Les Éblouis, drame français de Sarah Suco, 2019. Avec Céleste Brunnquell, Camille Cottin, Éric Caravaca, Jean-Pierre Darroussin.
Thèmes
Dérive sectaire, résilience, communauté nouvelle.
Une fois n’est pas coutume, je procéderai sous forme de questions-réponses.
De quoi le film parle-t-il ?
Il traite d’un cas typique de dérive sectaire. Les éléments sont en place : l’emprise d’un berger tout-puissant (avec la parole toute-puissante incritiquée incritiquable, les manipulations, les paroles à double sens, la pseudo-douceur, etc.), la complicité passive des différents membres, les proies rêvées que représentent les personnalités fragiles comme cette mère dépressive et ce père démissionnaire. Le film permet ainsi de mettre en mots les maux subis par les victimes.
Le film parle-t-il d’une communauté du Renouveau au sein de l’Église catholique ?
Oui ! C’est ce qu’il dit explicitement, et dès le début, en montrant cette communauté nouvelle prenant en charge une paroisse ; Jean-Pierre Darroussin est le berger de la première et le curé de la seconde. Et telle est aussi l’intention clairement exprimée par la réalisatrice : « Je connais bien les communautés charismatiques » ; or, « C’est un film ‘d’après’ une histoire personnelle [1] ».
Le film parle-t-il de la Communauté de l’Emmanuel ?
Si on se réfère à l’intention de la cinéaste, non ! Le film ne parle pas d’une communauté du Renouveau en particulier. En effet, dit-elle, « je ne nommerai pas celle où j’ai grandi ». Toutefois, un passage, malheureusement aussi repris dans la bande annonce (à 23 secondes) montre l’icône de la Vierge de l’Emmanuel et le film, comme l’interview, mentionnent Paray-le-Monial. Toutefois, il n’est pas parlé des sessions organisées par la Communauté de l’Emmanuel. D’ailleurs, celle-ci ne comporte pas de religieuses parmi ses membres, alors que le film montre des consacrées portant un habit et un nom de religion.
Le film est-il à charge contre les communautés ?
Sarah Suco se défend d’avoir fait un film à charge parce qu’il « est en deçà de la réalité ». Certes, il est en deça, car certains bergers vont beaucoup plus loin dans l’abus sur leurs membres, ainsi que nous le savons (ici, l’on ne voit pas d’abus sexuel). Mais il va bien au-delà, en se refusant à montrer tout contre-exemple et toute régulation ecclésiale, donc en invitant implicitement à généraliser et à accuser l’Église de compromission. Que le berger n’ait pas de nom anonymise le propos, mais universalise le procès. Bien sûr, les manipulations, les dérives sectaires existent dans certaines communautés nouvelles et, ajoutons, dans certaines paroisses, congrégations religieuses, etc. Encore faut-il ajouter deux choses. D’abord, elles sont rares ; ensuite, l’Église, autant locale qu’universelle, en a pris conscience et commence à prendre les moyens – même si c’est encore souvent insuffisant. L’on ne cesse de répéter que l’islamisme terroriste n’est pas l’Islam. Or, à quel moment le film le dit-il et, plus encore, le montre-t-il, de l’Église catholique ? De plus, la seule instance qui réagit et dénonce l’emprise est la Brigade des mineurs. Même si le cinéaste dit avoir « attendu » longtemps « pour ne plus être dans la haine », l’unilatéralité du propos interroge sur la persistance d’un ressentiment.
Y a-t-il des leçons à tirer de ce film ?
Assurément ! Les éblouis (qui signifie autant les illuminés que les aveuglés) montre les comportements favorisant l’emprise sectaire : la ghettoïsation, l’attitude hors monde, hors corps, etc. Autrement dit, le spiritualisme (que l’on appelle parfois surnaturalisme ou providentialisme). Un exemple entre mille. Au début du film, Camille rentre chez elle, alors que ses parents sont absents et voit une religieuse qu’elle ignore. Elle constate alors que son plus jeune frère n’est pas dans le salon en train de jouer : « Où est-il ? – Il prend son bain. – Tout seul ? – Dieu veille sur lui ! ». De manière générale, à La Colombe, la prière est proposée comme panacée et remède exclusif de toutes les difficultés, comme si la grâce excluait la nature dont Dieu est aussi l’auteur. Le film donne ainsi à voir sous verre grossissant certaines paroles et certains comportements qui blessent le Créateur en blessant les lois de sa création.
Ne doit-on pas aussi applaudir au personnage de Camille ?
C’est la trouvaille du film, qui doit à son caractère autobiographique : adopter, de la première à la dernière image, le point de vue de cette aînée de caractère. Face à une mère qui n’est pas seulement malade, mais très égocentrée, voire manipulatrice (« Tu veux faire quelque chose pour moi ? » « Tu crois qu’on fait ce qu’on veut dans la vie ? » « Crois-tu que j’ai voulu avoir tous ces enfants ? »), Camille se libère de ce dramatique conflit de loyautés et devient une admirable résiliente qui parvient à sauver ses frères et sœurs. Mais pourquoi faire de la transgression de presque tous les commandements (mensonge, vol, fornication) le signe de son affranchissement ? Maintenant, Camille a pour excuse qu’elle ne fait que répéter ce qu’elle voit s’accomplir sous ses yeux (par exemple, dans la scène troublante où, lors d’une fête improvisée, les parents de Camille se « lâchent » jusqu’à l’indécence et où l’adolescente se donne alors le droit de les imiter).
Conseilleriez-vous à une personne qui fait partie d’une communauté nouvelle ou fréquente un groupe de prière d’aller voir ce film ?
Non ! Les images imprègnent notre psychisme. Or, la caméra filme longuement et complaisamment des moments de prière dont les participants apparaissent comme des illuminés en transe. Tous les charismes qui nous sont chers (chant en langue, prophétie, parole de science, guérison, délivrance, etc.) sont ridiculisés. Ce voyeurisme déformant et ironique peut être blessant.
En revanche, même si les faits relatés par le film remontent aux années 1990, il nous rappelle que les dérives sectaires ne sont pas seulement des possibilités, mais des réalités actuelles. Le spiritualisme, dont je répète qu’il est, selon moi, le principal facteur favorisant l’emprise, n’est pas encore assez pris en compte dans nos communautés nouvelles, et les processus de manipulations qui sont présents dans toutes ces dérives pas encore assez connus des responsables, qui devraient tous bénéficier d’une formation approfondie en ce domaine. J’ose même dire que les ignorer est aussi ingénu que coupable… Je ne peux qu’encourager à lire et travailler les ouvrages par exemple d’Isabelle Nazare-Aga (Les manipulateurs sont parmi nous), Marie-France Hirigoyen (Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien), Jean-Marie Abgrall (La mécanique des sectes), etc.
Pascal Ide
[1] Les verbatim sont tirés de l’entretien de Sarah Cuco dans La Croix, 19 novembre 2019 : « L’emprise sectaire commence au sein de la famille ».
Camille Lourmel (Céleste Brunnquell), 12 ans, est passionnée par les arts du cirque. Fréquentant la paroisse dont le curé est le berger (Jean-Pierre Darroussin) d’une communauté nouvelle, la Colombe, principalement composée de religieux, ses parents, Christine (Camille Cottin) et Frédéric (Éric Caravaca), décident d’y rentrer avec leurs quatre enfants, Camille, l’aînée, Matthieu (Armand Rayaume), Benjamin (Jules Dhios Francisco) et Eva (Eva Ristorcelli). Après une soirée où Camille a chambré les membres de la communauté, Christine, sur la pression du berger, lui demande d’abandonner le cirque. De plus en plus, les comportements du berger et des membres de la communauté, apparaissent comme sectaires et les parents de Camille sous emprise. Camille est seule à être lucide non sans les autres membres de la fratrie et grâce à ses grands-parents, Mamie (Laurence Roy) Papi (Daniel Martin). Mais comment rester fidèle à sa famille et se libérer de la communauté ?