Jerry Maguire, drame américain de Cameron Crowe, 1996. Avec Tom Cruise, Renée Zellweger, Cuba Gooding Jr..
Thèmes
Conversion, ennéagramme, battant.
Tout en s’inscrivant dans le cadre largement exploité des lentes descentes au plus bas annonçant une remontée au plus libre, Jerry Maguire introduit deux nouveautés bienvenues.
L’on sait combien l’Amérique aime ce schéma décréation-recréation qui, avant d’être une reprise sécularisée de l’histoire du salut (Passion-Résurrection), est la courbe suivie par le surmontement de toute crise majeure, la traversée de l’en-bas. Et l’on sait pourquoi : l’optimisme outre-atlantique a toujours aimé et continue à promouvoir les gagnants. Dans son optimisme inconditionnel, mais pas toujours aveuglé (que l’on songe aux multiples films mafieux qui adoptent le schéma inverse, de Scarface à Casino en passant par Le Parrain), il s’oppose au pessimisme d’un continent qui, lui, demeure fasciné par l’itinéraire opposé, si souvent mis en intrigue par Balzac, jusque dans le titre de ses ouvrages : César Birotteau (dont le vrai titre est autrement plus long : Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, parfumeur, adjoint au maire du deuxième arrondissement de Paris, chevalier de la Légion d’honneur).
Demeurent deux originalités (si l’on passe l’application au monde du sport en général, du football américain en particulier, qui est très culturellement situé) qu’il est éclairant d’interpréter à la lumière de l’ennéagramme.
Jerry est un gagnant, un battant, disions-nous. De fait, il épouse tous les traits de l’arriviste – qui est d’ailleurs le surmoi majoritaire des Américains –. Jusque dans la manière d’être filmé : Tom Cruise n’est-il pas quasiment de tous les plans – ce qui d’ailleurs se vérifie de presque toute sa filmographie – ? Or, son premier basculement, au tout début du film, celui qui amorce sa descente aux enfers (au sens étymologique de « lieu inférieur »), est ce qu’il appelle de manière répétée sa « confession de foi ». En effet, le principal drame du type Trois non intégré réside dans son mensonge aux autres et, plus encore, à lui-même : portant un masque en permanence pour séduire et être reconnu, sa personne se dissout dans son personnage. Or, en cette confession de foi qui sort de ses tripes comme son récit sort des triples de la photocopieuse, Jerry ose dire la vérité que chacun sait et la dénie tout à la fois, parce qu’il est inapte à en vivre. Voilà pourquoi, après avoir été brièvement célébré pendant une semaine, il sera refoulé et foulé (aux pieds), jeté et rejeté manu militari, par un monde qui n’a pas la volonté de ses prises de conscience, le courage de ses lucidités, les moyens de ses fins. Comment ne pas en vouloir mortellement à celui qui, après avoir fait miroité le bonheur, ne trace pas le chemin pour en vivre ? Maritain notait avec profondeur que, à la suite du péché originel, la volonté est plus profondément blessée que l’intelligence. Et bientôt, c’est celui qui partage avec le philosophe français les mêmes initiales, qui ne croira plus (au sens propre) à cette confession de foi, au point de ne pas supporter que Dorothy en fasse la promotion.
Le scénario introduit une seconde innovation qui mérite aussi d’être interprétée à partir de la grille ennéagrammatique. À rebours de l’attente de l’entourage, mais en résonance avec le désir du spectateur, Jerry se marie. Or, ce qui, dans un scénario simpliste, aurait constitué le point d’orgue des tribulations et du film lui-même, s’avère être un rebondissement supplémentaire : l’agent sportif n’est pas heureux en ménage. Sans tromper son épouse, il s’est trompé lui-même. Pourquoi ? Lui-même l’avoue très clairement : « J’ai agi par loyauté ». Comment le comprendre ?
L’ennéagramme, que l’on confond trop souvent avec une caractérologie, est en réalité une typologie évolutive, et c’est là l’un de ses aspects les plus féconds. Or, l’une des évolutions de la base Trois est la base Six, dont la valeur phare est justement la loyauté. Ainsi, en épousant Dorothy, Jerry a secrètement sacrifié à son idole : jouer un nouveau personnage, le « bon gars », au lieu d’être ce bon gars. À son insu, il a épousé non pas la femme de sa vie, mais la bonne image qu’il veut donner à sa propre vie.
Comment changer ? La norme est ici de peu d’utilité, tant ce volontariste regorgeant d’énergie qu’est le Six risque de digérer cette norme pour s’inventer un rôle de surcroît : le type honnête. Plus puissamment et intimement transformante est l’imitation : c’est en se laissant imprégner par l’exemple de celui qu’il coache que le coach se métamorphosera. En effet, s’il est heureux professionnellement, Rod est encore beaucoup plus heureux matrimonialement ; s’il donne à fond dans le football, il ne se donne qu’à son épouse, ses enfants et sa famille. Il dépend donc de lui et de lui seul, Jerry, de faire non pas de sa carrière, mais de son couple et de sa famille le lieu de sa réussite, où il investira toute sa belle ardeur de gagnant – et cette énergie porte un nom : l’amour.
Pascal Ide
Jerry Maguire (Tom Cruise) est un agent des stars du sport américain riche, beau et célèbre. Mais sa vie mondaine et factice lui pèse. Une nuit, il se remet en question dans une note qu’il rédige et où il tente de définir le sens qu’il voudrait donner à sa vie. Après avoir été saluée pour sa lucidité et sa bravoure, cette note va provoquer son licenciement, puis la séparation de sa compagne, l’inimitié mortelle de son rival, Bob Sugar (Jay Mohr), et enfin la trahison de tous ses amis. Seuls Dorothy Boyd (Renée Zellweger), son assistante, et Rod Tidwell (Cuba Gooding Jr.), un footballeur facétieux et plutôt égocentré, lui restent fidèles. Et encore, Laurel (Bonnie Hunt), la sœur de Dorothy, conseille-t-elle fortement à celle-ci de se méfier de ce loser séducteur qu’est Jerry Maguire…