouvrière.

Pour transformer la description en narration, le scénario n’a pas résisté à la tentation manichéenne d’opposer termes à termes la logique du marché – le « grand capital », dit Samir – qui violente la nature en même temps que les personnes au nom du primat de la quantité, donc de la production, de l’accumulation et de la compétition, de la réussite, avec la poétique de la « fine fleur » qui se soucie avant tout de la qualité, donc de la durabilité et de la ruralité, de la création et de la tradition.

Du moins cette dialectique cryptomarxiste entre le Goliath ultraconsumériste contre le David artisanal ne se transforme-t-elle pas en une trop facile réduction diabolisante de Lamarzelle en un sociopathe. En réalité, c’est plutôt Ève qui, pour tenter d’arriver à ses fins, enfreint les règles, succombe au machiavélisme et, au passage, instrumentalise les autres, apparemment pour son projet et réellement pour son ego à qui il donne une raison de vivre.

 

Métabolisation réussie d’un documentaire en histoire, La fine fleur est riche en sensations. L’une des personnes avec qui je voyais le film s’est exclamée en sortant : « Ah, il ne me manquait que de sentir les roses ! ». Et, plus encore, en émotions. L’intrigue conte un itinéraire de guérison et même de rédemption qui, à l’instar des fleurs, rime avec pollinisation et transformation. Et, ce processus qui vaut pour chacun des cinq protagonistes passe toujours par une perte féconde. Par exemple, Samir ne sortira de sa logique réactive de victimaire communiste en guerre contre les patrons ou de loser récidiviste obsédé par l’acquisition d’un CDI, pour enfin travailler au bien commun de la petite exploitation que lorsqu’il perdra symboliquement la banane qui le ceinture beaucoup plus qu’elle ne le protège.

Bien évidemment, celle qui sera appelée à vivre le plus risqué et le plus spectaculaire des déplacements est Ève. Cette femme énergique, dévouée corps et âme (elle est sans mari ni enfant ni ami), jour et nuit (elle vit sur place), à la cause de ses roses et, au-delà, de l’héritage paternel, s’avère aussi transgresser allègrement les dix commandements (multipliant les jugements inconditionnellement négatifs, volant Lamarzelle et mentant à la personne fiable et fidèle qui l’aide depuis toujours) et manipulatrice sans nul état d’âme (c’est ainsi qu’elle recycle les six mille euros du livret A de son assistante, etc.).

Ève pose le premier pas hors de ses scénarios habituels le soir où Fred se réfugie chez elle. Elle commence par menacer de le dénoncer jusqu’au moment où elle se laisse toucher par la vulnérabilité de ce pauvre hère qui erre sans père ni mère. Nulle contradiction dans cette attitude qui trouve toute sa cohérence dans le profil du type 8 de l’ennéagramme : celle qui ne supporte pas la faiblesse chez elle et chez les autres, est prête à mobiliser toute son ardeur (et elle en a !) si elle doit protéger celui qui a besoin d’elle. Alors, se décentrant de plus en plus d’elle-même, notre créatrice d’essences uniques part à la découverte du talent caché de Fred. Et, peut-être pour la première fois de sa vie, au lieu de l’utiliser au profit de son œuvre, elle l’invite à faire pleinement mûrir son don dans une profession où il portera tout son fruit. L’on aboutit ainsi à la bouleversante scène finale où, dissimulant un message lui-même crypté en clé florale dans le Livre des fleurs qu’elle offre à Fred, Ève, d’une manière aussi inventive que délicate, affirme toute son affection, à la fois paternelle et maternelle, en boucle et en cascade, en don (attachant) et en abandon (détaché).

 

C’est ici que le film ouvre, de manière inattendue, à une dimension sinon religieuse (dans la toute dernière image, nous voyons Ève lever les yeux vers le ciel, entre supplique et louange), du moins spirituelle. En effet, le spectateur ne peut s’empêcher de suspecter le coup de théâtre final d’être une concession trop facile au deus ex machina cher à Molière : la novice qui, au bon moment, invente par hasard une nouvelle race de rose. Et s’il fallait faire de cet heureux aléa une lecture symbolique autant que réaliste ? Voire y déchiffrer une application de la loi de synchronisation ?

En effet, l’événement se produit au moment même où tout semble perdu. Mais aussi au moment où, enfin, Ève lâche cette intouchable fidélité au père qui lui interdisait tout avenir fructueux. Cependant, en abandonnant la règle qui, depuis toujours, la guidait, le risque est grand qu’elle aille jusqu’à s’auto-exclure, donc qu’elle passe d’un extrême (la toute-puissance orgueilleuse qui maîtrise tout) à l’autre (l’impuissance désespérée qui lâche tout). Ce serait alors réagir plutôt qu’agir ; ce serait troquer la réaction contre la création. La voie médiane est ouverte par la parabole christique : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24). Autrement dit, l’abandon conduit au don, car il ouvre enfin à la réception de plus grand que le récepteur. C’est ainsi que, ayant écouté la parole libérante d’Ève, Fred tourne le dos, physiquement et intérieurement, à cette mère dont il attendait désespérément ce qu’elle ne pourrait jamais lui donner, sans pour autant céder au ressentiment de ne pas avoir été aimé (il lui offre une rose) et qu’il peut enfin avancer sans amertume vers un avenir inconnu.

Voilà pourquoi, la Providence aidant, dans cet acte suprême de don-abandon, peut advenir l’inouï inédit de cette rose sauvage. Admirablement saluée par Ève, elle est certes le fruit du hasard, mais tout autant du travail de l’homme.

Loin d’être seulement individuel, tout ce processus est systémique. Rien de plus révélateur que la scène où se juxtaposent le visage d’Ève, rond et tout en énergie et celui de Vera, anguleux et tout en rigidité. Or, dans son discours lors de la remise du prix de Bagatelle, Ève rend hommage à toute l’équipe en général et à Vera en particulier, la discrète fidèle sans laquelle la nouvelle rose n’aurait jamais pu éclore.

 

Ainsi, La fine fleur donne à voir avec beauté, certes la splendeur des roses, mais plus encore celle du cœur des êtres humains quand, consentant à se laisser toucher, il s’ouvre à son tour à l’amour : « Prenez mon cœur et mes roses […]. Dans ces roses à peine écloses […] C’est mon cœur que je propose », chantait Lucienne Delyle qui a aussi inventé les paroles… [1]

Pascal Ide

[1] Accessible par exemple sur le site : https://www.paroles.net/lucienne-delyle/paroles-prenez-mon-coeur-et-mes-roses

Ève (Catherine Frot), une créatrice de roses autrefois renommée(s), dirige une entreprise horticole héritée de son père. Aujourd’hui menacée par son grand concurrent, Lamarzelle (Vincent Dedienne), dont la logique est avant tout mercantile et productiviste, sa petite entreprise, familiale et artisanale, est en redressement judiciaire. C’est alors que Véra (Olivia Côte), sa secrétaire, trouve pour l’aider un improbable trio de pieds nickelés, des ex-détenus en contrat de réinsertion : Fred (Melan Omerta), Samir (Fatsah Bouyahmed) et Nadège (Marie Petiot). Aucun n’a jamais pris soin de fleurs de leur vie, comme de celle-ci, d’ailleurs…

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