De Gaulle, biopic français de Gabriel Le Bomin, 2020. Avec Lambert Wilson, Isabelle Carré.
Thèmes
Amour, patriotisme, courage.
Dans la vague superlative des biopics, voici non pas un grand film sur un grand homme, mais un bon film sur un homme bon [1].
Certes, le cinéaste s’est facilité la tâche en se concentrant sur la courte période où le colonel devenu général de brigade devient homme politique et enfin représentant de la France libre en Angleterre. Certes aussi, en ce laps de temps dont la brièveté est inversement proportionnelle à sa densité dramatique, cet homme distant sinon froid n’a jamais autant connecté sa tête et son cœur, le visionnaire des « deux coups d’avance » (Le fil de l’épée) n’a jamais autant été soumis aux aléas de l’événementiel, l’homme protégé n’a jamais été aussi vulnérable. De fait, De Gaulle est triplement touché au plus intime, en sa vie familiale (les siens sont-ils victimes de l’ennemi ?), en son amour patriotique (la France humiliée par l’armistice trouvera-t-elle le ressort pour réagir ?) et en sa propre humanité (isolé de tout et de tous, pourra-t-il assumer les plus lourdes des responsabilités et prendre les plus irréversibles des décisions ?).
Mais, justement, la logique de l’Évangile nous a appris que le grain de blé ne porte du fruit que s’il tombe en terre (cf. Jn 12,24) : c’est dans l’infime que se joue l’ultime. Surtout, le film qui pourrait virer à l’hagiographie ou à la starisation, les conjure en montrant que la force de cet homme n’est pas tant fragile que reçue. Et là encore triplement : de Dieu, de sa famille, de sa petite dernière. C’est ce qu’attestent, en inclusion, le début et la fin.
Le film s’ouvre sur un trio de scènes concises : un moment de tendresse filmé avec discrétion, entre Charles et Yvonne (jouée avec la force toute en retenue que l’on sait par Isabelle Carré) ; la communion eucharistique que de Gaulle vit avec une rigueur-raideur et une intense présence qui vaut dévotion ; un temps de douce complicité et d’intime proximité avec Anne, intentionnellement distinct de l’échange en famille où la distance plus hiérarchique et l’autorité plus hiératique n’empêchent pas l’amour paternel de se dire. Apparemment sans lien, cette succession, loin de seulement brosser le contexte, révèle l’enracinement gaullien dans un triple amour qui est aussi une triple confiance.
Plus tard, un flashback montrera que, à une époque où l’on abandonne facilement ceux que, dans l’ignorance de la cause chromosomique, l’on appelait mongoliens, le premier des résistants qui s’opposa au défaitisme ambiant et se battra pour la liberté de sa patrie, a d’abord résisté à la tentation de démissionner et lutté pour qu’Anne puisse conquérir le plus de liberté possible (de marche et de parole).
Le film s’achève, après les retrouvailles émouvantes avec sa famille (« J’ai eu si peur ») et le solennel appel du 18 juin 1940, sur une image puissamment symbolique où se superposent, à deux reprises et de manière complémentaire, la vision en direct du général de Gaulle lançant son appel radio sur les ondes de la BBC et le reflet de sa femme sur la vitre. Comment, en ce redoublement, mieux dire la réciprocité de la communion ? Surtout, comment mieux dire que, dans le cœur de Charles, non seulement vie privée et vie publique ne sont pas imperméablement cloisonnées comme aujourd’hui, l’histoire politique ne saurait être infléchie si l’on ne sait pas se laisser fléchir par sa propre histoire personnelle, mais que la donation de soi, autant politique que familiale et conjugale, s’enracine dans une réception de soi ? Derrière l’apparent orgueil de celui qui parle au nom de son pays se cache, au moins pour une part, la réelle vulnérabilité d’un homme qui sait se ressourcer dans l’amour soutenant de sa femme, l’amour prévenant de sa fille et l’amour suprêmement consolant de Dieu (nous le verrons prier à l’heure décisive, qui est aussi l’heure décisionnelle).
Derrière le grand homme, dit-on, cherchez la grande femme. Yvonne est vivement et vitalement présente. Ce constat exprime symboliquement la loi de toute fécondité, si souvent citée en ces chroniques : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).
Pascal Ide
[1] Il appartient au spécialiste de juger-jauger l’historicité de ce film. Il semble toutefois que la documentation soit solide et le respect des sources fidèle. C’est ainsi que la scène touchante où Charles joue avec sa fille Anne sur la plage colle au plus près avec la photographie qui a été conservée de ce moment.
En mai 1940, Charles de Gaulle (Lambert Wilson), fraîchement nommé général de brigade par le président Paul Reynaud (Olivier Gourmet), est confronté à l’effondrement militaire et politique de la France. Il s’oppose alors au défaitisme du gouvernement en place, incarné par le général en chef des armées Maxime Weygand (Alain Lenglet) et surtout par le maréchal Philippe Pétain (Philippe Laudenbach), auréolé de sa victoire à Verdun. Après avoir fui à Bordeaux avec certains membres du gouvernement, Charles de Gaulle rejoint Londres pour demander l’aide de Winston Churchill (Tim Hudson) et tenter de maintenir la lutte en faisant entendre une autre voix : celle de la Résistance.
Pendant ce temps, afin d’échapper à l’arrivée des Allemands, sa femme Yvonne (Isabelle Carré) doit quitter la propriété de Colombey les Deux Églises avec l’aide de la fidèle et dévouée gouvernante de la famille, Marguerite Potel (Catherine Mouchet). Elle se retrouve sur les routes de l’exode avec ses trois enfants : l’aîné Philippe (Félix Back), la cadette Élisabeth (Lucie Rouxel) et la benjamine Anne (Clémence Hittin) dont ils ont découvert qu’elle est porteuse de la trisomie 21. Elle part d’abord pour le Loiret, puis à Carantec en Bretagne, avant de tenter de fuir le pays. Mais, étant donné le nombre de navires coulés par les Allemands, parviendra-t-elle à rejoindre avec tous les siens son mari en Angleterre ? Quant à De Gaulle, aidé d’une jeune journaliste, Élisabeth de Miribel (Marilou Aussilloux), parviendra-t-il à remotiver les troupes depuis Londres et surtout à empêcher que soit signée l’armistice avec l’ennemi ? Le compte à rebours est entamé.