Le sacrement de la confession. « Le sang du bon Dieu coule sur notre âme pour la laver »

(Homélie pour le 2e dimanche de l’Avent année A, 8 décembre 2019, paroisse Saint François-Xavier, Paris)

 

Le lieu choisi par le Précurseur pour baptiser est riche de sens biblique : situé entre le territoire qui est au-delà du Jourdain et la Terre Sainte, situé entre ce qui, symboliquement, représente le paganisme, donc le péché, et la « terre où coulent le lait et le miel », cet endroit est en réalité dynamique. Il désigne le passage du péché à la grâce. D’ailleurs, avec son préfixe ex, le terme grec employé par l’évangéliste (exeporeuéto) pour dire la venue des Juifs à Jean comporte ce mouvement de sortie ; et il est redoublé par le verbe exprimant l’acte posé pour recevoir ce baptême de « conversion » : « reconnaissant [exomologouménoi] leur péché » est lui aussi construit à partir de ce préfixe ex. Les pénitents venant à saint Jean-Baptiste sortaient de leur (sur-)vie de péché pour entrer dans la vie nouvelle.

Or, quel est le moyen aujourd’hui employé par Dieu pour nous faire ainsi passer de la mort du péché à la vie de la grâce ? Le sacrement de la pénitence. Osons parler de ce sacrement mal-aimé. Pourquoi se confesser ? Comment se confesser ?

 

Pourquoi se confesser ?

Nous le savons bien : ce sacrement de la confession qui est devenu sacrement de la pénitence et de la réconciliation, porte aussi souvent et à juste titre le nom de sacrement de la miséricorde. Dans Les silences du Colonel Bramble, le romancier français André Maurois raconte l’anecdote suivante :

 

Un gentleman avait tué un homme : la justice ne le soupçonnait pas, mais les remords le faisaient errer tristement. Un jour, comme il passait devant une église anglicane, il lui sembla que le secret serait moins lourd s’il pouvait le partager ! Il entra donc et demanda au vicaire d’écouter sa confession.

Ce vicaire était un jeune homme fort bien élevé, ancien élève d’Eton et d’Oxford ; enchanté de cette rare aubaine, il s’empressa.

« Mais certainement : ouvrez-moi votre cœur, vous pouvez tout me dire comme à un père ».

L’autre commença :

« J’ai tué un homme. »

Le vicaire bondit.

« Et c’est à moi que vous venez dire cela ! Misérable assassin ! Je ne sais pas si mon devoir de citoyen ne serait pas de vous conduire au poste de police le plus proche… En tout cas, c’est mon devoir de gentleman de ne pas vous garder une minute de plus sous mon toit. »

Et l’homme s’en alla. Quelques kilomètres plus loin, il vit, près de la route qu’il suivait, une église catholique. Un dernier espoir le fit entrer et il s’agenouilla derrière quelques vieilles femmes qui attendaient près d’un confessionnal. Quand vint son tour, il devina dans l’ombre le prêtre qui priait, la tête dans ses mains.

« Mon père, dit-il, je ne suis pas catholique, mais je voudrais me confesser à vous.

– Mon fils, je vous écoute.

– Mon père, j’ai assassiné ».

Il attendit l’effet de l’épouvantable révélation. Dans le silence auguste de l’église, la voix du prêtre dit simplement :

« Combien de fois, mon fils ? » [1].

 

La réaction du prêtre atteste sa disposition à ne pas s’étonner. De fait, dans ma formation à la confession, l’un des conseils que j’ai reçus était de ne jamais exprimer de surprise à l’égard du pénitent, quelle que soit la faute confessée. Mais cette réaction témoigne encore beaucoup plus de ce que, nous, prêtres de Jésus, ne sommes pas là pour juger (humainement), mais pour communiquer la miséricorde de Dieu. Voilà pourquoi le cardinal Journet conseillait au pénitent qui n’a que dix minutes pour se préparer à la confession, de prendre huit minutes pour contempler la miséricorde de Dieu et deux pour faire mémoire de sa misère (ses péchés). Avec quelle joie, le père reçoit-il le prodigue, interrompant même son aveu (cf. Lc 15,21-22) !

Il y a une raison plus profonde qui doit éveiller en nous le désir d’aller nous confesser. Sur la Croix, du côté de Jésus mort, l’eau et le sang ont coulé. Symboliquement, l’eau représente le baptême et le sang, l’Eucharistie. Or, le baptême est la porte d’entrée de tous les sacrements et l’Eucharistie, leur sommet. Donc, du Cœur sacré de Jésus, provient tout le septénaire sacramentel qui ne cesse d’irriguer son Église. Ainsi, très concrètement, à chaque confession, je suis présent au pied de la Croix. Sacramentellement, donc très réellement, quoique sous la forme du signe, le sang très précieux de mon Sauveur vient me laver de mon péché.

Mais il y a encore plus décisif, et je fais ici référence à une hypothèse audacieuse d’une mystique suisse de langue allemande, Adrienne von Speyr, dans un ouvrage que certains considèrent comme son plus profond. Il est justement intitulé La confession [2]. Selon la contemplative, la confession est d’abord et avant tout la prière même de Jésus à son Père. En effet, il « sait tout », comme lui dit Pierre (Jn 21,17) ; il connaît donc chacun des péchés des hommes de tous les temps, chacun de mes péchés. Ainsi, dans un acte, dans le seul acte, de contrition parfaite, celui que le Père « a fait péché pour nous » (2 Co 5,21) peut ainsi demander pour nous tous le pardon de nos péchés.

Quand on songe à un don si grand qu’il trouve sa racine ultime dans la vie éternelle des Personnes divines, comment ne nous précipiterions-nous pas pour en bénéficier ?

 

Comment se confesser ?

Depuis trente ans que je suis prêtre, j’ai pu observer combien l’aveu des péchés a changé. Nous sommes passés du formel au flou. Si je caricature (à peine !), autrefois, le pénitent venait avec sa liste toute préparée. Si, par malheur, je l’interrompais parce que je n’avais pas bien compris, il pouvait arriver que la personne recommence au début ! Aujourd’hui, la personne vient plutôt partager un mal-être : « Mon père, je traverse une période difficile. J’ai perdu mon travail et je me sens perdu ». Mais le malaise intérieur, si respectable soit-il, n’est pas un péché. Le péché est un acte et un acte intentionnel. Ici, le pénitent confond le sentiment et le péché. Quand il survient, le sentiment est involontaire, alors que le péché est une initiative, donc est volontaire.

Le pénitent confond aussi parfois le péché, dont je répète qu’il est un acte, et l’habitude. « Mon père, je m’accuse d’être colérique ». Mais on peut très bien avoir ce mauvais pli et ne pas avoir commis un seul péché de colère depuis la dernière confession.

Enfin, le pénitent demeure souvent vague : « Mon père, j’ai péché par orgueil ». Mais l’orgueil cela peut aller de la pensée consentie de vaine gloire jusqu’au mépris souverain de l’autre. Après avoir avoué pécher par orgueil, donnez un exemple concret, précis.

 

Il y a plus attristant et plus inquiétant. « Mon père, mon mari est particulièrement désagréable depuis qu’il a pris sa retraite. Il ne m’adresse plus la parole, ne remercie jamais pour tous les bons petits plats que je lui prépare… – Madame, est-ce que je confesse les péchés de votre mari ou les vôtres ? – Euh, oui, vous avez raison. Je me mets parfois en colère contre mon mari, je suis fermée. Mais, vous comprenez, il est tellement désagréable… – Et c’est reparti ! » Pire qu’un pseudo-péché (la confusion entre péché et sentiment) est le péché excusé. Cette autojustification prend toujours la même forme, celle du « oui, mais… ». Le pénitent commence par confesser son péché : « Oui, je ne prie plus tous les jours, je préfère regarder la télévision ». Puis arrive le moment où il cesse de s’accuser, pour s’excuser : « Mais, vous comprenez, je me sens tellement seul. J’ai besoin de consolation ». L’authentique contrition bannit toutes les excuses. Si votre confession est sans justification, alors la miséricorde divine pourra se répandre sans limite. Un pénitent a raconté qu’il a vu le curé d’Ars verser des larmes pendant son aveu : « Pourquoi pleurez-vous ? », lui demande-t-il, intrigué. « Je pleure sur vos péchés, parce que vous ne pleurez pas » fut la réponse.

 

Une autre objection à la confession qui est souvent entendue est la suivante : « Je confesse toujours le même péché ».

D’abord, encore heureux que vous ne cherchiez pas à changer de péché ! Du genre : « Ces dernières confessions, je me suis accusé d’avoir menti. Maintenant, je vais voler, histoire d’introduire un peu de variété ». Ensuite et surtout, si, pour vous, cela vous semble être le même péché, pour Celui que vous offensez, il est toujours différent. Imaginez que votre enfant vous donne tous les jours une gifle. Pour lui, ce serait le même soufflet, mais vous le ressentiriez à chaque fois comme un affront nouveau. Enfin, une telle réflexion oublie que la confession ne prend son sens que de la contrition et celle-ci de la « ferme résolution de ne plus recommencer », autrement dit du moyen que vous choisissez pour changer de vie. Bien sûr, il arrive que nous rechutions, et trop souvent ! Il n’empêche que la confession fréquente, faite dans un véritable esprit de pénitence et de conversion, transforme peu à peu le cœur. Elle constitue même l’un des moyens privilégiés par lesquels Dieu nous offre sa grâce transformante.

 

Nous avons parlé de l’aveu du pénitent. Parlons, pour finir, de la confession elle-même. Celle-ci est proposée dans de nombreuses paroisses où le prêtre, les prêtres assurent des permanences, en particulier à l’approche de Noël. Un conseil général : la confession régulière, c’est bien ; la confession fréquente, c’est beaucoup mieux. Les maîtres spirituels conseillent une fois par mois.

Comment faire ? Commencez par le signe de croix. Puis, ce n’est pas obligatoire, mais cela permet au prêtre de mieux situer votre propos, dites en un mot votre état de vie (marié, consacré, célibataire, séparé, etc.).

Alors, confessez-vous. Avouez le plus possible des actes concrets.

Après, le pénitent attend souvent une exhortation ou un encouragement de la part du prêtre. Le plus important n’est pas là, mais dans les paroles de l’absolution qui se terminent par ces mots merveilleux qui disent tout et ne peuvent venir que de Dieu même : « Je vous pardonne tous vos péchés ». D’ailleurs, saint Leopoldo Mandici, capucin italien qui est le patron des confesseurs, ne disait jamais que les paroles de l’absolution. Enfin, accomplissez votre pénitence et demandez-la au prêtre s’il oublie de vous la donner. Cette pénitence n’efface pas le péché (seul le peut le pardon de Jésus qui vous est communiqué par l’absolution), mais les conséquences communautaires de celui-ci.

 

Pour finir, écoutons d’un autre saint, Jean-Marie Vianney qui, pendant de longues années, a confessé 15 à 16 heures par jour, à raison de 3 minutes par pénitent : « Quand le prêtre donne l’absolution, il ne faut penser qu’à une chose : c’est que le sang du bon Dieu coule sur notre âme pour la laver, la purifier et la rendre aussi belle qu’elle était après le baptême [3] ».

Pascal Ide

[1] André Maurois, Les silences du Colonel Bramble, Paris, Hachette, 1935, ch. IX, p. 76 s.

[2] Cf. Adrienne von Speyr, La confession, trad. M. Allisy, coll. « Le Sycomore », Paris, Lethielleux et Namur, Culture et Vérité, 1981, p. 21-26.

[3] Bernard Nodet, Jean-Marie Vianney curé d’Ars, Pensées, Paris, DDB et Xavier Mappus, 1981, p. 134.

11.12.2019
 

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