Ondine (Undine), drame fantastique allemand et minoritairement français de Christian Petzold, 2020. Paula Beer a remporté l’Ours d’argent de la meilleure actrice. Inspiré du conte romantique éponyme de Friedrich de La Motte-Fouqué (1811), dans la version d’Ingeborg Bachmann. Avec Paula Beer, Jacob Matschenz, Franz Rogowski.
Thèmes
Amour.
Tout en s’inspirant du conte germanique, Ondine ne s’y noie pas, mais ondule entre les métaphores, voire ondoie en direction d’un amour qui transcende la fatalité de l’éros romantique.
Le film emprunte à l’évidence au symbole du train. Ses multiples allers-retours, longuement filmés, en avant ou à rebours, nous disent les tergiversations et les atermoiements de l’amour qui avance et parfois régresse (Proust ne souhaitait-il pas d’abord appeler La recherche : Les intermittences du cœur. De même, les adieux douloureux sur des quais désertés, les séparations déchirantes de part et d’autre de vitres qui isolent plus qu’ils ne rassemblent attestent qu’il n’y a pas de « bonjour » sans « au revoir » et même sans « adieu », qu’il n’y a pas de joie de la fusion sans tristesse de la fission. Les longs trajets, toujours en solitaire, rappellent cette vérité si vite oubliée des amoureux et si ignorée des célibataires selon laquelle l’amour est un remède à l’isolement, mais pas à la solitude qui, au contraire, le nourrit et s’en nourrit.
Si le train exprime la dialectique amoureuse de la présence et de l’abandon, la ville de Berlin – dont le réalisateur de Barbara (2012), Phoenix (2014) et Transit (2018) ne cesse d’ausculter l’histoire – révèle celle du même et de l’autre, c’est-à-dire de l’ancien et du nouveau. L’ex-capitale n’est pas seulement encore divisée entre Allemagne de l’Est et Allemagne de l’Ouest, entre villas bourgeoises, privées, anonymes et monuments pharaoniques, massifiants et impersonnalisants. Elle est, comme toute réalité urbaine, prise et emprisonnée entre la conservation de l’ancien et la construction de l’inédit, et comme Berlin en particulier, entre l’obsession culpabilisée du passé et son refoulement amnésique. De même, l’amour doit-il tresser mémoire de son histoire et ouverture à l’aventure – comme la rencontre inouïe d’une nymphe et d’un scaphandrier.
Enfin et plus fondamentalement, l’amour doit s’affronter à l’oscillation de la vie et de la mort. Car l’Éros n’est affin de Tanathos que parce que, d’abord, il est cousin de Bios. Et c’est cette proximité ambivalente que met en scène la fantasy intemporelle d’Ondine et que symbolise l’eau : depuis l’aquarium qui n’est témoin de leur rencontre qu’en se brisant et en blessant les futurs amants, au lac où l’on se noie et on redonne vie, en passant par le miroitement magique des surfaces frémissantes qui cachent les profondeurs glacées où l’on croise autant la figure monstrueuse d’un silure que le nom gravé d’une sirène.
Mais le neuvième long-métrage de Christian Petzold ne demeure prisonnier ni de l’ambivalence de la métaphore aqueuse, ni de la fatalité narcissique du mythe de Friedrich de La Motte-Fouqué (au fond, oui, vraiment au fond, la naïade ne cherche à conquérir le chevalier Huldebrand que pour acquérir l’âme dont elle est dépourvue…). Sa relecture dramatique de l’éros n’est pas sans s’élever vers le mystère de l’agapè qu’il appelle comme son accomplissement purificateur. En effet, il n’y a pas d’amour sans dénonciation du mensonge et confession de la vérité, ainsi que le corps où il s’incarne le manifeste : au-delà des mots qui nient, le cœur parle en s’arrêtant un instant de battre, pour repartir de plus belle en présence de l’aimée. Surtout, il n’y a pas d’amour sans don de soi. Ondine qui noie l’amant infidèle, s’enfonce dans l’eau et renonce à Johannes pour redonner vie à Christoph qui, lui, avec sa nouvelle compagne, Monika (Maryam Zaree), vient de donner la vie. L’amant qui donne sa vie donne la vie à l’aimé.
Pascal Ide
Berlin centre-ville, 2010-2020. Undine Wibeau (Paula Beer), conférencière free-lance en histoire de l’urbanisme de Berlin, qui travaille au Sénat de Berlin pour l’accueil des visiteurs, entend son amoureux, Johannes (Jakob Matschenz), lui annoncer qu’il la quitte pour renouer avec son ancienne petite amie. Ils sont assis à un café proche de la salle des maquettes. Undine somme Johannes de l’attendre trente minutes, le temps d’une présentation, faute de quoi elle sera obligée de le tuer : « Si tu me quittes, je vais devoir te tuer, tu le sais ».
Malgré la menace, quand elle revient, elle trouve le café vide. C’est alors qu’arrive un jeune homme, Christoph (Franz Rogowski), qui a assisté à sa mini-conférence et lui propose de prendre un café. Il se présente : il est scaphandrier (plongeur industriel, free-lance). Toutefois, leur rencontre imprévue les perturbe tous deux : Undine lâche son téléphone portable. Il cherche à le ramasser. Mais, déstabilisé, il chute, et entraîne avec lui une partie du bar où est installé un grand aquarium, contenant des plantes et une statuette de scaphandrier. In extremis, la jeune femme le sauve de l’accident. Ils se retrouvent tous deux trempés et ravis. Christoph offre à Ondine la statuette de scaphandrier, pendant qu’agonisent les petits poissons. Ils sont bannis du café par le serveur ou gérant. Commence alors entre eux une relation amoureuse passionnée.
Un peu auparavant, Christoph, lors d’une plongée pour une soudure à une turbine de barrage berlinois, avait vu le grand silure Günther apparaître, puis disparaître dans les algues, en passant devant un mur portant une plaque Undine. Undine brisera-t-elle la malédiction des nymphes des eaux, naïades ou nixes du folklore germanique qui essaient d’attirer les humains (mâles) dans les eaux, rejoindre les royaumes aquatiques, au risque de mourir.
L’attirail, les exigences et les procédures du scaphandre marquent l’impossibilité humaine de vivre durablement sous l’eau. Un jour de disponibilité commune, ils vont plonger tous les deux dans ce même lac de barrage…