D) La théorie du chaos
« Qui dira l’imperceptible incident, l’éclair d’une seconde, l’amour entrevu qui fait basculer un être d’un côté ou de l’autre de sa vie [1] ? »
Il faut généraliser la question posée par Darwin. Pour ce dernier, le vivant apparaît de manière casuelle et plus universellement, le nécessaire procède du hasard. Voire, on pourrait affirmer, ce qui est en partie l’idée de Morin, que non seulement la causalité germe du hasard, mais que la finalité ou les organismes doués de téléonomie apparaissent à partir d’un état primitivement chaotique. Cette position pourrait donner l’impression d’être une solution mitigée en faveur du finalisme et du mécanisme.
1) Historique [2]
a) Naissance de la théorie
La prévision météo, comme toute prévision et comme une bonne partie de la science occidentale jusqu’à ces dernières décennies, s’appuyait sur le principe implicite selon lequel il est légitime de négliger les influences imperceptibles. Il est permis de ne pas tenir compte de la chute d’une feuille sur une planète dans une autre galaxie lorsque l’on décrit le mouvement d’une bille sur un billard terrestre.
Or, un jour d’hiver 1961, Edward Lorenz, célèbre météorologiste, réalisait les séquences de chiffres qui lui permettaient, selon lui, de petit à petit deviner les comportements des vents. Il entre les chiffres tirés d’un bout de listage. Puis il va au bout du couloir pour boire une tasse de café et fuir le bruit de sa machine, particulièrement peu discrète. « Quand il revint une heure plus tard, il vit quelque chose d’inattendu, quelque chose qui allait engendrer une nouvelle science ». En effet, Lorenz avait introduit dans son ordinateur les mêmes nombres et utilisé le même programme que lors de la dernière exécution. Or, en regardant le listage, il vit que les prévisions divergeaient rapidement. Première réaction : un tube à vide a flanché. Puis, jaillit l’intuition de celui qui est toujours à la recherche du vrai et est prêt à remettre en question toutes les apparentes évidences, au lieu d’accuser la machine. En fait, il y avait une autre différence par rapport à la précédente manœuvre : par économie de place, Lorenz avait entré des nombres arrondis : en l’occurrence, il avait tronqué les 3 dernières décimales. Au lieu de taper : 0,506127, il avait entré 0,506. Fort de l’axiome implicite énoncé plus haut, il pensait que cette approximation serait sans incidence. Brusquement, « bien que ses équations fussent de grossières parodies de la météo terrestre, il était convaincu d’avoir saisi la nature profonde de l’atmosphère réelle. Ce jour-là, il décida que la prévision météo à long terme était vouée à l’échec : ‘J’ai réalisé que tout système physique ayant un comportement non périodique était imprévisible.’ »
b) Développement actuel
On s’est peu à peu rendu compte que les systèmes hors équilibre n’étaient pas abandonnés au chaos, mais obéissaient à certaines lois. Différents groupes de travaux ont conduit à ce nouveau paradigme qu’est l’ordre (issu) du chaos [3]. Tel est le cas de la chimie du déséquilibre élaborée par Prigogine que nous avons développée ci-dessus, ou de la théorie des fractales dont nous avons aussi vu qu’elle introduit de l’ordre dans le chaos.
1’) Les phénomènes de transition de phase
Une branche de la physique fondamentale étudie les phénomènes de transition de phase : pourquoi l’eau passe-t-elle brutalement de la phase liquide à la phase vapeur, en chauffant quelques dixièmes de degré ? Pourquoi la transition ne se fait-elle pas graduellement ? Un autre exemple classique de transition de phase est le pouvoir d’aimantation : au-dessus de 700°, le fer perd brutalement l’état ordonné aimanté et passe dans un état désordonné désaimanté. Pourquoi la matière varie-t-elle de manière aussi brusque ? Donnons un autre exemple, en électricité : « Soit un réseau électrique constitué par une même série de fils et mis sous tension entre deux points opposés. Coupons une à une les connexions du réseau. Il arrive un moment où le courant entre les deux points se trouve coupé. Si le réseau est formé de nombreuses connexions, on constate que la proportion d’entre eux qu’il faut couper pour interrompre la liaison électrique est à peu près constante, quels que soient la forme du réseau et le détail des connexions. Cette propriété statistique définit le seuil de percolation. C’est une sorte de seuil critique. Au-dessous, on est dans l’état courant-passe, au-dessus dans l’état courant ne passe-pas ». Or, « on démontre qu’autour de ce point critique, les propriétés obéissent à des lois analogues à celles découvertes par Wilson. Cet exemple de réseau électrique peut être étendu à tous les réseaux connectés : réseau de pores, réseaux de fils de polymère, etc. [4]«
Dans les années 1970, un jeune professeur de l’université Cornell, aux Etats-Unis, Ken Wilson, se penche sur ces questions. Or, il émet l’hypothèse que « l’organisation de la matière est hiérarchique : chaque atome n’a de relation directe qu’avec ses proches voisins [5] ». Et l’action se propage ainsi de proche en proche, mais par hiérarchie successive. Précisément, il se pose la question : « quelle est la distance à laquelle le comportement d’un atome donné influence celui des autres atomes ? Si le système est totalement désordonné, cette distance est très faible, chaque atome est libre ou presque. Lorsque le système s’organise, l’atome influence ses voisins de plus en plus et de mieux en mieux [6] ». Or, en faisant varier le paramètre cardinal, la température, Wilson a montré que la distance d’organisation varie, mais de manière particulière : sur un large intervalle, un atome n’influence que ses proches voisins, sans variation. « Puis, lorsqu’on approche d’une certaine valeur, la distance d’influence augmente très rapidement et devient infinie. Cette valeur particulière correspond précisément à la valeur critique, à la transition de phase [7] ».
La méthode de Wilson permet de calculer avec grande précision ces transitions et les exposants critiques auxquels se produisent les transitions. On constate alors une loi générale : « des systèmes de nature totalement différents – par exemple : une casserole d’eau et sa vaporisation, un fil de fer sa désaimantation – obéissent également à la même loi, avec le même exposant critique [8] ». Wilson a reçu le prix Nobel pour ses différents travaux.
À noter que l’on a étudié, dans le même ordre d’idées, les états non classiques de la matière, les états de la matière plus complexes, comme la « matière molle », selon le mot d’un autre prix Nobel, Pierre-Gilles de Gennes.
2’) La mécanique des fluides
La mécanique des fluides va aussi contribuer à la naissance de la théorie du désordre ordonnateur. En effet, un fluide à basse vitesse est doué d’un écoulement relativement homogène et stable, susceptible d’être décrit ; en revanche, à plus haute vitesse, le fluide prend des allures tourbillonaires. Or, la turbulence est indescriptible rationnellement. Sauf à faire appel à une nouvelle théorie qui regroupe autant la théorie météorologique de Lorenz, les tourbillons de Bénard et la théorie des « attracteurs étranges » développée par David Ruelle : tous deux montrent que certains systèmes sont sensibles aux conditions initiales et que de minimes modifications peuvent engendrer de grandes modifications ultérieures. Il suffit que le système présente trois échelles d’organisation ou de trois rythmes (paramètres) indépendants.
3’) Convergence
Désormais, ces travaux indépendants sont arrivés à un point d’ébullition et de maturation. Les idées cristallisent autour de la notion de chaos.
On découvre là encore, comme avec Wilson, des invariants transversaux, gouvernant des systèmes extrêmement variés et, qui plus est, désordonnés, chaotiques. Notamment, le groupe français de l’ENS autour d’Albert Libchaber travaillant sur la convection découvre un nouveau paramètre : 4,6692016.
Notons pour conclure que l’expression : « le désordre obéit aussi à des lois [9]« demeure problématique. N’est-ce pas un oxymoron ?
Les découvertes de Wilson sont intéressants car ils montrent l’importance de la chaleur dans les transformations de phase.
Ils montrent aussi combien la seule quantité, les seules différences de degré ne suffisent pas à décrire les changements survenant dans la nature. En effet, on a longtemps cru que ce qui est bon pour la bactérie est bon pour l’hippopotame. Autrement dit, on croyait que tous les comportements de la matière se ramenaient à ceux de ses composants, à savoir les atomes, que les comportements du vivant se réduisaient à ceux de ses composants, à savoir les cellules. Or, « Wilson nous apprend que si l’on veut expliquer les propriétés de l’océan en partant de celles de la molécule d’eau, il faut le faire par étapes, en passant d’un niveau d’organisation à un autre. Le transfert direct est impossible : il existe à chaque niveau, à chaque échelle de longueur des lois d’organisation, et ces lois ne sont pas linéaires ; ici la simple multiplication, la simple sommation n’ont plus de sens [10] ». Pour le dire encore autrement, la loi de proportion des effets ne vaut plus : « On est dans un monde où les effets ne sont plus proportionnels aux causes [11] ». Or, la proportion est le signe d’un monde seulement quantitatif, régi par la seule mesure de quantité. Bref, la non-linéarité est à la linéarité ce que le règne de la qualité est au règne de la quantité pure. « Enfin – et ce n’est pas la moindre conséquence – le réductionnisme simpliste rend gorge. Entre l’atome et le cristal, entre la molécule et le liquide, entre le grain et la planète, entre la matière et la galaxie, il y a toute une série de niveaux emboîtés les uns dans les autres, organisés et assemblés [12] ».
Cependant, ne nous cachons pas que la différence qualitative n’est qu’en chemin vers la différence substantielle que le primat donné à la relation et la pensée dialectique (comment introduire un troisième terme, à côté du quantitatif et du qualitatif) rendent toujours difficilement perceptible.
Enfin, « la frontière, hier infranchissable, entre le monde déterministe et celui des probabilités, s’efface, puisque des équations parfaitement déterminées gouvernent l’imprévisible [13] ».
2) Différents exemples
À la question : « L’aléatoire est-il vraiment constitutif du réel ? », Ilya Prigogine répond : « Qu’est-ce que le réel en son essence ? C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Ce que je veux souligner, c’est que les modèles théoriques auxquels nous aboutissons aujourd’hui nous permettent de prédire seulement le comportement moyen et qu’ils contiennent une composante aléatoire irréductible ». Prigogine va plus loin : le hasard existe au niveau microscopique (du mouvement brownien au principe d’indétermination) ; mais « ce qui est neuf, c’est le fait qu’il surgisse à présent en force à l’échelle macroscopique ». Aussi, le chimiste affirme que « l’aléatoire devient constitutif du réel. Et de donner un signe : « il est difficile d’admettre que la diversité des espèces vivantes était préprogrammée aux origines de l’univers. Il est plus naturel de considérer cette diversité comme le résultat de processus contenant une part d’aléatoire [14] ». Ainsi donc, il est possible que du bruit naisse de la complexité.
a) Un exemple artificiel
Il existe de multiples exemples manifestant que l’ordre peut venir du bruit (« order from noise »). [15] Certains en sont donnés dans l’exposé relatif aux structures dissipatives. Bon nombre sont naturels. Aux falaises de Ciboure, entre saint Jean de Luz et Hendaye, on peut observer un phénomène d’autoorganisation spontanée stupéfiant : la structure de la roche est en lamelle, de sorte qu’immergée, mais affleurant, l’eau qui se retire constitue des cellules qui ressemblent à des bulles venant claquer à la surface.
Ici, je retiendrai un phénomène artificiel : les aimants de Von Fœrster.
On place dans une boite des petits cubes dont trois faces sont magnétisées selon un pôle (nord ou sud) et les trois autres faces sont magnétisées selon le pôle opposé (sud ou nord). Au point de départ, les cubes gisent de manière désordonné. On agite la boîte, c’est-à-dire qu’on la soumet à un processus de mouvement aléatoire. On assiste alors à un arrangement progressif du tas de cubes qui s’ordonne en arrangements architecturaux en trois dimensions.
Ce processus est structural. Il permet d’expliquer des ordres dynamiques créés à partir de processus stochastiques. Par exemple, les mouvements désordonnés du poignet permet de remonter une montre dite automatique. Tel est aussi le cas des chiens déposés sur les lunettes arrière des voitures dans un but décoratif : sous l’effet des cahots – mouvement aléatoire –, leur tête est animée de mouvements relativement ordonnés, suffisamment pour simuler et signifier des mouvements qu’unvéritable animal ferait.
b) Un exemple humain de phénomène chaotique
Célèbre astronome français et grand amateur de coïncidence (ce que Jung appellera synchronisation), Camille Flammarion en fut lui-même souvent gratifié. Il terminait à Paris la rédaction d’un ouvrage sur l’Atmosphère (publié en 1871).
« Soudain une rafale de vent ouvrit la fenêtre de son bureau et fit s’envoler plusieurs pages de son manuscrit, qui se dispersèrent sous les châtaigniers de l’avenue de l’Observatoire. Une averse suivit immédiatement. Pensant son travail irrémédiablement perdu, Flammarion ne chercha même pas à courir après ses feuillets.
« Son imprimeur, Lahure, installé non loin de chez Flammarion, lui fit pourtant parvenir quelques jours plus tard les épreuves du chapitre qui s’était envolé, à l’exception d’une seule page. Lorsque l’auteur, intrigué, s’en vint aux nouvelles, il apprit que le coursier de l’imprimeur, passant précisément sur l’avenue lors de la bourrasque, avait récupéré les feuillets éparpillés par le vent. Ayant déjà porté chez son patron les chapitres précédents de l’ouvrage, il croyait avoir perdu ces pages lors d’une récente livraison ; il les avait donc récupérées, remises soigneusement en ordre et directement apportées au typographe.
« Le titre de ce chapitre perdu et retrouvé : ‘la force du vent’ [16] ».
c) Un exemple fictif : Jurassic Park
Tirons un exemple d’un ouvrage de science-fiction à succès de Michael Crichton qu’un film a propulsé au rang de best-seller mondial [17]. L’une des idées-forces du roman, plus précisément le scénario est fondé sur un processus chaotique qui, ici, loin d’être créateur, va être destructeur : en effet, ce parc jurassique, en accueillant des formes de vie préhistoriques, précisément, un certain nombre de dinosaures, a introduit une modification des constantes initiales qui vont générer une évolution absolument imprévisible et en l’occurrence immaîtrisable, ce que le créateur du parc, le milliardaire Hammond, encore imbibé par les schémas linéaires développés par le déterminisme classique refuse. C’est l’occasion à l’auteur, via l’un des héros, un mathématicien génial, Ian Malcolm, de donner quelques exposés très pédagogiques de la théorie du chaos et des évolutions imprévisibles que, paradoxalement, elle prévoit. Le dialogue qui va suivre se déroule avant que rien de catastrophique ne se soit déroulé :
« La conclusion de votre rapport est que le projet de Hammond est voué à l’échec, dit Gennaro [qui parle à Malcolm].
– Exact.
– A cause de la théorie du chaos ?
– Encore exact. Ou plutôt, pour être plus précis, à cause du comportement du système dans l’espace des phases ». À la demande, il s’explique en partant de la notion d’équation linéaire et non-linéaire : « La physique a parfaitement réussi à décrire certaines sortes de comportements : planètes en orbite, vaisseau spatial se dirigeant vers la lune, pendules, ressorts et roulement d’une balle, ce genre de choses. Le mouvement régulier d’objets. Pour les décrire, on utilise ce qu’on appelle des équations linéaires, faciles à résoudre pour des mathématiciens. Nous connaissons cela depuis plusieurs siècles. […] Mais il y a une autre sorte de comportement que la physique traite d’une manière beaucoup moins satisfaisante. Par exemple, tout ce qui se rapporte aux turbulences. Le jaillissement de l’eau, l’air glissant sur l’aile d’un avion, les conditions météorologiques, la circulation du sang à l’intérieur du cœur. Les turbulences sont décrites par des équations non linéaires, difficiles à résoudre… En réalité, elles sont la plupart du temps impossibles à résoudre. Voilà donc toute une catégorie de phénomènes que la physique n’a jamais permis de bien comprendre. Jusqu’à il y a une dizaine d’années. La nouvelle théorie qui les décrit a reçu le nom de théorie du chaos. Son origine remonte aux années soixante, lorsqu’on a essayé, à l’aide d’ordinateurs, de créer des modèles des phénomènes atmosphériques [cf. les travaux de Lorenz]. La météorologie est un système vaste et complexe, à savoir l’étude de l’atmosphère de notre planète en interaction avec la terre et le soleil. Le fonctionnement de ce système est si complexe qu’il a toujours défié l’entendement. Il nous était donc impossible de prévoir le temps qu’il fallait faire. Mais, d’après les modèles fournis par leurs ordinateurs, les premiers chercheurs ont découvert que, même si l’on parvenait à comprendre les phénomènes atmosphériques, on ne pouvait rien prévoir. Toute prévision météorologique est absolument impossible. La raison en est que le comportement du système dépend notablement des conditions initiales ». Nous allons maintenant utiliser cette distinction pour comprendre la différence essentielle entre phénomènes linéaires et non linéaires.
« Si j’utilise un canon pour lancer un obus d’un certain poids, à une certaine vitesse et avec un certain angle d’inclinaison… et si je tire ensuite un deuxième obus avec à peu près le même poids, la même vitesse et le même angle, que va-t-il se passer ?
– Les deux obus vont tomber à peu près au même endroit.
– Exact, fit Malcolm. C’est de la dynamique linéaire. […] Mais si je prend maintenant un système atmosphérique avec une certaine température, une certaine vitesse du vent et une certaine humiditié, puis un autre avec des données très voisines, le second système n’évoluera pas d’une manière très voisine. Son comportement s’écartera de celui du premier et il deviendra rapidement très différent. Il y aura des orages à la place du soleil. C’est de la dynamique non linéaire. Elle est sensible aux conditions initiales : des différences infimes ne feront que s’amplifier ». Et de donner l’exemple de l’effet papillon. D’où la question de Gennaro qui touche en plein notre sujet : « D’après la théorie du chaos, tout est donc le fait du hasard et impossible à prévoir ? »
Malcolm explique : « Non. En réalité, nous trouvons certains phénomènes cachés qui se reproduisent régulièrement dans l’infinie variété de comportements d’un système complexe. C’est pourquoi la théorie du chaos a maintenant des applications très vastes et est utilisée pour étudier aussi bien les marchés financiers qu’une émeute ou les ondes cérébrales pendant une crise d’épilepsie. Dans tous les systèmes complexes où il y a confusion et imprévisibilité, nous pouvons trouver un ordre sous-jacent » et cet ordre « est essentiellement caractérisé par le mouvement à l’intérieur de l’espace des phases », ce que Malcolm renonce à expliquer avec précision… Il y a des limites à la vulgarisation ! En tout cas, on comprend combien le chaos n’est pas l’ennemi de l’ordre, mais qu’il peut même l’engendrer.
Enfin, pour boucler notre exposé, notons l’application (générale, n’ayez crainte, je ne veux pas déflorer le suspense !) à l’histoire. Malcolm vient de montre que le jeu de billard est un système simple dont le comportement est typiquement chaotique, non linéaire : « Le projet de Hammond est en apparence un autre système simple – des animaux à l’intérieur d’un parc zoologique – qui finira par montre un comportement imprévisible. […]
– Mais ne pensez-vous pas qu’il vaudrait mieux voir l’île [où se trouve le Parc Jurassique] afin de savoir ce qu’i s’y passe réellement ?
– Non, c’est tout à fait superflu. Les détails n’ont aucune importance. La théorie m’assure que la situation de l’île va bientôt évoluer d’une manière imprévisible [18] ».
D’ailleurs, en tête de chaque partie, le lecteur trouve une courbe fractale qui par itération successive, c’est-à-dire par réplication, montre son comportement apparemment ordonné et réellement imprévisible. Or, les courbes fractales, inventées par Benoît Mandelbrot, modélisent le comportement chaotique.
« L’idée intuitive de chaos ou de désordre s’appuie sur les caractéristiques suivantes : de nombreuses particules sont animées de mouvements aléatoires. Le désordre macroscopique est alors liée au nombre de variables (degrés de liberté) et au hasard (mouvement aléatoire). […] En fait, si ces deux critères sont suffisants pour obtenir des comportements chaotiques, ils ne sont pas nécessaires ». Mais, et c’est ce que Cosnard veut montrer, un système à peu de degrés de liberté, voire à une seule dimension, peut exhiber un comportement chaotique : dans « le mouvement d’une seule particuler », il y a « des situations où ce mouvement parfaitement déterministe paraît erratique [19] ». Précisément, « nous avons donc vu que le chaos apparaissait en dimension 3 pour les systèmes différentiels, en dimension 2 pour les systèmes discrets inversibles et en dimension 1 pour les systèmes non inversibles [20] ».
3) Exposé succinct
Après avoir vu quelques exemples de hasard créateur, exposons brièvement ce qu’est la chaologie. Un système gouverné par quelques équations simples (en l’occurrence à partir de trois) et dont on attendrait, intuitivement, un mouvement relativement régulier peut présenter un comportement désordonné, erratique, en un mot : chaotique. « L’acception scientifique du mot chaos est […] liée au déroulement erratique dans le temps de certains processus » et erratique signifie imprévisible. Le chaos appartient au genre des « phénomènes qui semblent défier toute prédiction ».
Le chaos peut naître dans des situations les plus simples. Partons de l’exemple suivant :
« Laissons tomber une bille d’acier sur la tranche d’une lame de rasoir. Si le centre de gravité de la bille est un tout petit peu à gauche de la lame, la bille rebondit sur la gauche de la lame, dans le cas contraire, elle rebondit sur la droite. Si nous recommençons l’expérience de nombreuses fois, et que nous laissons tomber la bille à partir de points légèrement différents (ils ne peuvent jamais être contrôlés avec une précision infinie), la trajectoire suivra des chemins très différents d’une fois sur l’autre ». Et l’auteur de commenter avec justesse : « Nous arrivons là à l’idée qui sous-tend tout le chaos déterministe : c’est, en termes techniques, la ‘sensibilité aux conditions initiales’ [21] ».
L’évènement peut bifurquer. Il demeure toutefois que ce chaos n’est pas purement arbitraire, puisque la trajectoire qu’il décrit est comme attirée, ordonnée par ce que l’on appelle justement un attracteur (par exemple l’attracteur de Lorenz ou étrange pour les espaces de phase à trois dimensions).
Deux notions clés sont nécessaires pour comprendre et exposer le processus du chaos : la sensibilité ou mieux, la dépendance sensitive aux conditions initiales (la dsci) ; les attracteurs étranges.
a) La sensibilité aux conditions initiales
Les exemples sont multiples. J’en ai déjà donné un certain nombre. En voici quelques autres :
1’) Historique
a’) Rôle d’Henri Poincaré
C’est un fait bien connu, dans une brève étude consacrée au hasard, le grand mathématicien français Henri Poincaré (1854-1912) avait bien vu l’évolution imprédictible de quantités de systèmes du fait de l’indétermination des conditions initiales.
« Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. Si nous vonnaissions eactement les lois de la nature et la situation de l’Univers à l’instant initial, nous pourrions prédire exactement la situation de ce même Univers à un instant quelconque. Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrions connaître la situation initiale qu’approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c’est tout ce qu’il nous faut, nous disons que le phénomène a été prévu, qu’il est régi par des lois ; mais il n’en est pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit [22] ».
Poincaré donne différents exemples de phénomènes sensibles aux conditions initiales. L’un est tiré de la météorologie (!) :
« Pourquoi les météorologistes ont-ils tant de peine à prédire le temps avec certitude ? Pourquoi les chutes de pluie, les tempêtes elles-mêms nous semblent-elles arriver au hasard, de sorte que bien des gens trouvent tout naturel de prier pour avoir la pluie ou le beau temps, alors qu’ils jugeraient ridicule de demander une éclipse par une prière ? Nous voyons que les grandes perturbations se produisent généralement dans les régions ou l’atmosphère est en équilibre instable. Les météorologistes voient bien que cet équilibre est instable, qu’un cyclone va naître quelque part ; mais où ? ils osnt hors d’état de le dire ; un dixième de degré en plus ou en en moins en un point quelconque, le cyclone éclate ici et non pas là, et il étend ses ravages sur des contrées qu’il aurait épargnées. Si on avait connu ce dixième de degré, on aurait pu le savoir d’avance, mais les observations n’étaient ni assez serrées, ni assez précises, et c’est pour cela que tout semble dû à l’intervention du hasard. Ici encore nous retrouvons des effets considérables, qui sont quelquefois d’épouvantables désastres [23] ».
Une autre illustration est empruntée à la théorie cinétique des gaz :
« Comment devons-nous nous représenter un récipient rempli de gaz ? D’innombrables molécules, animées de grandes vitesses, sillonnnent ce récipient dans tous les sens ; à chaque instant, elles choquent les parois, ou bien elles se choquent entre elles ; et ces chocs ont lieu dans les conditions les plus diverses. Ce qui nous frappe surtout ici, ce n’est pas la petitesse des causes, c’est leur complexité. Et cependant, le premier élément se retrouve encore ici et joue un rôle important. SI une molécule était déviée vers la gauche ou la droite de sa trajectoire, d’une quantité très petite, comparable au rayon d’action des molécules gazeuses, elle éviterait un choc, ou elle le subirait dans des conditions différentes et cela ferait varier, peut-être de 90° ou de 180°, la direction de sa vitesse après le choc. Et ce n’est pas tout, il suffit, nous venons de le voir, de dévier la molécule avant le choc d’une quantité infiniment petite, pour qu’elle soit déviée, après le choc, d’une quantité finie [24] ».
Un dernier exemple sera tiré de la biologie :
« Le plus grand hasard est la naissance d’un homme. Ce n’est que par hasard que ce sont rencontrées deux cellules génitales, de sexe différent, qui contenaient précisément, chacune de son côté, les éléments mystérieux dont la réaction mutuelle devait produire le génie. On tombera d’accord que ces éléments doivent être rares et que leur rencontre est encore plus rare. Qu’il aurait fallu peu de chose pour dévier de sa route le spermatozoïde qui les portait ; il aurait suffi de le dévier d’un dixième de millimètre et Napoléon ne naissait pas et les destinées d’un continent étaient changées. Nul exemple ne peut mieux faire comprendre les véritables caractères du hasard [25] ».
b’) Rôle de Hadamard
On ignore par contre parfois que, déjà, auparavant, un autre mathématicien français, Jacques Hadamard (1865-1963), l’avait constaté dans son domaine [26]. Il y remarque explicitement que, s’il y a une quelconque erreur sur la condition initiale, le comportement à long terme du système ne peut être prédit. Précisément, Hadamard étudie les géodésiques : une géodésique est, sur une surface quelconque mais assez régulière, une courbe C qui généralise à cette surface la notion de droit du plan euclidien. Une géodésique présente la propriété suivante : pour deux points a et b voisins quelconques, l’arc de la courbe C reliant a à b la la plus petite longueur parmi tous les arcs de courbes d’extrémités a et b tracés sur la surface. Les géodésiques d’une sphère sont donc les grands cercles, les méridiens. Or, étudiant un certain type de géodésique qu’il appelle en termes imagés le « front de taureau », Hadamard constata qu’elle présente des éminences s’étendant à l’infini (les cornes et les oreilles du taureau) et des cols (le front du taureau), de sorte qu’une géodésique issue d’un point situé sur le col restera à distance finie de l’origine, alors qu’une autre, initialement très proche, ira vers l’infini. C’est donc que des géodésiques issues de points très voisins peuvent présenter des comportements très différents.
Pierre Duhem a généralisé les conclusions d’Hadamard. Dans un paragraphe intitulé « Exemple de déduction mathématique à tout jamais inutilisable », Duhem constate la portée philosophique de la remarque d’Hadamart et montre que certains prédictions à long terme sont vouées à l’échec du fait de la dépendance sensitive à l’égard des conditions initiales.
« On aura beau augmenter la précision avec laquelle sont déterminées les données pratiques, […] jamais la géodésique qui demeure à distance finie en tournant sans cesse autour de la corne droite ne pourra être débarrassée de ces compagnes infidèles qui, après avoir tourné comme elle autour de la corne, s’écarteront indéfiniment […]. Si donc un point matériel est lancé sur la surface étudiée à partir d’une position géométriquement donnée, avec une vitesse géométriquement donnée, la déduction mathématique peut déterminer la trajectorie de ce point et dire si cette trajectoire s’éloigne ou non à l’infini. Mais, pour le physicien, cette déduction est à jamais inutilisable. Lorsqu’en effet les données ne sont plus connues géométriquement, mais sont déterminées par des procédés physiques, si précis qu’on les suppose, la question posée demeure et demeurera toujours sans réponse [27] ».
c’) Sens de cette histoire
Quel sens donner à cette histoire contrariée et constrastée d’une doctrine si importante ?
D’abord, nous avons ici un exemple typique d’évolution complexe ; l’histoire des idées est tout sauf linéaire. La thèse progressiste, révolutionnaire est idéologique, a priori, autant que la thèse régressive, réactionnaire (à la Heidegger). Il est incontestable que certains chercheurs ont été en avance sur le temps, pas seulement de quelques années, mais de plus d’un demi-siècle : c’est le cas d’un Poincaré. La notion d’idées qui sont dans l’air du temps est donc aussi à utiliser avec modération. Il y a toutefois une explication circonstantielle que rend bien Ruelle :
« Ces idées sont venues trop tôt, les moyens de les exploiter n’existaient pas. Poincaré [mais aussi Hadamard et Duhem] n’avait pas à sa disposition ces outils mathématiuqes de base que sont la théorie de la mesure ou la théorie ergodique et ne pouvait donc pas exprimer ces brillantes idées intuitives dans un langage précis [28] ».
Par ailleurs, que tant de chercheurs différents, dans leur temps et leur formation ait formulé cette notion de dsci montre que la notion est proche de la philosophie, par son universalité et sa profondeur.
2’) Exposé
La dsci se définit intuitivement comme la propriété d’un système qui évolue de manière cruciale, imprévisible, et divergente, dès son point de départ. Mais il est possible de donner une définition plus rigoureuse, mathématique. On dira alors qu’un système dépend sensitivement de ses conditions initiales si les trajectoires initiales proches s’écartent les unes des autres exponentiellement au cours du temps. Cette définition est aisément formalisable. Soit un système régi par une équation différentielle du premier ordre dx(t)/ dt = F (x(t)). x(t) paramétrise l’état du système à l’instant t. Le système est à un état donné au point de départ t = O. Puis le système va évoluer au cours du temps. Le paramètre esttrès précisément la valeur de l’écart dx (t). Si cette valeur est faible, voire tend vers zéro, le système est stable, il n’est pas sensible aux conditions initiales. En revanche, si l’écart dx (t) s’accroit et si cette augmentation s’effectue non pas linéairement, mais exponentiellement, c’est-à-dire si les deux trajectories du système s’éloignent rapidement l’une de l’autre, le système sera dit sensible aux conditions initiales.
Voici une étonnante confirmation. Venant de décrire l’explosion du coton fulminant, James Clarke Maxwell constate de manière plus générale, à propos de l’importance des points singuliers :
« Dans tous les cas de ce genre […], le système possède une quantité d’énergie potentielle qui peut être transformée en mouvement, mais ne peut commencer à l’être que lorsque le système a atteint une certaine configuration, ce qui nécessite une dépense de travail qui peut être infinitésimale et est en général sans commune mesure avec l’énergie qu’elle permet de libérer. Ainsi, le rocher détaché par le gel et en équilibre sur un point singulier du flanc de la montagne, la petite étincelle qui embrase l’immense forêt, le petit mot qui met le monde en guerre, le petit scrupule qui empêche l’homme de faire ce qu’il veut, le petit spore qui gâte les pommes de terre, la petite gemmule qui fait de nous des philosophes ou des idiots [29] ».
Et de généraliser (mais ce point nous intéresse moins) : « Chaque existence à partir d’un certain niveau a ses points singuliers : plus élevé le niveau, plus nombreux les points ».
3’) Fondements de la dsci
Ces théories se fondent sur deux données qu’il importe de discerner :
- On ne peut jamais déterminer jusqu’au bout les paramètres de départ. « Toute l’information est disponible ; le problème est que l’on ne peut pas l’engranger tout entière ». Autrement dit, « on peut mesurer une position et une vitesse avec autant de décimales que l’on veut : il manquera toujours des décimales poru définir la postion et la vitesse exactes. L’écart minime entre les données mesurées et les données exactes s’amplifiera et aboutira à un écart important entre le résultat prédit et le résultat observé. Le système apparaît comme déterministe, mais n’en est pas moins imprévisible à long terme [30] ».
On pourrait ajouter à cela ce que le théorème de Gödel nous a enseigné de l’impossibilité d’une connaissance exhaustive d’un système qui puisse nombrer l’arithmétique, c’est-à-dire qui parle de l’infini.
- Partant des coordonnées de départ, l’évolution est imprévisible. Ce qui ruine même les espoirs déterministes dont Maxwell pouvait se nourrir en 1873 : « C’est une doctrine métaphysique que les mêmes antécédents produisent toujours les mêmes conséquents. Nul ne saurait le contredire. Mais ce n’est que peu d’utilité dans un monde tel que celui-ci, où les mêmes antécédents ne se retrouvent jamais, et où rien ne se reproduit jamais deux fois [31] ».
Et Ekeland d’en donner deux exemples stupéfiants : « Nous sommes par exemple dans une salle de billard et nous regardons la partie. Un des joueurs est en train de calculer son coup pour un carambolage. Il néglige bien entendu la perturbation que le champ gravitationnel des spectateurs, et le mien en particulier, apportera au mouvement des billes. En fait, il a raison, mais pas de beaucoup. Le calcul montre que la perturbation apportée par la présence d’un spectateur au bord de la table est effectivement négligeable s’il n’y a que deux chocs, mais deviendrait importante s’il y en avait neuf ! » Second exemple : « chacun sait que l’agitation thermique d’un gaz peut être considérée comme une partie de billard à trois dimensions et un nombre colossal de billes. Si on lui applique le même calcul, on s’aperçoit qu’un électron situé aux confins de l’univers connu, soit 1010 années-lumières, fait sentir son influence dès le cinquante-sixième choc ! Tout cela dans le cadre déterministe de la physique newtonienne, sans faire appel au principe d’incertitude de la mécanique quantique [32] ». Ce deuxième point est différent du premier.
Voici un autre exemple donné par Ruelle : il s’intéresse à un « démon fictif qui voudrait mettre son grain de sel dans nos affaires, par des ajustements imperceptibles de l’Univers ». Il est aisé de changer la structure microscopique d’un gaz ; comment aboutir à des modifications macroscopiques et repérables ? Il faut s’aider de la turbulence : « selon une estimation faite en utilisant des idées standard sur la turbulence, il faut environ une minute pour que des fluctuations microscopiques soient tansformées en changements macroscopiques dans le genre de turbulence qui se produit au-dessus d’un radiateur chaud ». Or, « il faut un jour pour que des changements sur des distances de l’ordre du centimètre soiet transformés en changements de l’ordre de dix kilomètres [33] ». Un jour suffit donc à créer un orage local. Combien de temps mettra le démon pour passer à la dimension de la planète Terre ? Environ 1 ou 2 semaines, pensent les spécialistes… Cela fait rêver ou cauchemarder…
Or, chacun de ces deux points me parle de la puissance de la matière. Le premier se fonde sur la puissance de la matière. En effet, le vieil Aristote disait que la matière était divisible à l’infini. Il y voyait même le signe de la potentialité de la matière, et il se fonde d’ailleurs sur cette divisibilité pour établir la preuve du premier Moteur. Le second se fonde sur l’ordination de la puissance à la forme. Mais cette ordination n’est pas univoque, elle est pour une part indéterminée, du fait que la forme ne contracte pas toutes les capacités du principe matériel. Aussi, la matière demeure-t-elle puissance à des changements contraires.
On le voit, nul besoin de faire appel au principe d’indétermination pour introduire une part d’indétermination.
b) Les attracteurs étranges
2’) Nature
En fait, un comportement chaotique répond à un autre critère : la dépendance ne concerne pas seulement une ou quelques conditions de départ, mais tout un ensemble continu de conditions initiales, cette région portant le nom – à clarifier – d’attracteur étrange.
Prenons d’abord un contre-exemple. Si l’on réussissons à faire tenir un crayon en équilibre sur sa pointe (ou une bille placée exactement au sommet d’un col avec une vitesse rigoureusement nulle), nous savons que l’évolution du système sera très sensible aux conditions initiales et qu’un très minime changement de poussée pourra le faire évoluer en deux directions radicalement divergentes, commendera deux comportements radicalement différents : on peut par exemple imaginer que la bille, d’un côté déclenche la mise à feu d’une bombe atomique et de l’autre le départ d’un navire, une rencontre pour la paix. Un tel système est bien évidemment en dsci. Pour autant, on ne peut le dire chaotique, car ce comportement imprévisible et divergent ne vaut que pour quelques valeurs isolées et exceptionnelles de ses paramètres.
Intuitivement, un attracteur représente une courbe plus ou moins complexe d’évolution du système sensible aux conditions initiales.
2’) Exemples
Le plus simple et très connu attracteur « fer à cheval ». Celui-ci se construit par
« itération indéfinie d’une application du plan sur lui-même. Cette application, imaginée à l’origine par le mathématicien Stephen Smale, transforme un carré au cours de deux opérations successives. Dans un premier temps, le carré est étiré dans la direction parallèle à un de ses côtés (par exemple suivant l’horizontale) et contracté dans la direction perpendiculaire (la verticlae). L’étirement et la contraction sont effectuées dans des proportions telles que l’aide du transformé du carré (en l’occurrence un rectangle) soit inférieure à celle du carré initial. Dans un second temps, le rectangle est replié sur lui-même de façon à former une sorte de ‘fer à cheval’. On inscrit ce fer à cheval dans le carré initial, et on répète l’opération indéfiniment [34] ».
Résultat : on obtient ainsi une structure feuilletée d’une extrême complexité dont on peut démontre que sa section verticale est un ensemble de Cantor de dimension fractionnaire. Or, celle-ci fait partie de la définition d’un objet fractal. Par ailleurs, cette structure présente deux caractéristiques : toutes les trajectoires, c’est-à-dire les itérés de la transformation subie par le carré convergent vers ce fer à cheval ; d’autre part, les itérés successifs de deux points très voisins situés divergent rapidement, présentent des destins très différents. C’est donc que cette structure en fer à cheval est typiquement un attracteur étrange. Sa simplicité idéale permet de comprendre la définition de cleui-ci.
Il demeure que cet exemple est un modèle théorique sans équivalent dans la réalité. Il y a un autre attracteur étrange encore plus célèbre, et surtout plus concret : l’attracteur de Lorenz. Celui-ci, nous l’avons vu, est un météorologiste. Se fondant sur les équations de la mécanique des fluides, il tentait de déterminer l’état futur des conditions atmosphériques. Pour cela, il forma un système de trois équations différentielles du premier ordre selon trois variables, x, y, z, caractérisant l’état du système. Mais nous savons qu’un tel système n’est pas linéaire et ne peut donc pas être résolu par des procédures canoniques. Lorenz imagine alors de procéder par itérations successives et d’ainsi calculé les était du système à l’instant t, puis t + 1, et ainsi de suite. Alors, à sa grande surprise, il se rendit compte que le triplet (x, y, z) prenait, au cours du temps des valeurs totalement aléatoires et imprévisibles, ne convergeant ni vers un état stationnaire, ni vers un état périodique. Le comportement était proprement chaotique. Par exemple, avec le triplet initial (0, 0, 0), il avait obtenu les itérés suivants : (4, 12, 0) ; (9, 20, 0) ; (16, 36, 2) ; (30, 66, 7) ; (54, 115, 24) ; (93, 192, 74) ; (150, 268, 201) ; (195, 234, 397) ; (174, 79, 483) ; […] (88, 79, 286). [35] Les nombres semblent donc fluctuer sans raison. C’est à partir de là que Lorenz en est venu à parler d’effet papillon [36] : on lui doit cette autre trouvaille. En tout cas, il en a déduit que toute prévision en météorologie est impossible. Malheureusement, les travaux de Lorenz passèrent inaperçus : ce sont les chaologues qui les ont redécouverts.
Or, il se trouve que le comportement erratique des paramètres de Lorenz répondent à la présence d’un attracteur étrange. Précisément, les courbes intégrales (tracées par informatique) décrites par ces valeurs paramétriques décrivent des boucles qui s’enroulent indéfiniment autour de deux points fixes instables et présentent une structure feuilletée demeure très complexe. Donc, d’une part, ces points attirent toutes les trajectoires. D’autre part, ces courbes demeurent étranges, parce que deux courbes intégarles issues de deux points voisins décrivent des trajectoires très différentes. [37]
2’) Interprétation
Le terme d’attracteur étrange est, de prime abord, un oxymore, surtout si on l’associe à système chaotique : en effet, un tel système est divergent dans ses évolutions alors que l’attraction dit convergence des trajectoires. En réalité, David Ruelle a montré qu’un ensemble attractant assez complexe d’une part borne le système dans une région donnée de l’espace, d’autre part autorise des trajectoires très rapidement divergentes au voisinage d’un même point.
Traduisons en langage philosophique, aristotélicien. En fait, l’attracteur étrange, comme le système chaotique (ne parle-t-on pas de chaos déterministe ?) présente une bipolarité révélatrice de la structure du réel ? La divergence, la dsci me dit la contingence, la puissance des contraires propre à la matière, et cela contre le déterminisme mécaniste des siècles passés ; en revanche, l’attraction, le confinement non seulement dans un espace donné, mais sa modélisation selon des courbes certes complexes, mais formalisables, me dit un ordre, donc une forme et une finalité, et cela contre la tendance indéterministe anarchique qui tente certains actuels philosophes de la nature. L’attracteur étrange est attracteur en tant qu’il exprime la tendance vers une fin et une forme mathématiquement définissable sinon définie, mais il demeure étrange en tant qu’il respecte et exprime la puissance exubérante et toujours imprévisible de la matière.
c) Les degrés de liberté
Le nombre minimal de degrés de liberté nécessaires à l’apparition d’un mouvement chaotique se démontre à partir de considérations topologiques relatives aux trajectoires dynamiques dans l’espace des phases (ou espace dont les coordonnées sont les variables dynamiques indépendantes du système). Cette trajectoire est constituée par les points correspondant aux valeurs prises par les variables à chaque instant : un pendule forme par exemple une boucle fermée. Pourquoi seulement trois degrés de liberté ?
« La propriété de sensibilité aux conditions initiales se traduit par la divergence des trajetoires dans l’espace des phases. Or, dans un espace à deux dimensions, cette divergence entraînerait soit l’extension des trajectoires à l’infini, soit leur recoupement (ce qui ne peut avoir lieu, dans le premier cas, parce que les valeurs prises par les variables restent bornées, et, dans le second cas, parce que la nature déterministe du phénomène interdit que les trajectoires se croisent). Il faut donc au minimum un espace de variable à trois dimensions pour que les trajectoires puissent diverger sans exploser à l’infini ou se couper. Assimilant le nombre de variables indépendantes à celui du nombre de degrés de liberté, on arrive à la conclusion qu’un système dynamique non linéaire ayant au minimum trois degrés de liberté peut devenir chaotique [38] ».
Le plus simple exemple est celui d’un pendule ou d’un oscillateur soumis à un champ périodique extérieur, donc à un troisième degré de liberté ; or, son évolution est parfois désordonnée.
Une éloquente illustration de limite au déterminisme classique est le fameux problème dit des trois corps posé par Henri Poincaré.
« Étant donné trois points matériels, dont les positions et les vitesse sont connues et qui s’attirent suivant la loi de Newton, il s’agit de calculer leur position à un instant donné du futur (ou du passé). On voudrait une formule mathématique, dépendant du temps t et des conditions initiales ; la configuration cherchée devra s’en déduire en donnant à la variable t la valeur qui nous intéresse. C’est ainsi que la formule x = sin t détermine complètement x en fonction de t […].
« C’est une dépendance de ce type, notée x = f(t), que nous voudrions, un peu compliquée par le fait qu’il faut neuf nombres au lieu d’un seul pour décrire les positions de trois points dans l’espace. Une solution complète du problème des trois corps serait donc constituée de neuf relations […] permettant de calculer les positions à chaque instant du temps par simple substitution.
« Poincaré a démontré qu’une telle solution n’existait pas [39] ».
d) Conséquence : l’effet papillon
À sa manière, Aristote remarquait déjà au début de son traité du Ciel qu’une petite erreur sur les principes, au point de départ engendre une grande erreur dans les conclusions, au point d’arrivée.
Un auteur propose d’appeler effet coquille Saint-Jacques ce que l’on appelle classiquement effet papillon : la minuscule perturbation qu’est la fermeture d’une coquille Saint-Jacques pourrait engendrer une modification ultérieure considérable [40].
Un certain nombre de films ou de romans, sans parler de la publicité [41], ont voulu montrer qu’une petite bifurcation suffit à tout faire basculer, de Cris et chuchotements, d’Ingmar Bergman [42] aux deux films conjugués d’Alain Resnais Smoking-No smoking [43], en passant par le roman sulfureux, Le bûcher des vanités, réalisé au cinéma par Francis Ford Coppola.
Voici un autre exemple de système chaotique humain, sensible aux conditions initiales. Lorsque Nelson Mandela fut libéré de sa prison par Frédéric de Clerck, il fit un discours le 12 février, à Johannesburg, devant des centaines de milliers de Noirs en liesse. Il fit en substance le discours suivant : « J’ai passé vingt-cinq ans de ma vie en prison à lutter contre la domination des Blancs sur les Noirs ». Aussitôt éclatent applaudissements, ovations, danses. Mandela continue : « Maintenant, je passerai le restant de ma vie à lutter contre la domination des Noirs par les Blancs ». Il se fit alors un profond silence. Puis, de même, concert d’ovation.
Il faut mesurer le basculement, la portée de l’événement. D’abord, dans le discours de Mandela : il aurait pu opter pour la vengeance, il aurait été suivi comme un seul homme, par les Noirs qui sont une majorité. Ensuite, dans la réaction noire au discours, à la proposition de Mandela : ils auraient pu opter pour le lynchage ; certes, Mandela faisait figure d’idole, certes, ceux de son parti faisaient la claque ; il n’empêche que la violence était suffisamment accumulée depuis assez de temps dans les cœurs, pour que se produise en Afrique du Sud ce qui eut lieu à Tahiti, lorsque les esclaves furent libérés, il y a deux siècles : tous les Blancs ont été massacrés.
Surtout, dans les deux cas, nous avions affaire à une situation sensible aux conditions initiales dont l’évolution ultérieure est nettement divergente. Mais tout système SCI est aussi régi par des lois qui le précèdent et qu’il ne crée pas, et si l’homme peut s’adonner à la violence autant qu’au pardon, c’est qu’il est être de pulsion mais aussi être d’esprit.
En Afrique du Sud, tout le monde imaginait qu’il se déroulerait l’un des deux scénarios suivants :
– ou la majorité noire écraserait les Blancs.
– ou le pays serait mis en tutelle par l’ONU, comme il s’est passé dans l’ex-Yougoslavie : il aurait fallu la présence en permanence de centaines de milliers de casques bleus.
Or, il s’est passé l’imprévisible, ce qu’aucun observateur n’avait même espéré. Le troisième scénario est le commencement d’un chemin de réconciliation. Il est le fruit du long chemin de Mandela. Elevé chrétiennement, il s’est laissé marxiser par l’ANC. Dans sa prison, il a retrouvé la foi. Il le raconte dans son ouvrage [44]. Alors que le gouvernement disait que l’ANC (les Noirs) était communiste et se refusait donc au dialogue, alors que l’ANC disait que le gouvernement (les Blancs) était fasciste et de même se dérobait à tout discussion. Mandela a dit : « Quelqu’un doit faire le premier pas ». Plus encore, cette démarche intérieure est devenue une démarche juridique. Ce qui n’empêche nullement que s’est constituée une commission sur la vérité des 37 années d’apartheid.
En tout cas, par l’intervention d’une liberté créatrice, nous voyons comment peut s’opérer une évolution imprévisible, chaotique.
C’est le seul exemple de mécanisme juridique, institutionnel qui propose le pardon dans sa démarche. Peut-être le seul autre exemple est-il Vaclav Havel qui, en 1989 et 1990, a demandé qu’une commission étudie la question des Sudètes en 1938-1946.
4) Élargissement [45]
Selon la thermodynamique du non-équilibre, « un système non isolé, que ses relations avec l’extérieur maintiennent loin de l’équilibre, peut se comporter de façon très diverse, avec en particulier la possibilité d’apparition spontanée d’un ordre macroscopique par lequel le système se comporte comme un tout organisé [46] ». Or, l’astrophysicien canadien bien connu Hubert Reeves étend ce modèle à l’ensemble de l’univers [47] et le mathématicien Archambault étend ce paradigme à tout le réel.
Le premier philosophe à avoir eu l’intuition de ce concept est… un présocratique, Héraclite. On ne trouve pas chez lui la phrase que Jacques Monod place en exergue de son bestseller Le hasard et la nécessité, mais on peut par contre y lire : « Des choses répandue au hasard, le plus bel ordre, l’ordre-du-monde [48] ». Marcel Conche commente dans la perspective de l’Éphésien : « Le fragment affirme les droits, dans le monde, du désordre et du hasard. Ce qui ne serait pas conforme à l’inspiration héraclitéenne serait que l’ordre du monde fût exclusif du désordre, et non pas un avec son contraire [49] ». Le hasard n’est jamais seul, mais il n’est jamais non plus exclu. Les deux – ordre et désordre – concourent à l’unité du monde, constituent la totalité.
o) Historique
Rappelons l’historique : en juin 1981 eut lieu au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle un colloque consacré à l’auto-organisation [50]. Ce colloque interdisciplinaire soutenu par le CNRS rassemblait des chercheurs de premier plan.
Les débats eurent un retentissement immédiat et suscita la mise en chantier d’un Centre de Recherche sur l’épistémologie et l’autonomie (plus connu sous le sigle CREA, Laboratoire de l’Ecole polytechnique et unité associé au CNRS que dirige actuellement Jean-Pierre Dupuy). La question s’internationalisa aussi, pusqu’il y eut en septembre 1981, à l’université de Stanford, en Californie, un colloque international sur le thème Disorder and Order. Il rassemblait, outre le noyau du colloque de Cerisy, les deux prix Nobel, Arrow et Prigogine, Serres, Watzlawick, Winograd.
Bref, un nouveau concept naissait, ce que Kuhn appellerait un nouveau paradigme. On entend des slogans novateurs : « L’ordre à partir du bruit », selon le mot de Henri Atlan, « la complexité à partir du désordre », etc. L’origine semble bien être Prigogine et sa notion de structure dissipative qu’il explique ainsi : « près de l’équilibre, les lois de la nature sont universelles ; loin de l’équilibre, elles sont spécifiques. Ces ‘instabilités’ exigent un flux d’énergie, elles dissipent de l’énergie. D’où le nom de ‘structures dissipatives que j’ai donné à ces instabilités aujourd’hui étudiées dans de nombreux laboratoires [51] ».
a) Le diagnostic
1’) Thèse
Nombre de philosophies actuelles qui, dans la suivance de Nietzsche (et peut-être plus profondément, du néoplatonisme et son attrait pour ce néant qui est au-delà de l’être) sont séduits par le désordre, la dissémination du multiple. La philosophie élaborée par Deleuze et Guattari pourrait être sous-titrée : l’être et le chaos. « Nous demandons seulement un peu d’ordre pour nous protéger du chaos. Rien n’est plus douloureux, plus angoissant qu’une pensée qui s’échappe à elle-même, des idées qui fuient, qui disparaissent à peine ébauchées, déjà rongées par l’oubli ou précipitées dans d’autres que nous ne maîtrisons pas davantage [52] ».
2’) Exposé général
En effet, la réalité est chaos : c’est la donnée première dont il convient non pas de sortir, mais de maîtriser, ou plutôt d’apprivoiser. Avec un accent très héraclitéen, les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari décrivent le réel comme fuite irrépressible. « Nous perdons sans cesse nos idées ». Ils en déduisent une volonté subjective de s’arrêter : « C’est pourquoi nous voulons tant nous accrocher des opinions arrêtées ». Or, cette volonté n’est pas qu’intramentale : « Il n’y aurait pas un peur d’ordre dans les idées s’il n’y en avait pas aussi dans les choses ou état de choses, comme un anti-chaos objectif [53] ».
Plus profondément, le fond du réel est l’infinité. La catégorie et d’une importance capitale pour penser le chaos et le multiple [54]. « La pensée revendique ‘seulement’ le mouvement qui peut être porté à l’infini. Ce que la pensée revendique en droit, ce qu’elle sélectionne, c’est le mouvement infini ou le mouvement de l’infini ». Or, « ce qui est en mouvement, c’est l’horizon même : l’horizon relatif s’éloigne quand le sujet avance, mais l’horizon absolu, nous y sommes toujours et déjà, sur le plan d’immanence ».
3’) Exposé détaillé
L’auteur le manifeste dans les trois grands domaines, irréductibles qui se répartissent, pour lui, le champ de l’activité humaine : philosophie, science et art.
« La lutte avec le chaos que Cézanne et Klee ont montré en acte dans la peinture, au cœur de la peinture, se retrouve d’une autre façon dans la science, dans la philosophie [55] ». Et cette victoire consiste toujours à « vaincre le chaos par un plan sécant qui le traverse [56] ».
Parcourons-les.
a’) Philosophie
Deux exemples parmi beaucoup :
« La pensée philosophique ne rassemble pas ses concepts dans l’amitié sans être encore traversée d’une fissure qui les reconduit à la haine ou les disperse dans le chaos coexistant, où il faut les reprendre, les rechercher, faire un saut [57] ».
« Il n’y a pas de concept simple. Tout concept a des composantes, et se définit en elles. Il a donc une chiffre. C’est une multiplicité [58] ».
b’) Sciences naturelles
C’est la thèse d’Ilya Prigogine. À la question : « L’aléatoire est-il vraiment constitutif du réel ? » Il répond : « Qu’est-ce que le réel en son essence ? C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Ce que je veux souligner, c’est que les modèles théoriques auxquels nous aboutissons aujourd’hui nous permettent de prédire seulement le comportement moyen et qu’ils contiennent une composante aléatoire irréductible ». Prigogine va plus loin : le hasard existe au niveau microscopique (du mouvement brownien au principe d’indétermination) ; mais « ce qui est neuf, c’est le fait qu’il surgisse à présent en force à l’échelle macroscopique ». Aussi, le chimiste affirme que « l’aléatoire devient constitutif du réel. Et de donner un signe : « il est difficile d’admettre que la diversité des espèces vivantes était préprogrammée aux origines de l’univers. Il est plus naturel de considérer cette diversité comme le résultat de processus contenant une part d’aléatoire [59] ». Ainsi donc, il est possible que du bruit naisse de la complexité.
Cette infinité multipliée vaut aussi pour les sciences, même pour les mathématiques. Voici par exemple ce que dit Evariste Galois que les auteurs aiment citer : « indiquer la marche des calculs et prévoir les résultats sans jamais pouvoir les effectuer [60] ». Ainsi, commentent Deleuze-Guattari, la science, comme la philosophie se déterminent « par ce qu’on ne sait pas [61] ».
c’) Sciences sociales
Voici deux illustrations de cette thèse en philosophie socio-politique : la mode et l’éthique que Gilles Lipovetsky analyse historiquement [62]. Dans une perspective sociologique, l’auteur dresse un tableau de notre société en son aspect social, et se veut finalement optimiste. Très bien informé, bourré de chiffres, d’anecdotes. Ces ouvrages sont des mines factuelles et bibliographiques. Lipovetsky constate très justement que notre époque n’est pas un dépotoir de la morale, qu’elle laisse sa place à une autre morale. Par exemple, l’idole sport connaît sa croisade : la lutte antidopage [63]. Les valeurs existent bien toujours, à commencer par la tolérance qui tient la seconde place parmi les vertus, 1 personne sur 2 la mentionnant parmi les cinq vertus primordiales [64].
La perspective de l’auteur est sociologique, mais les conclusions sont moralisantes. Au fond, il est favorable à l’individualisme, à l’autonomie comme valeur première.
« Dans sa forme radicale, le procès postmoraliste désigne ce travail d’autonomisation de la sexualité par rapport à la morale, désormais Eros ne trouve plus sa légitimité dans le respect de règles idéales, affectives ou conventionnelles mais en lui-même, en tant qu’instrument du bonheur et de l’équilibre individuel [65] ».
« Loin d’être une fin en soi, la famille est devenue une prothèse individualiste, une institution où les droits et désirs subjectifs l’emportent sur les obligations catégoriques [66] ».
De même, il constate le pur éclatement des valeurs, et l’évalue positivement. « L’âge de l’après-devoir ne met pas fin aux débats éthique sur le sexe, il institue un univers morcelé, des perspectives et des évaluations antagonistes à partir du même sol de la liberté individualiste [67] ». Cette phrase résume assez bien la philosophie de notre auteur.
Et voilà où je voulais en venir : Lipovetsky estime finalement que l’anarchie relative des mouvements s’autolimite. Donnons-en quelques exemples. Certes, dans le sport, il y a un primat de l’individualisme narcissique, mais il s’autorégule. « Socialement, la dynamique individualiste ne vas pas jusqu’au bout de sa trajectoire centripète indifférente au bien d’autrui, des légitimités, également d’essence individualiste, sont réaffirmées qui viennent contrecarrer les droits outranciers à disposer de soi » et on retrouve le même schéma : « la période qui lamine le devoir transgresse sans cesse les limites mais autolimite dans la même foulée le mouvement de l’autonomie des sujets [68] ». De même dans le domaine religieux : « les croyances s’organisent davantage en fonction d’une quête de soi personnalisée mêlant, ici et là, traditions d’Orient et d’Occident, spiritualité et ésotérisme, absolu et santé holistique, méditation et relaxation, mystères et thérapies du corps [69] ». L’on constate un phénomène identique en démographie : « Les désirs individualistes livrés à eux seuls sont synonymes de ‘chaos organisateur’, non de ‘baby krach [70]‘ ». Mais pour le montrer, Lipovetsky a dû trafiquer – sans doute involontairement – l’interprétation des chiffres, les envisager de manière fallacieuse : il considère la croissance globale depuis 1945 (qui est de 40 %) et non pas la chute depuis quelques années ; il parle de 750 000 naissances par an, sans parler des décès, du vieillissement observé indéniable de la population. De même, l’évolution historique de la mode montre combien ce principe qui aurait pu être éclatement individualiste, anarchique peut générer un ordre nouveau.
Ainsi, le modèle spéculatif ou le paradigme informant notre auteur est le chaos organisateur, de l’order from noise. C’est celui à partir duquel il convient d’interpréter – en bonne part – la culture individualiste de nos sociétés occidentales. Il propose un modèle à type de « ruse de la raison » pour expliquer l’évolution de la mode dans nos sociétés démocratiques actuelles : « La ‘raison’ collective avance en effet par son contraire, le divertissement, l’autonomie des personnes se développe par le biais de l’hétéronomie de la séduction, la ‘sagesse’ des nations modernes s’agence dans la folie des engouements superficiels [71] ».
Mais dans son ouvrage suivant, Lipovetsky n’hésite plus : « le monde individualiste de l’après-devoir se révèle un chaos organisateur [72] ». « La consécration sociale dont bénéficie aujourd’hui la fidélité illustre d’une autre manière le procès auto-organisateur individualiste [73] ».
d’) Heuristique
Deux exemples typiques de création d’idées à partir d’un fond préparé par la méditation assidue :
François Jacob raconte que la découverte qui lui vaudra le prix Nobel lui est venue au cinéma :
« Je perçois confusément en moi des associations qui continuent à se former, des idées à cheminer. Tout un remue-ménage qui se poursuit sourdement, dont je ne songe pas même à maîtriser le déroulement […]. Sur l’écran des ombres s’agitent. Je ferme les yeux, attentif à ce qui se passe d’extraordinaire en moi […]. Les hypothèses encore grossièrement, encore mal esquissées, mal formulées se bousculent en moi [74] ».
Un second exemple est similaire :
« Des années durant, explique l’anthropologue Georges Dumézil, j’avais remué le dossier de la théologie zoroastrienne de l’Orient ancien. Immédiatement au-dessous du grand dieu figurent six personnages mystérieux, qui ne sont pas des dieux, mais des ‘premiers créés’ ou des ‘aspects’ d’Hahura-Mazda : des archanges, à leur manière. On les rapprochait traditionnellement des dieux souverains de l’Inde, mais la comparaison me semblait inadéquate. Cela ne collait pas, et je continuais à tourner et retourner le problème. Et puis, brusquement, un jour, me promenant dans un parc, je me suis senti saisi par la solution, à savoir que la hiérarchie de ces archanges n’est pas organisée à la manière des dieux souverains du Rigveda, mais à celle des dieux des trois fonctions. Des phrases, des formules, des définitions prenaient forme en moi tumultueusement, et pas seulement des définitions isolées : toute la démonstration dans son enchaînement logique. Bref, un véritable exposé complet et cohérent, que je n’aie eu qu’à développer dans mon livre Naissance d’archanges […]. D’un seul coup, la solution complète, l’expression de ce que je cherchais, s’est découverte comme si, au sortir de je ne sais quels méandres, la pensée s’était organisée discursivement, linéairement, précisant en quelques minutes quantité de points dans l’intuition première. C’était le résultat d’une sorte d’imprégnation : la matière du problème avait pénétré en moi et, comme un fœtus, s’y était façonnée, développée d’elle-même, à l’aide de ma matière à moi, le langage [75] ».
e’) Art
Il est passionnant de voir combien tous les arts, surtout contemporains, sont expression de ce multiple, de plans d’expression, gestion du chaos [76]. L’art « conjugue de toutes les façons ces deux éléments vivants : la Maison et l’Univers, le Heimlich et l’Unheimlich, le territoire et la déterritorialisation [77] », autrement dit, l’ordre et de chaos.
Gilles Deleuze et Félix Guattari insistent sur l’importance du décadrage tant en architecture, qu’au cinéma ou en musique, en littérature de même : si l’on prend l’exemple de Proust, « tout commence par des Maisons, dont chacune doit joindre ses pans, et faire tenir des composés, Combray, l’hôtel de Guermantes, le salon Verdurin, et les maisons se joignent elles-mêmes suivant des interfaces, mais un Cosmos planétaire est déjà là, visible au télescope, qui les ruine ou les transforme, et les absorbe dans un infini de l’aplat [78] ». De même, en musique Pierre Boulez [79] refuse la clôture, quelle qu’elle soit, cherche l’ouverture, le décadrage qui trace une transversale irréductible à la verticale harmonique comme à l’horizontale mélodique : il « entraîne des blocs sonores à l’individuation variable, mais » il conduit aussi à « les ouvrir et les fendre dans un espace-temps qui détermine leur densité et leur parcours sur le plan » d’immanence [80].
Prenons enfin l’exemple du cinéma. S’interrogeant sur le scénario et ses sources, Jean-Claude Carrière et Pascal Bonitzer ont une conception chaotique, darwinienne, de l’inventivité :
« Le travail sur un scénario obéit souvent à une série de vagues.
« Certaines sont des vagues d’exploration. On ouvre toutes les portes visibles et on cherche. On ne s’interdit aucun chemin, aucune impasse, aucune cave. L’imagination se met en chasse. Elle se laisse aller. Ca peut aller très loin, jusqu’à l’absurde, jusqu’au grotesque, jusqu’à l’oubli même du sujet.
« Après quoi vient une autre vague, qui opère en sens inverse. C’est le retrait, le retour au raisonnable. On revient au point de départ, à l’essentiel, à la fameuse question : Mais pourquoi écrivons-nous cette histoire-là, et non pas une autre ? Au fond, très simplement, qu’est-ce qui nous intéresse là-dedans ? […]
« En rebroussant chemin, nous abandonnons en route, évidemment, nombre de nos conquêtes mirifiques – mais pas forcément toutes. […] Nous revenons, comme pour un repos un peu triste, un peu frustrant, à nos préoccupations scolaires, aux éléments nécessaires de la construction, de la vraisemblance [81] ».
Nous retrouvons les deux temps darwiniens : mutation aléatoire (chaos) et de sélection (ici rationnelle et non pas naturelle). Mais toujours le hasard est premier. Sauf que l’ordre n’émerge pas de lui-même, il suppose une activité de la raison. Cependant, celle-ci se contente-t-il de limiter
On pense à la seconde topique freudienne : tout le pouvoir créatif est délégué au ça, le Surmoi devant se contenter de trier.
Cette logique chaotique ne travaille-t-elle pas des auteurs aussi divers que Lucrèce (la pluie incessante des atomes), Maître Eckhart (l’ebullitio), Bœhme (l’Urgrund), Victor Hugo (la « pluie noire » [82]).
b) Le traitement
1’) Dans l’art
Il consiste à établir un plan de mise en ordre. « L’art transforme la variabilité chaotique en variété chaoïde [83] ». « L’art prend un morceau de chaos dans un cadre, pour former un chaos composé qui devient sensible, ou dont il tire une sensation chaoïde en tant que variété [84]«
2’) Dans la science
La science, de même, « éprouve une profonde attirance pour le chaos qu’elle combat ». En effet, on le voit aujourd’hui avec les théories du chaos, elle s’en approche le plus possible : « la science se rapproche autant qu’elle peut des plus proches vagues » du chaos océanique, « en posant des rapports qui se conservent avec l’apparition et la disparition des variables (calcul différentiel) », donc en déterminant là encore un ordre.
Et de citer le philosophe Michel Serres qui est aussi un partisan de la théorie de order from noise : « il y aurait deux infra-conscients : le plus profond serait structuré comme un ensemble quelconque, pure multiplicité ou possibilité en général, mélange aléatoire de signes ; le moins profond serait recouvert des schémas combinatoires de cette multiplicité [85] ».
3’) Dans la philosophie
« La philosophie à son tour lutte avec le chaos comme abîme indifférencié ou océan de la dissemblance [86] ». Et cela grâce au concept qui n’est pas disparition, engloutissement du bruit dont il vient. Détaillons quelque peu. Il faudrait aussi parler du plan d’immanence et des personnages conceptuels. Mais nous ne pouvons pas tout dire.
Le concept est ce qui est propre à la démarche philosophique : « Le concept appartient à la philosophie et n’appartient qu’à elle [87] ». Or, le concept est « multiplicité » ; c’est « une surface ou un volume absolus, auto-référents, composés d’un certain nombre de variations intensives inséparables suivant un ordre de voisinage, et parcourus par un point en état de survol. Le concept est le contour, la configuration, la constellation d’un événement à venir [88] ». Même l’un des concepts « les plus connus », le cogito cartésien, n’est pas plus absolu, pas plus dénué de présupposés que les autres. « les concepts cartésiens ne peuvent être évalués qu’en fonction des problèmes auxquels ils répondent et du plan sur lequel ils se passent [89] ».
Un signe en est que « le philosophe a fort peu le goût de discuter ». Pourquoi ? La réponse du pur perspectivisme présente un tropisme sceptique :
« Les discussions, le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne feraient pas avancer le travail, puisque les interlocuteurs ne parlent jamais de la même chose. […] quand un philosophe en critique un autre, c’est à partir de problèmes et sur un plan qui n’étaient pas ceux de l’autre, et qui font fondre les anciens concepts comme on peut fondre un canon pour en tirer de nouvelles armes [90] ».
Mais, par les concepts, « les blocs conceptuels », les variations « cessent alors d’être associables suivant les caprices de l’imagination [91] ».
« Un concept est un ensemble de variations inséparables qui se produit ou se construit sur un plan d’immanence en tant que celui-ci recoupe la variabilité chaotique et lui donne de la consistance (réalité). Un concept est donc un état chaoïde par excellence ; il renvoie à un chaos rendu consistant, devenu Pensée, chaosmos mental. Et que serait penser s’il ne se mesurait sans cesse au chaos [92] ? »
4’) Solution
Le remède commun à ces trois filles, irréductibles l’une à l’autre, du chaos que sont l’art, la science et la philosophie, « c’est le cerveau [93] ». Deleuze et Guattari développe une théorie du cerveau qui pense et devient sujet. On retrouve l’un des dadas du Nietzsche qui sommeille en eux : se refusant à toute « transcendance », à toute « dimension supplémentaire », ils identifient l’homme à son cerveau : « On parlera du cerveau comme Cézanne du paysage : l’homme absent, mais tout entier dans le cerveau [94] ».
5) Interprétation philosophique
a) Les risques
1’) L’ordre précède toujours le désordre
« Lorsque le bruit engendre l’ordre, c’est qu’il a été introduit dans une structure ordonnée d’une façon ou d’une autre. […] Le bruit n’est pas créateur d’ordre mais c’est un excellent révélateur de structures. Si l’ordre peut être ainsi engendré par le bruit, c’est par le biais d’une structure déjà présente, bien que peu visible. Le bruit n’en a pas moins un rôle déclenchant très important dans l’émergence de l’ordre, ce que l’on appelle ‘auto-organisation’ ou ‘autopoïèse’ [95] ».
Autrement dit, le bruit, la fluctuation joue le même rôle que le hasard, que la rencontre accidentelle. Mais il faut voir que toujours l’ordre, la régularité d’une loi le précède. Or, cette constation invite à se poser une question, sans doute philosophique, mais décisive, et que Michel Delsol laisse sans réponse : d’où viennent ces lois ? Quelle est l’origine de l’ordre ?
C’est ce que confirme une analyse de Popper dans Objective Knowledge [96]. Le philosophe y distingue deux sortes de conceptions de monde, eu égard au statut du hasard. D’un côté il y a les horloges, « systèmes physiques réguliers, ordonnés, et dans lesquels un déterminisme quasi-absolu peut être observé ». De l’autre côté, il y a les nuages qui sont un « ensemble de particules désordonnées, et plus ou moins prévisibles ».
La tradition newtonienne veut que tout nuage soit une horloge en puissance. En fait, selon Popper, le mérite de Pierce est d’avoir montré que l’horologe parfaite comporte toujours dans sa structure moléculaire un élément nuageux.
« Selon Popper, toutes les ‘horloges’ sont plus ou moins des ‘nuages’, et les cas limites de systèmes absolument clos, comme le système céleste ou certaines machines, ne peuvent pas être totalement protégées de certaines interférences extérieures [97] ».
Dans le passage suivant, l’on comprend que la puissance a été troquée contre le chaos : il y a « une opération qui témoigne précisément de la persistance du chaos […], ce sont les opérations de bifurcation et d’individuation : si les états de choses leur sont soumis, c’est parce qu’ils sont inséparables de potentiels qu’ils empruntent au chaos lui-même, et qu’ils n’actualisent pas sans risque d’être disloqués ou submergés [98] ». Or, nous avons justement vu que ces processus chaotiques témoignent en faveur de la potentialité positive de la matière. C’est en fait une précompréhension nieztschéenne de la réalité [99].
Quand les auteurs prétendent que l’« on n’est jamais sur le même plan » et que « la communication vient toujours trop tôt ou trop tard [100] », ils ne se rendent pas compte qu’ils sont déjà deux philosophes à écrire un même ouvrage et qu’écrire un même livre est bien plus que simplement discuter ensemble d’un problème fondamental de philosophie, surtout lorsque le titre même du livre est, carrément, radicalement : Qu’est-ce que la philosophie ? Or, il n’y a pas de raison, autre que pratique, qui explique que l’échange, la communication soit plus aisée à deux qu’à plus de personnes.
La généralisation établit une équiparité du par soi et du par accident et même une primauté de ce dernier : « La philosophie a besoin d’une non-philosophie qui la comprend, elle a besoin d’une compréhension non-philosophique, comme l’art a besoin de non-art, et la science de non-science. Ils n’en ont pas besoin comme commencement, ni comme fin dans laquelle ils seraient appelés en se réalisant, mais à chaque instant de leur devenir ou de leur développement [101] ». Le cerveau naît du chaos et s’y prolonge. Or, le « tout au hasard » n’ouvre qu’au néant. Déjà Fénelon l’observait, « Cicéron […] ajoutait que le hasard ne ferait jamais un seul vers, bien loin de faire un poème [102] ».
Cette vision pessimiste fait l’apologie de la faiblesse et s’inscrit en réaction contre le cogito tout-puissant caractéristique de la modernité.
2’) Critique par les conséquences
Finalement, l’application de ce principe crée une sorte de nouvelle physique sociale. L’auteur a l’illusion que cela fonctionne, car nous vivons encore de valeurs morales qui n’ont pas disparu des mémoires. Le bateau court encore sur son erre. Comme Maritain le remarquait du principe machiavélique, si il est efficace à court terme, ce n’est pas qu’il soit intrinsèquement bon, c’est qu’à l’instar de tout mal, il se nourrit d’un bien qu’il tarira bientôt. Le chaos organisateur est illusoire.
Un bon exemple est donné par le fait suivant : « en 1991, seuls 4 % des Français désiraient que soient interdits les films érotiques à la télévision et 2 % les messageries roses sur Minitel [103] ». Tôt ou tard, appliqué, ce principe aliène les personnes et détruit les personnes et la société. Lipowetzky vit encore dans une société où il y a des principes régulateurs liés à des instances morales réelles.
Typique est l’aveu suivant :
« L’éclipse de la morale individuelle à laquelle nous assistons signifie précisément la sortie de l’âge sacralisant le vouloir pur. Non que la volonté ou l’effort n’aient plus de crédit social, mais on a cessé de croire à une éducation disciplinaire-rigoriste de la volonté. […] ce n’est plus la volonté pure et la régularité des caractères que nous privilégions, c’est la flexibilité et l’autonomie créatrice [104] ».
3’) Confirmation : l’opinion de René Thom
René Thom a fortement réagi contre l’invasion de l’indéterminisme notamment chaotique. Lisez la réponse presque pamplétaire de Thom dans « Halte au hasard ». « Affirmer que le hasard existe, c’est donc prendre cette position ontologique qui consiste à affirmer qu’il y a des phénomènes naturels que nous ne pourrons jamais décrire, donc jamais comprendre ». La thèse est donc claire : pour l’inventeur de la théorie des catastrophes, il y a « une obligation de principe – sous peine de contradiction interne – d’adopter une position optimiste et de postuler que rien, dans la nature, n’est inconnaissable a priori [105] ».
La réaction est réjouissante de tonicité et de bon sens. Citant en vrac Monod, Morin, Atlan, Prigogine (et Stengers), il note que ces philosophies « ont toutes un trait commun, à savoir : toutes glorifient outrageusement le hasard, le buit, la ‘fluctuation’ ; toutes rendent l’aléatoire responsable, soit de l’organisation du monde (via les ‘structures dissipatives’, selon Prigogine), soit de l’émergence de la vie et de la pensée sur terre (via la synthèse et les mutations accidentelles de l’A.D.N., selon Monod) [106] ». Et Michel Serres n’échappe pas au jugement. « Le déterminisme en science n’est pas une donnée, c’est une conquête. En cela, les zélateurs du hasard sont les apôtres de la désertion [107] ». Thom donne une définition subjectiviste du hasard : « est aléatoire un processus qui ne peut être simulé par aucun mécanisme, ni décrit par aucun formalisme [108] ». Or, « en tant que savant, c’est poru lui une obligation de principe – sous peine de contradiction interne – d’adopter une position optimiste et de postuler que rien, dans la nature, n’est inconnaissable a priori [109] ».
Il s’attaque aussi au postulat selon lequel l’ordre naît du bruit : « Plus étonnante est l’émergence du descriptible à partir de l’indescriptible. Car c’est un fait d’expérience banale que notre univers n’est pas un chaos, que l’on peut y discerner des objets, des choses qui font preuve parfois d’une grande stabilité, et qui parfois paraissent naître d’un milieu apparemment indifférencié [110] ». Ce premier argument, tiré de la connaissance commune, est de grande valeur [111].
En outre, « tout le jeu mental des théoriciens de l’ordre par fluctuations (Prigogine-Stengers) a consisté à gommer mentalement le paysage dynamique global […] au profit de la petite perturbation déclenchante uqi va faire s’effondrer la métastabilité du système vers un équilibre d’énergie inférieure [112] ». Or, cette cause n’est pas seule en présence, elle suppose toute la potentialité du système, qui est masquée par l’abstraction mathématique. On fait croire que c’est l’étincelle qui va créer la forêt qui s’embrase. Or, « un examen assez complet du susbtrat permet de prévoir a priori les issues possibles de la bifurcation, qui préexiste à la fluctuation déclenchante [113] ». Bref, comme dit René Thom, on « enrobe le squelette du déterminisme dans une couche de graisse statistique [114] ».
De plus, Thom rappelle que la définition d’ordre est elle-même au total très subjective et équivoque : « La notion d’ordre est relative à un certain niveau d’organisation, et ne saurait être considérée comme absolue. Ainsi, dans un système moléculaire, le désordre parfait, absolu à l’échelle de la molécule, peut à l’échelle macroscopique être considéré comme un ordre parfait, puisque tous les points du milieu ont alors les mêmes propriétés observables [115] ». Plus loin : « La distinction signal-bruit est donc fondamentalement subjective [116] ».
Comment expliquer cet intérêt pour ces doctrines, qui renouvellent, réitèrent l’antique théorie du clinamen ? Thom estime pour sa part que cet intérêt pour la petite fluctuation initiatrice est de l’ordre d’une « certaine préciosité littéraire [117] ». Dont acte !
b) Les chances
1’) La puissance de la matière
Traduisons en termes philosophiques : la théorie du chaos montre que la matière est contingente, parce qu’elle est en puissance, que cette puissance est ouverture à des actes contraires (bifurcations) et inclination (vers ce que nous appelons un acte).
2’) La relation au continu
Avec beaucoup de profondeur, Aristote explique pourquoi la science physico-mathématique sera toujours approximative. Et nous rejoignons ici ce que nous enseigne le chaos, mais avec un retentissement, une évidence spectaculaire inattendue.
Toute mesure, dans le domaine du continu, ne peut être qu’approchée, dit Aristote. En effet, pour qu’elle soit parfaite, « il faudrait que l’étalon de mesure fut une grandeur égale à zéro. En réalité, cet étalon si petit qu’il soit, est simple par hypothèse seulement [118] ».
Ajoutons cette remarque importante de Charles de Koninck : « Dès lors qu’il s’agit de chercher les principes universels fondamentaux de cet ordre, toute imprécision est de conséquence. En second lieu, il faut définir les propriétés physiques par la description de leurs procédés de mesure, laquelle pour être adéquate devrait comprendre et exprimer toutes les circonstances de la mensuration. Or cela est impossible, il faudrait pour cela déjà connaître précisément les principes qui régissent la totalité du mone physique : il faudrait être une intelligence séparée qui n’aurait aucun besoin de l’expérience pour connaître le monde – ‘a God contemplating the external world’, comme dit Eddington [119] ».
Bref, les nombres-mesures qui entrent dans les calculs des chercheurs sont toujours approximatifs.
6) Bibliographie
Outre notamment les deux ouvrages d’Ekeland cités ci-dessus et qui sont excellents :
– Peter William Atkins, Chaleur et désordre. Le second principe de la thermodynamique, Pour la Science, coll. « L’univers des sciences », Diffusion Belin, 1987, notamment chap. 9, p. 164-184.
– Pierre Bergé et Monique Dubois, in Encyclopædia Universalis, Paris, Corpus 3, 1989, p. 368 à 372. Excellent article sur le chaos en physique. Avec bibliographie.
– Pierre Bergé, Y. Pomeau et Christian Vidal, L’Ordre dans le chaos, Paris, Hermann, 1984.
– James Gleick, La théorie du chaos, trad., Paris, Albin Michel, 1989 dont D. Ruelle remarque qu’ »on ne peut pas toujours s’y fier pour l’exactitude historique ou les affirmations de priorité scientifique ». (Hasard et Chaos, op. cit. ci-dessous, note 5 du chap. 9, p. 227)
– Hao Bai-Lin (Ed.), Chaos, Singapore, World Scientific, 1984 et Chaos II, 1990.
– Predrag Cvinatovic, Universality in Chaos, Bristol, Adam Hilger, 21989 ; Dynamical Chaos, Proceedings of the Royal Society, Londres, Ryoal Society, 1987.
– Edward Lorenz, « Deterministic Nonperiodic Flow », in Journal of the atmospheric sciences, 20 (1963) n° 2, p. 130-141. « Predictability : does the flap of a butterfly’s wings in Brazil set off a tornado in Texas ? », Communication devant l’American Association for the Advancement of Science à Washington, le 29 décembre 1979.
– Paolo Musso, Filosofia del caos, Milano, Angeli, 1997.
– David Ruelle, Chaotic Evolution and Strange Attractors, Cambridge, Cambridge University Press, 1989. Hasard et Chaos, Paris, Odile Jacob, 1991. « Les attracteurs étranges », in La Recherche, 11, 1980, p. 132-144.
– Ian Steward, Does God play dice ?, Londres, Penguin, 1990.
– James A. Yorke et Tien Yien Li, « Period three implies chaos », The American Mathematical Monthly, 82 (1975) n° 10, p. 985-992.
À noter le débat entre Thom et Prigogine (notamment) :
– René Thom, « Halte au hasard, silence au bruit », in Le Débat n° 3, juillet-août 1980, p. 119-132, repris dans l’intéressant Collectif qui a rebondi sur cet article polémique : La querelle du déterminisme. Philosophie de la science aujourd’hui, Dossier établi par Krzysztof Pomian, Paris, Le Débat-Gallimard, 1990, p. 61 à 78, avec notamment les réponses de Morin, Prigogine, Atlan, Danchin. Donne une bonne bibliographie de 6 pages sur le sujet.
– Ilya Prigogine, « Loi, histoire… et désertion », in Le Débat, 6 (novembre 1980), p. 122-130.
Pour une introduction claire et agréable, cf. James Gleick, La théorie du chaos. Pour un exposé encore plus distrayant, cf. le bon ouvrage de science-fiction de Michael Crichton, Le Parc Jurassique, trad., Paris, Robert Laffont, 1992 (notamment p. 93 à 95).
Plus technique : Hermann Haken et Arne Wunderlin, « Le chaos déterministe », La Recherche, n° 222, octobre 1990, vol. 21, p. 1248-1255 ; La science du désordre, numéro spécial de La Recherche 232, mai 1991. Les articles montrent l’application multidisciplinaire du concept de chaos.
Pascal Ide
[1] Hélie de Saint-Marc, Mémoires. Les champs de braise, avec la collaboration de Laurent Beccaria, Paris, Perrin, 1995, p. 103.
[2] James Gleick, « L’effet papillon », p. 27 à 52. Cf. aussi l’excellent ouvrage d’Ivar Ekeland, Au Hasard, Paris, Seuil, 1991.
[3] Cf. Claude Allègre, La défaite de Platon ou la science du xxe siècle, coll. « Le temps des sciences », Paris, Fayard, 1995, chap. 10, p. 333s
[4] Ibid., note 1, p. 345. Souligné par nous. Cf. Pierre-Gilles de Gennes, « La percolation, un concept unificateur », La Recherche, novembre 1976. Un article simple écrit par l’expert dans le domaine.
[5] Ibid., p. 339.
[6] Ibid., p. 339 et 340.
[7] Ibid., p. 340.
[8] Ibid., p. 341.
[9] Ibid., p. 346.
[10] Ibid., p. 342 et 343.
[11] Ibid., p. 344.
[12] Ibid., p. 363.
[13] Ibid., p. 363.
[14] Ilya Prigogine, « L’aléatoire au cœur de la nature », Science n° 1, n° 2, janvier-février 1985, p. 48-64, ici p. 52. Pour le détail, nous renvoyons notamment à La nouvelle alliance, ch. 5.
[15] Cf. Henri Atlan, L’organisation biologique et la théorie de l’information, Paris, Hermann, 1972, p. 246 à 249. Cf. les schémas des p. 246 et 247.
[16] Cité dans La chance et le hasard, p. 132 et 133.
[17] Michael Crichton, Le Parc Jurassique (trad., Paris, Robert Laffont, 1992). Steven Spielberg a porté le roman à l’écran sous le titre américain Jurassik Park (sortie nationale en France le 20 octobre 1993).
[18] Michael Crichton, Le Parc Jurassique, p. 93 à 95.
[19] Michel Cosnard, « Dynamique chaotique déterministe un désordre bien ordonné », Françoise Fogelman Soulié éd., Les théories de la complexité. Autour de l’œuvre d’Henri Atlan, colloque de Cerisy, « La couleur des idées », Paris, Le Seuil, 1991, p. 58-77, ici p. 58 et 59.
[20] Ibid., p. 76.
[21] La Recherche, 222, p. 1248-1251. Il est aisé maintenant de comprendre le fameux effet Buterfly (formule imagée de Lorenz) « un papillon qui agite ses ailes à Pékin peut être la cause, quelques jours plus tard, d’une tempête sur la côte ouest des Etats-Unis ! » (Ibid., p. 1253) Cf. le nez de Cléopatre ou la lithiase rénale de Cromwell, interprétés par Blaise Pascal. Et la sagesse populaire « Faute de clou, on perdit le fer ; faute de fer, on perdit le cheval ; faute de cheval, on perdit le cavalier ; faute de cavalier, on perdit la bataille ; faute de bataille, on perdit le royaume. »
[22] Henri Poincaré, L’analyse et la recherche, Paris, Hermann, 1991, p. 138. Cf. bibliographie au point de départ.
[23] Ibid., p. 139.
[24] Ibid., p. 141-142.
[25] Ibid., p. 154.
[26] Jacques Hadamard, « Les surfaces à courbures opposées et leurs lignes géodésiques », Journal de Mathématiques pures et appliquées, 4, 1898, p. 27-73 reproduit dans les Œuvres de Jacques Hadamard, Paris, CNRS, 1968, vol. 2, p. 729-775.
[27] Pierre Duhem, La théorie physique. Son objet et sa structure, Paris, Ed. Chevalier et Rivière, 1906, p. 211.
[28] David Ruelle, Hasard et chaos, p. 65.
[29] Science and Free Will, in L. Campbell et W. Garnett, The life of James Clerk Maxwell, London, MacMillan, 1882, p. 443.
[30] Ivar Ekeland, Le Calcul, l’Imprévu. Les figures du temps de Kepler à Thom, coll. « Points Sciences », Paris, Seuil, 1984, p. 87.
[31] Cité par Ivar Ekeland, p. 85.
[32] Ivar Ekeland, Ibid. p. 86.
[33] David Ruelle, « « Déterminisme, prédictibilité et turbulence », Encyclopédie philosophique universelle, I. L’univers philosophique, Paris, p.u.f., 1989, p. 1185 à 1192, ici p. 1192.
[34] Alain Boutot, L’invention des formes, p. 133. Cf. Pierre Bergé, Y. Pomeau et C. Vidal, L’ordre dans le chaos, Paris, Hermann, 1984, p. 165.
[35] Edward Lorenz, « Deterministic Nonperiodic Flow », Journal of the atmospheric sciences, 20 (1963), p. 130-141, ici p. 136.
[36] Cf. Edward Lorenz, « Predictability does the flap of a butterfly’s wings in Brazil set off a tornado in Texas ? », Communication devant l’American Association for the Advancement of Science à Washington, le 29 décembre 1979.
[37] Cf. par exemple Oscar Lanford, The Mathematical Intelligencer, 2, 1980, p. 3. À noter toutefois que la présence de l’attracteur étrange n’a pas encore été formellement démontrée.
[38] Pierre Bergé et Monique Dubois, « Chaos (physique) », Encyclopædia Universalis, Paris, Corpus 3, 1989, p. 368-372, ici p. 369.
[39] Ivar Ekeland, Le calcul, l’Imprévu, p. 49 et 50.
[40] Maxence Revault d’Allonnes, « L’effet coquille Saint-Jacques », Sciences et Avenir, Hors-Série, L’océan Planétaire, 98 (août-septembre 1994), p. 24-29, ici p. 29.
[41] La publicité utilise souvent l’effet butterfly, le par accident, parce qu’il est générateur de surprise et de gag. Ainsi l’excellente publicité pour les pastilles Pulmex seul dans un paysage enneigé, un homme assiégé par les loups sent sa dernière heure arrivée. Il rassemble fébrilement des brindilles, gratte sa dernière allumette et réussit à faire naître un feu maigre mais tout de même dissuasif. Lorsque, brusquement, lui prend un éternuement qui… éteint le feu ! Sur regard effrayé vers les loups, une voix off prononce « Ne laissez pas un rhume vous gâcher la vie. » Petite cause, grands effets ! Convaincant, n’est-ce pas ?
[42] Cf. par exemple Cris et chuchotements, suivi de Persona et de Le Lien, trad. par J. Robnard et C. de Seynes, Paris, Gallimard, 1979, p. 51-52.
[43] L’allumage d’une cigarette décide de toute une évolution subséquente, voire d’une vie, sans oublier de tenir compte d’un certain nombre d’attracteurs étranges, d’un certain nombre de contraintes inhérentes aux systèmes.
[44] Un long chemin de liberté, p. 542.
[45] Pour le détail, nous renvoyons à un passionnant article de Jean-Luc Archambault, « Les jardins japonais ou le renouveau de la rationalité », Communio, 15 (mars-avril 1990), p. 103-122.
[46] Ibid., p. 105.
[47] Cf. par exemple L’heure de s’enivrer, Paris, Seuil, 1986.
[48] Héraclite, Fragments, n° 79, texte établi, traduit et commenté par Marcel Conche, Héraclite, « Epiméthée », Paris, P.U.F., 21987, p. 276.
[49] Ibid., p. 277 et 278.
[50] L’auto-organisation. De la physique au politique, sous la direction de Paul Dumouchel et Jean-Pierre Dupuy, Paris, Seuil, 1983.
[51] Cf. entretiens avec Guitta Pessis-Pasternak, Faut-il brûler Descartes ? Du chaos à l’intelligence artificielle quand les scientifiques s’interrogent, Paris, Ed. La Découverte, 1991, p. 35.
[52] Ibid., p. 189.
[53] Ibid., p. 189.
[54] Cf. par exemple Ibid., p. 40s.
[55] Ibid., p. 190.
[56] Ibid., p. 191. Nous le verrons mieux plus loin.
[57] Ibid., p. 191.
[58] Ibid., p. 21.
[59] Ilya Prigogine, « L’aléatoire au cœur de la nature », Science n° 1, n° 2, Janvier-Février 1985, p. 48-64, ici p. 52. Pour le détail, nous renvoyons notamment à La nouvelle alliance, ch. 5.
[60] Cf. André Dalmas, Evariste Galois, Paris, Ed. Fasquelle, p. 117-132.
[61]Ibid., p. 122. Souligné dans le texte.
[62] Gilles Lipovetsky, L’empire de l’éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes, « Bibliothèque des sciences humaines », Paris, Gallimard, 1987 (et Folio essais n° 170). Cf. aussi Le crépuscule du devoir. L’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques, « NRF Essais », Paris, Gallimard, 1992).
[63] Le crépuscule du devoir, p. 122 à 124.
[64] Cf. Jean Stoetzel, Les valeurs du temps présent une enquête européenne, Paris, P.U.F., 1983, p. 27-29.
[65] Le crépuscule du devoir, p. 61.
[66] Ibid., p. 167.
[67] Ibid., .
[68] Ibid., p. 124.
[69] Ibid., p. 159.
[70] Ibid., p. 169.
[71] L’empire de l’éphémère, p. 20. L’auteur nuance un peu sa thèse dans le développement qui suit.
[72] Le crépuscule du devoir, p. 66.
[73] Ibid., p. 69.
[74] François Jacob, La statue intérieure, Paris, Odile Jacob, Le Seuil, p. 331-332.
[75] Georges Dumézil, Entretien, donné à Notre Histoire, mars 1986.
[76] Ibid., p. 176 s.
[77] Ibid., p. 176.
[78] Ibid., p. 179.
[79] Cf. Pierre Boulez, Points de repère, Paris, Bourgois-Le Seuil, p. 159 s et Penser la musique aujourd’hui, Paris, Gonthier, p. 59-62.
[80] Ibid., p. 181.
[81] Jean-Claude Carrière et Pascal Bonitzer, Exercice du scénario, Femis, Institut de formation et d’enseignement pour les métiers de l’image et du son, 1990, p. 33.
[82] Cf. le remarquable chapitre de Jean-François Marquet, « Victor Hugo et l’infiniment petit », Miroirs de l’identité. La littérature hantée par la philosophie, coll. « Savoir Lettres », Paris, Hermann, 1996, chap. 4, p. 73-102.
[83] Ibid., p. 192.
[84] Ibid., p. 194.
[85] Michel Serres, Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, coll. « Épiméthée », Paris, p.u.f.,1982, 2 vol., tome I, p. 111.
[86] Ibid., p. 195.
[87] Ibid., p. 37.
[88] Ibid., p. 36. Souligné dans le texte.
[89] Ibid., p. 29 et 31.
[90] Ibid., p. 32 et 33.
[91] Ibid., p. 195.
[92] Ibid., p. 195 et 196. Souligné dans le texte.
[93] Ibid., p. 196. Souligné dans le texte.
[94] Ibid., p. 198.
[95] Rosine Chandebois, Pour en finir avec le darwinisme. Une nouvelle logique du vivant, coll. « Espace science », Montpellier, Ed. Espaces 34, 1993, p. 196.
[96] Oxford, Clarendon Press, 1972.
[97] Renée Bouveresse, Karl Popper ou le rationalisme critique, coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie », Paris, Vrin, 1981, p. 132.
[98] Ibid., p. 203.
[99] On sait que Deleuze est l’auteur d’un célèbre Nietzsche et la philosophie (Paris, P.U.F., 1962) qui invite à lire dans le foisonnement du réel la menaçante dissolution d’un monde qui croit savoir qu’il n’existe plus d’arrière-monde.
[100] Ibid., p. 32.
[101] Ibid., p. 205 et 206. Souligné dans le texte.
[102] Fénelon, Existence de Dieu, P. I, ch. 1, Œuvres complètes, Toulouse, 1810, tome XIII, p. 149.
[103] Ibid., p. 78
[104] Ibid., p. 130.
[105] René Thom, « Halte au hasard. Silence au bruit », Le Débat n° 4, Paris, juillet-août 1980, p. 119-133.
[106] Ibid., p. 61 et 62.
[107] Ibid., p. 77.
[108] Ibid., p. 62.
[109] Ibid., p. 63.
[110] Ibid., p. 67.
[111] Il est détaillé Ibid., p. 67 et 68.
[112] Ibid., p. 69.
[113] Ibid., p. 70.
[114] Ibid., p. 70.
[115] Ibid., p. 72.
[116] Ibid., p. 77.
[117] Ibid., p. 71.
[118] I Post. Anal., l. 36, n° 11.
[119] Charles de Koninck, Préface à l’ouvrage de Stanislas Quentin, Introduction à l’étude de l’âme, p. 69.