Invisible Man, science-fiction horrifique américano-australien de Leigh Whannell, 2020. Adapté du roman éponyme d’Herbert George Wells, 1897. Avec Elisabeth Moss, Oliver Jackson-Cohen.
Thèmes
Personnalité sociopathe.
Au-delà du thriller haletant, mais qui ne tient pas toutes ses promesses, Invisible Man donne à voir (!) une métaphore plutôt bienvenue.
- Tendu de la première à la dernière image, le scénario ne laisse guère de dé-tente au spectateur qui ne regrette pas un moment que l’histoire désormais trop connue inventée par Wells soit trahie.
Ce faisant, le réalisateur renouvelle le thème – que l’on pouvait penser épuisé – de ce qui pourrait devenir un sous-genre d’anticipation, tant, depuis le mythe de Gygès, se dit ici un désir surréel autant qu’un fantasme omnipotent : l’invisibilité. En effet, le titre, très intentionnellement, a déjà désigné le coupable ; d’ailleurs, le souffle dans l’air glacé fait commencer le film là où Le sixième sens l’achevait. Mais l’intrigue ne déflore pas le suspense, il le déplace. Il passe de la cause de la menace à sa nature. Pour une fois dans un film horrifique, le vrai péril n’est pas la mort physique, mais la mort symbolique, c’est-à-dire le mal beaucoup plus sournois et destructeur de la déraison. Ajoutons toutefois que le film manque non pas tant de cohérence que de radicalité : la descente de l’héroïne dans l’isolement et bientôt dans l’enfermement s’interrompt de manière incompréhensible à mi-chemin par l’intervention de deux explications presque trop limpides : celle de l’invisibilité, celle de l’intention du criminel.
Demeure une intrigue qui, pendant toute la première moitié du film, saisit le spectateur, multiplie les rebondissements et dissémine les interrogations, celles portant sur le pourquoi (quelle est la motivation de l’homme invisible), sur le comment (comment est-il devenu invisible ?) et sur le quoi (quel est son prochain pas dans la destruction ?). La deuxième partie commence avec le fameux retournement de la victime en agresseur de son agresseur qui survient toujours au moment où le héros comprend que, définitivement seul, il ne doit désormais compter que sur lui seul pour sortir de son abîme, bref, où la victime conjure toute tentation victimaire. Alors, l’énigme, donc la tension et la réflexion laissent place à l’action qui mène, sans surprise, mais pas sans ingénieux retournements, à la victoire attendue.
- Reste surtout une riche et peut-être involontaire analogie : l’homme invisible est la métaphore vive de la personnalité narcissique. En effet, il est expressément révélé à plusieurs reprises, dans les signes et jusque dans le nom, qu’Adrian Griffin est un « sociopathe », c’est-à-dire, au sens le plus rigoureux du terme, celui qui est décrit par la psychiatrie, à la fois une personnalité narcissique et une personnalité perverse (qui ajoute à la précédente la jouissance de faire souffrir l’autre). Or, de tristes affaires bien actuelles l’attestent, ce type de profil pathologique camoufle sa destructivité derrière son contraire ; le soleil dissimule un trou noir. Pire, le psychopathe conduit à inverser les rôles : il transforme l’innocent en coupable, aux yeux des autres et souvent à ses propres yeux ; l’entourage se convainc progressivement que la victime est un paranoïaque, avant de l’identifier à un sadique. Le grand art des pires narcissiques est ainsi de jouir de pousser la victime à se transformer en bourreau et ainsi justifier a posteriori sa prétendue innocence. Ce raffinement suprême dans la manipulation était pratiqué au quotidien par les nazis : il n’y a plus besoin de brouiller les frontières du bien et du mal ; acculée, la victime (par exemple, en volant le pain de son prochain) se déshumanise et s’autodénigre comme coupable.
Ainsi, la vampirisation opérée par le prédateur demeure… invisible aux yeux de tous, voire de sa proie. La puissance de la manipulation est donc proportionnelle à sa transparence : le psychopathe, personne ne peut le voir, le prévoir et même le concevoir. Bref, l’homme invisible est le symbole translucide de cette perversité d’autant plus efficace qu’elle est insoupçonnable.
Enfin, le sociopathe se caractérise par un mensogne permanent qui toujours le conduit à rendre poreuse l’autre distinction décisive, celle du vrai et du faux. Jamais il ne reconnaîtra, ne serait-ce qu’une fois, sa responsabilité, donc jamais il ne produit l’aveu qui permettra de le désigner comme le fauteur du mal. De ce point de vue, le dîner final est un modèle de manipulation. Or, encore une fois, cette confusion vitale est symbolisée par l’homme invisible : invu, il est insu. Seul le cliffhanger « surprise » nous est donné pour assurer la continuité entre la patente malice passée et la trop latente malice présente.
Toutefois, une incohérence psychologique et une inconsistance ou dérapage éthique viennent gâcher la toute fin. Une incohérence : comment cette jeune femme si vulnérable, dont tout le film montre qu’elle oscille entre santé et déséquilibre, peut-elle monter un plan si machiavélique, si maîtrisé, voire si froidement cynique qu’elle en arrive à instrumentaliser son unique et grand ami, James ? Une inconsistance, c’est-à-dire un dérapage éthique : comment ce sourire triomphant, cette marche victorieuse, cette sérénité souveraine, pourraient-elles être le fruit, non pas de la libération de l’emprise ou de la réparation de l’injustice (ce qui serait très compréhensible), mais d’une froide vengeance sanguinaire ?
Que ces réserves ne nous empêchent pas de goûter l’histoire, en sa narration et sa multiple symbolisation. À l’image de cette maison de verre donnant sur l’infini de la mer, le sociopathe devient transparent aux yeux de son entourage, sauf de sa proie. À l’image de cet océan dont le générique atteste la très biblique noirceur, c’est-à-dire le pouvoir mortifère, cette maison dénudée, désertée de toute présence, est d’une froideur glaciale et le théâtre de la plus étouffante et de la plus toxique des destructions.
Pascal Ide
Cecilia Kass (Elisabeth Moss) se lève en pleine nuit dans une luxueuse maison. Avec d’infinies précautions, elle s’efforce de ne pas réveiller son compagnon, Adrian Griffin (Oliver Jackson-Cohen), s’habille, prend les affaires qu’elle a déjà préparées. Mais, au dernier moment, attendrie par le chien, elle fait un faux mouvement et déclenche l’alarme de la voiture. Elle s’enfuit à toute jambe et arrive jusqu’au bord de la route où la voiture attendue est absente. Enfin, des phares s’approchent. C’est sa sœur, Emily (Harriet Dyer), qui la récupère et la conduit, en pleine nuit, chez un ami, James Lanier (Aldis Hodge) et sa fille adolescente, Sydney (Storm Reid). Cecilia révèle alors que le scientifique riche et reconnu qu’est son compagnon est un sociopathe qui la détruit à petit feu.
Quelques semaines plus tard, Cecilia apprend contre toute attente qu’Adrian s’est suicidé suite à son départ. Plus encore, le frère d’Adrian, Tom (Michael Dorman), qui est avocat, lui révèle que, dans son testament, son compagnon lui lègue une fortune de 5 millions de dollars. Pourtant, malgré les preuves données par Tom, Cecilia doute de ce suicide. Voire, à certains signes étranges, elle commence à soupçonner que, d’une manière inexplicable, Adrian rôde autour d’elle. Mais comment exprimer cette conviction sans être considérée comme une paranoïaque ? Et quand une force mystérieuse frappe Sydney en présence de Cecilia, James, malgré toute sa patience et sa compréhension, exige que la jeune femme s’éloigne. Désormais isolée, comment ne sombrera-t-elle pas dans la folie ?