Les Apparences, thriller franco-belge de Marc Fitoussi, 2020. Adapté du roman suédois de Karin Alvtegen, Trahie, Paris, Plon, 2005. Avec Karin Viard, Benjamin Biolay, Lucas Englander.
Thèmes
Mensonge, hypocrisie.
Astucieusement monté, Les Apparences – à ne pas confondre avec l’homonyme magistral Apparences (What Lies Beneath en américain), de Robert Zemeckis, 2000, interprété par Harrison Ford et Michelle Pfeiffer – livre son Rosebud dans son dernier mot : « apparences ».
Il s’agit d’abord de sauver les apparences dans ce petit monde de Français expatriés qui ne vit que de rumeurs et ne trouve son bonheur que dans le malheur des autres. Il prend aussi soin de ses ongles et de sa garde-robe qu’il oublie son âme.
Il s’agit surtout de se nourrir d’apparences, c’est-à-dire d’illusions, et de la pire de toutes, l’illusion d’aimer. Ève, de son vrai prénom dont elle a honte, Évelyne, croit aimer son mari, puisqu’elle lui pardonne si vite son incartade, alors que, d’humble extraction, elle ne vit que du prestige d’un milieu qui n’est pas le sien. Jonas croit chérir Ève, alors qu’il ne fait que satisfaire sa pulsion érotomaniaque et noyer son rêve mortifère avant de se noyer dans les eaux idéalisées du Danube gris. Henri croit aimer la fraîche Tina, alors qu’à l’annonce de la fredaine de son épouse, la jalousie ressentie le rapproche de celle-ci et l’éloigne de celle-là. Même l’institutrice s’illusionne elle-même, car sa fuite avec le mari volage s’avère d’abord être la fuite d’un passé inavouable autant qu’inavoué.
Mais appelons les apparences par leur nom. Ces illusions (psychologiques) sont d’abord des hypocrisies (éthiques), donc des mensonges redoublés, parce que maquillés de vraisemblances. En effet, chacun des protagonistes de ce triste quadrille est à ce point centré sur lui qu’il assassine l’autre, moralement, réellement ou symboliquement.
« Celui qui médit de son frère tue trois personnes, observait l’évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup : celui dont il médit, celui devant qui il médit et celui qui médit ». La médisance presque calomniatrice dont vit le groupe des expatriés et dont Ève fera amèrement les frais n’est que l’extériorisation d’une nécrose spirituelle : la jalousie, qui, au plus profond, conjugue l’anéantissement de l’altérité avec la méconnaissance destructrice de sa propre valeur. Autrement dit, l’homicide perpétré par le jugement téméraire prolonge le suicide primitivement opéré par l’ingratitude.
Ce meurtre éthique manifeste toute sa violence latente quand il s’incarne dans la sauvagerie de l’extermination de Jonas. Il en révèle aussi la logique cachée : immerger le problème au lieu de l’affronter ; détruire l’autre au lieu de lui parler et de lui pardonner.
Mais le grand non-dit du film réside dans le crime symbolique du seul innocent, l’enfant adopté, qui sera désormais déchiré entre deux parents qui ne se séparent que de ne pas avoir résolu l’autolyse de leur conscience : à la suite du non-lieu qui n’est qu’une justification forensique, ils devront porter cette culpabilité sans remords le restant de leur vie. Décidément, notre monde ne sortira de son apparence de bonheur que lorsqu’il accueillera « l’Apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, le Christ Jésus » (Tt 2,13).
Pascal Ide
Vienne aujourd’hui. Ève Monlibert (Karin Viard), directrice bénévole de la bibliothèque française liée à l’Institut Français, est l’épouse d’Henri (Benjamin Biolay), réputé chef d’orchestre. Ils évoluent dans le microcosme des « expat’ ». Elle semble heureuse de cette vie superficielle qui va de dîner mondain en réception, lui paraît s’ennuyer. Jusqu’au jour où Ève découvre dans les textos de son mari qu’il la trompe avec Tina (Laetitia Dosch), l’institutrice de leur fils adopté, Mado. Pour se consoler, elle sort prendre en verre quand un jeune homme l’aborde, Jonas (Lucas Englander), avec qui elle passe une nuit, sans même échanger un baiser. Mais tout se compliquera quand Jonas tombera amoureux, quand, malgré un texto amoureux de Tina forwardé à toute la communauté éducative, Henri s’accroche. Une nouvelle fois, éros rimera-t-il avec tanathos ?