Deux moi, drame français écrit et réalisé par Cédric Klapisch, 2019. Avec François Civil, Ana Girardot, François Berléand et Camille Cottin.
Thèmes
Solitude, changement, amour de soi.
Avec l’empathie qui caractérise ses films, Cédric Klapisch colle assez à la réalité quotidienne de notre souffrance (l’isolement) pour que nous nous sentions rejoints, et en décolle assez pour nous redonner de l’espérance.
Réjouissante comédie de ce réalisateur qui est aussi scénariste ! Réjouissante non point par son sujet, puisqu’elle traite de la tristesse de la dépression réactionnelle, mais par grave légèreté de son traitement. Réjouissante aussi par le jeu de deux acteurs remarquables et remarquablement dirigés qui, à l’instar par exemple du Placard (Francis Véber, 2001), font rire d’un thème qui, lui, fait pleurer – sans jamais se moquer.
Le film réjouit surtout parce qu’il raconte une véritable histoire de guérisons ou plutôt, comme le dit le psy de Rémy, de changement, mieux, de trans-formation. En effet, contrairement à ce que le titre, l’affiche, les premières images et beaucoup d’autres qui suivront font ou veulent faire croire (le réalisateur induit en erreur pour notre plus grand bonheur), l’intrigue nous raconte non pas la rencontre de deux êtres qui se côtoyent sans jamais se voir, mais la rencontre avec soi-même. Ou plutôt comment la rencontre avec soi décide de la rencontre avec l’autre (« Pour que les deux moi soient nous, il faut que les moi soient soi… »).
Mais, paradoxalement, le moi ne peut adhérer à lui-même, c’est-à-dire se connaître, s’espérer (avoir confiance en soi) et s’aimer, qu’en se distanciant de lui grâce à l’aide d’un autre. Dès lors, le double solo se transforme en un quattuor virtuose où l’attachement détaché des « psy » attachants permet aux deux héros de s’attaquer à la rude tâche de la vie qui est de s’attacher sans se détacher par fuite.
Bien sûr, le réalisateur joue avec jubilation des contrastes entre les deux thérapeutes (beau travail de montage), l’un froid, dépouillé, chtonien jusqu’à être faussement glacial (« Dites-moi ! – Je crois que c’est plutôt à vous de me dire ! »), l’autre chaleureux dans un environnement aux teintes solaires et au désordre calculé – opposition qui n’est pas sans redoubler une différence masculin-féminin finement décrite sans sombrer dans les stéréotypes.
Ces médiations proches, indispensables et fidèles, sont relayées par des médiations plus ponctuelles, plus lointaines, mais nons moins utiles, qui sont autant de miséricordes insoupçonnées offertes par la vie quotidienne : du chaton blanc qui reçoit et donne de la présence et bientôt de l’affection (le ronronnement curatif !) à Mansour, séducteur et gouailleur, qui fait payer plus cher mais non sans payer de sa personne, en passant par cet incendie si commotionnant où chacun des protagonistes rejoue ses propres deuils si émouvants, et la dense danse où chacun se prépare à valser avec l’autre en faisant virevolter son âme avec son autre qu’est le corps.
Une seule question critique : l’éloge (l’eulogie) bien français(e) de la thérapie langagière, voire de la psychanalyse – même si chacun des « psys » transgresse heureusement les règles sacro-saintes de son art : lui en touchant l’épaule de son patient, elle en introduisant ces phrases paradoxales à la Milton Erickson qui perdent la conscience (la raison) pour mieux gagner l’inconscient (« La fragilité, ce peut être une force »). Et, au-delà de ce primat exorbitant et cérébral accordé à la seule parole (comme si le corps ne possédait pas les ressources encore plus puissantes pour nous guérir), le film se nourrit et nourrit le spectateur d’une autre et double illusion récurrente. La première est diagnostique : la blessure habituelle du quotidien s’enracinerait dans une blessure ponctuelle du passé ; ici, la perte de Cécile, la petite sœur de Rémy, devenu secret de famille (« Je n’ai même pas eu le droit de lui dire au re voir »). La seconde est thérapeutique : un seul acte contraire suffirait à faire basculer des mécanismes de défense renforcés pendant de longues années ; ici, le coup de téléphone réconciliateur avec la mère de Mélanie. Or, le traitement des schémas de Young – qu’une récente traduction va contribuer à enfin faire connaître en France – a heureusement montré qu’une enfance lisse, voire très aimante (en fait, étouffante), suffit à causer des navrures tout aussi toxiques qu’un traumatisme bien encapsulé.
Quoi qu’il en soit de ce parti pris, demeure le cheminement de deux moi assez humbles pour accepter de se faire aider et assez vrais pour se refuser à la victimisation, assez courageux pour prendre les moyens et assez persévérants pour les mettre en œuvre sur la longue durée. Jusqu’à ce qu’un merveilleux sourire ensoleille chacun de leur visage et que leur corps redressé leur permette d’enfin rencontrer le regard de l’autre si souvent croisé et de serrer la main si souvent frôlée.
Et pourquoi ne pas voir dans le spectacle récurrent vu de la double chambre une métaphore de la totalité du film ? L’étagement vertical des rails emmêlés sur lesquels se croisent les rames bruyantes qui éloignent les êtres chers, puis des studios où se superposent des vies déboussolées et se juxtaposent des egos désolés, et enfin de la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, prélude du ciel sur lequel elle découpe sa silhouette qui fait rimer transcendance et espérance, projette dans la verticalité ce que les héros parcourent sur la ligne horizontale (mais aussi ascendante) du cours de la vie qui, en devenant discours, se transforme en parcours : partant des nœuds refoulé d’un passé jamais encore démêlé et vivant d’un présent triste, angoissé et insignifiant (dénué de sens), ils accèdent à un à-venir où ils se donnent « le droit d’être heureux et amoureux ».
Avec son treizième long-métrage, le presque parisien Klapisch (il est né à Neuilly-sur-Seine) signe une fable contemporaine adressée à notre génération métro-texto-bio. La nouvelle génération a en commun avec la précédente la foule solitaire signifiée-réalisée par le métro (superbe générique qui multiplie les scènes de et dans le métro, des plus incarnées jusqu’aux plus symboliques, des visages et des mains jusqu’à des traits en mouvement) ; elle s’en différencie par la fake news – la fausse bonne nouvelle – d’un réseau social aussi obésigène en relations que pauvre en amitiés (scène là encore formidable où les trois filles emmêlées sont néanmoins isolées chacune sur son portable) ; elle s’en dissocie aussi par une attention plus grande portée à la nature (le bio) où paradoxalement je me rapproche de mon frère le chat en m’éloignant de mon cousin humain…
Pascal Ide
Rémy Pelletier (François Civil) et Mélanie Brunet (Ana Girardot) ont plus d’un point commun : ils ont tous deux trente ans, sont célibataires et plus encore seuls (même si Mélanie est hyperconnectée), vivent dans deux immeubles adjacents, presque au même étage, à Paris, se côtoient tous les jours, fréquentent la même épicerie et le même épicier, Mansour (Simon Abkarian), et surtout sont profondément tristes sans le savoir. Ce qui va les conduire à une autre convergence : tous deux vont aller voir un psy à leur image, un homme taiseux et inhibé pour Rémy (François Berléand), une femme lumineuse et affectueuse pour Mélanie (Camille Cottin). Ces deux moi vont-ils finir par former un « nous » ?