« Par la mer passait ton chemin, tes sentiers, par les eaux profondes ; et nul n’en connaît la trace [1] ».
« La photosynthèse » est « la réaction biochimique la plus importante sur terre [2] ». Cette brève note concerne ce processus fascinant qu’est la photosynthèse, ce dynamisme extrêmement original et exclusivement caractéristique du végétal. Nous n’en considérerons qu’un aspect, souvent délaissé ou considéré comme insignifiant : le devenir de l’eau dans le processus photosynthétique. Nous ne nous centrerons donc pas sur les relations entre la plante et le soleil (donc l’élément feu) qui ont davantage attiré les philosophes (que l’on songe, par exemple, à Henri Bergson [3] ou Hans Andre [4]).
Après avoir brièvement rappelé ce qu’est la photosynthèse, en la comparant à la respiration animale, et, ce faisant, introduit à notre perspective sapientielle et amative (1), nous ferons un exposé historique (2) pour mieux montrer la nouveauté de l’interprétation actuelle de la photosynthèse (3) et ainsi conduire à l’interprétation surtout philosophique (4) et, au final, théologico-symbolique de ce phénomène (5).
1) Comparaison entre photosynthèse végétale et respiration animale
Comment ne pas être frappé par la similitude jusque dans l’opposition et la complémentarité des processus métaboliques fondamentaux du végétal et de l’animal ?
En effet, le cœur structural du dispositif est une molécule, ubiquitaire, indispensable : la chlorophylle pour le végétal et l’hémoglobine pour l’animal. Or, étonnamment, ces deux protéines présentent une très grande similitude. Le même est le cœur (au double sens de centre et de zone la plus précieuse) : le noyau tétraporphyrique portant un atome métallique monovalent qui, du fait de sa charge électrique, peut attirer l’oxygène et se déformer. Le différent est la nature du métal en question : le fer pour l’hémoglobine et le magnésium pour la chlorophylle. Une conséquence en est une autre régularité étonnante, la proportion constante des éléments chimiques impliqués par le système en sa globalité : dans le monde vivant, C (le carbone) est à N (l’azote) et à P (au phosphore), ce que 106 est à 16 et à 1 [5].
À cette similitude statique se joint une similitude dynamique. Les deux grands types de production d’énergie, photosynthèse et respiration, sont des réactions d’oxydoréduction. Mais elles procèdent de manière significativement inversée. D’abord, quant au mouvement. Le processus métabolique propre à la plante est la photosynthèse qui produit de l’oxygène et rejette du gaz carbonique ; celui propre à l’animal est la respiration qui absorbe de l’oxygène et émet du gaz carbonique. Ensuite, quant à la finalité, ici le mode d’alimentation : la plante est autotrophe, c’est-à-dire capable d’assimiler des substances anorganiques de son environnement ; l’animal est nécessairement hétérotrophe, c’est-à-dire ne peut assimiler que de la matière déjà organique, c’est-à-dire une matière déjà élaborée par d’autres organismes, à commencer par les végétaux. Enfin, à titre de conséquence, cette différence dans les modes de nutrition entraîne une dépendance asymétrique : l’animal a nécessairement besoin du végétal pour se nourrir, mais non l’inverse. Autrement dit, la complémentarité aboutit à une hiérarchie.
Nous venons de voir le même et l’autre étroitement entrelacés, selon des relations complexes dans la production vivante de l’énergie. Mais domine l’admirable échange et harmonie, le tout rythmé par le battement pulsatile de la réception et de la donation (au plus intime du vivant, entre oxygène et dioxyde carbone ; jusque dans l’intéralité du règne vivant, entre végétaux et animaux).
2) Histoire de la compréhension classique de la photosynthèse
Brossons brièvement quelques étapes conduisant à l’élaboration du modèle de la photosynthèse.
a) L’âge préscientifique : les quatre éléments (Aristote)
La théorie des quatre éléments a longtemps régné, même en biologie, pour expliquer les différences entre végétaux et les grands genres d’animaux. Aristote, le premier, en a proposé l’explication organisée suivante à partir d’une composition variée des éléments :
« Les uns sont constitués par une plus grande quantité de terre, comme le genre des plantes, les autres d’une plus grande quantité d’eau, comme celui des animaux aquatiques. Quant aux animaux ailés ou terrestres, les uns sont constitués d’une plus grande quantité d’air et les autres d’une plus grande quantité de feu [6] ».
Il faudrait ajouter les développements du grand disciple botaniste du Stagirite, Théophraste d’Érèse (vers -371-vers -288).
b) La première expérience : l’introduction de l’eau (Jean-Baptiste Van Helmont)
Le premier à remettre en question cette théorie à partir d’une expérimentation précise fut le médecin et chimiste flamand Jean-Baptiste Van Helmont (1577-1655). Une expérience élégante l’a convaincu que la source de tous les corps n’est pas les quatre éléments, mais l’eau :
« Que toutes les plantes proviennent directement et réellement du seul élément eau, je l’ai appris de l’expérience suivante. J’ai pris un pot de terre [cuite] dans lequel j’ai mis deux cents livres de terre desséchée dans un four que j’ai arrosée d’eau de pluie. J’y ai planté une tige de saule pesant cinq livres. Au bout de cinq ans, elle s’était développée en un arbre pesant cent soixante-neuf livres et trois onces environ. Rien d’autre que de l’eau de pluie (ou de l’eau distillée) ne fut ajouté. Je n’ai pas pesé les feuilles qui sont tombées au cours des quatre automnes. À la fin, j’ai de nouveau desséché la terre du pot et j’ai retrouvé les mêmes deux cents livres, à deux onces près. Ainsi, cent soixante-quatre livres de bois, d’écorce et de racines ont été produites de la seule eau [7] ».
Le raisonnement de Van Helmont, remarquable dans sa simplicité, est donc le suivant. En cinq ans, d’un côté, le poids du saule a augmenté de 74,7 kilos et, de l’autre, le terreau a perdu 57 grammes. Or, le seul apport extérieur fut de l’eau. Donc, si l’on ajoute le principe implicite selon lequel la nature ne suscite pas de matière ex novo (ce qui est une vérité métaphysique : seul Dieu peut créer de l’être, et ce que traduira le fameux axiome de Lavoisier), l’on doit conclure que la plante a transformé (au sens étymologique) l’eau en sa propre substance.
Toutefois, cette expérience est non seulement imprécise (insuffisamment différenciée), mais insuffisante (Van Helmont ne prend pas en compte d’autres apports, liés aux deux autres éléments : le feu à travers l’énergie solaire et l’air.
c) La deuxième expérience : l’apport du dioxyde de carbone (Joseph Priestley)
Autant Jean-Baptiste Van Helmont était un disciple de l’alchimiste-chimiste Paracelse, autant Priestley (1733-1804) est un pasteur et chercheur à la curiosité universelle. Il explique qu’il est « par hasard tombé sur une méthode pour restaurer un air dégradé par la combustion de bougies [8] ». En effet, une pousse de menthe demeure pendant dix jours dans une enceinte expérimentale contenant de « l’air vicié » (nous traduirions aujourd’hui par un air saturé de CO2 et pauvre en O2). Or, après cette durée, il peut à nouveau brûler une bougie jusqu’à son auto-extinction. Mais une bougie brûle en présence d’oxygène, donc d’un « air purifié ». Priestley en conclut donc que « l’élément restaurateur que la nature emploie à cet effet est la végétation ». Il confirma son expérience avec un animal, en l’occurrence, une souris. Ainsi, le premier, l’ecclésiastique britannique montra que, en plus de l’eau, la plante traite le dioxygène et le gaz carbonique, en l’occurrence émet le premier et absorbe le second.
d) La troisième expérience : l’apport du soleil (Jan Ingenhousz)
Le médecin hollandais Jan Ingenhousz (1730-1799) confirme les travaux de Priestley et ajoute le troisième élément, à savoir le soleil. En effet, il montre que l’air n’est « restauré » (c’est-à-dire, reformulons-le, un air qui passe d’une présence majoritaire de CO2 à une présence majoritaire d’O2) qu’en présence de la lumière solaire et de son impact sur les parties vertes des plantes.
Ingenhousz précise aussi la deuxième source, à savoir le gaz carbonique, montrant que, pour la plante, elle se trouve non pas dans le sol, mais dans l’air. Ce qui fait que la plante provient beaucoup plus du ciel (de l’invisible, dirait Zürcher) que de la terre (du visible).
e) La synthèse (Nicolas-Théodore de Saussure)
Enfin, le minéralogiste, géologue et botaniste suisse Nicolas-Théodore de Saussure (1767-1845), qui rédigera le premier traité moderne de physiologie végétale [9], fera la synthèse de tous les apports précédents, en montrant que le processus essentiel de croissance de la plante (Van Helmont) et celui, plus accidentel, de la purification de l’air (Priestley) sont dus à l’eau (Van Helmont), mais aussi à l’échange entre l’absorption du CO2 et le dégagement de O2 (Ingenhousz) [10].
f) La quantification
Partant de là, il restait à quantifier les proportions des différents éléments atomiques (C, H, O), rentrant dans la composition des biomolécules, notamment les glucides que, pour cette raison, on appela à l’époque « hydrates de carbone ».
En l’occurrence, en se fondant sur ces critères pondéraux, on conclut d’un double point de vue. Qualitativement, les glucides étaient le résultat de la combinaison des molécules d’eau et des atomes de carbone présents dans le gaz carbonique ; dès lors, l’oxygène rejeté par la plante provient de celui-ci. Quantitativement, 6 molécules de dioxyde de carbone et 6 molécules d’eau donnent, avec l’apport de l’énergie solaire 1 molécule de glucide et 6 molécules d’oxygène.
On aboutit donc à la réaction explicative de la photosynthèse :
6 CO2 + 6 H2O + énergie lumineuse ––> C6H12O6 + 6 O2
Précisons ce que la linéarité de la formule ne permet pas de comprendre que C6H12O6 est la molécule de glucose. Quoi qu’il en soit, comment ne pas admirer la belle simplicité de la formule, qui n’est pas sans évoquer celles des équations formalisant l’attraction (gravitationnelle ou électrique) des corps ou l’équivalence matière-énergie.
3) Nouvelle compréhension de la photosynthèse
Souvent, encore aujourd’hui, manuels et cours présentent la réaction de la photosynthèse comme ci-dessus. En réalité, cette version, tenace, sans doute à cause de sa simplicité, est insuffisante. Elle ne dévoile pas un processus beaucoup plus passionnant qu’il nous faut maintenant détailler.
a) Le processus
On la doit au microbiologiste américain Cornelis Van Niel (1897-1985), de l’université de Stanford, alors que, jeune chercheur dans les années 1930, il travaillait sur l’activité photosynthétique de divers types de bactéries. En partant d’un substrat particulier, l’hydrogène sulfuré (H2S) et non pas l’eau, les Thiorhodobactéries (les bactéries sulfureuses pourpres) peuvent réduire le dioxyde de carbone (CO2) en anaérobiose (atmosphère épourvue d’oxygène) et sans émission d’oxygène : elles produisent des hydrates de carbone (ici, le glucose : C6H12O6, mais ce pourrait aussi être du fructose) et, en plus, de l’eau et du soufre à l’état élémentaire (S2). Or, Van Niel chercha à généraliser sa découverte dans une réaction qui engloberait la photosynthèse. Pour cela, il suffisait que, dans la photosynthèse chlorophylienne (et non pas soufrée), la source de l’oxygène était l’eau et non pas le dioxyde de carbone.
Cette hypothèse encore théorique fut démontrée la décennie suivante. Des chercheurs marquèrent la molécule d’eau entrant dans la réaction par un isotope lourd (18) de l’oxygène (18O). Or, l’isotope conserve les propriétés chimiques (la charge électrique), mais diffère physiquement quant au poids (le poids atomique de l’oxygène « normal » est de 16). Les chercheurs disposaient donc d’un traceur de l’oxygène dans la réaction de photosynthèse. Or, ils observèrent ce résultat étonnant : l’oxygène qui formait la molécule de glucose provenait non pas du dioxyde de carbone et de l’eau, mais exclusivement de l’eau. On était en droit d’attendre, puisqu’il y avait des molécules d’eau de chaque côté de la réaction, qu’une partie (la moitié) de l’eau demeurait intacte, autrement dit qu’elle avait bénéficié d’un mouvement physique de translation sans mouvement chimique d’altération. Mais ce n’était pas le cas. Par conséquent, cela signifiait que l’action primaire du rayonnement solaire portait spécifiquement sur une hydrolyse, précisément une hydrolyse par photolyse. Cela signifiait aussi que, loin d’être conservée, l’eau finale avait été nouvellement produite à partir de l’oxygène présent dans le dioxyde de carbone absorbé (de l’air).
b) Le résultat
Nous pouvons signifier cette réaction de production de glucose nouvellement comprise en individualisant les atomes par des caractères gras :
6 CO2 + 12 H2O + énergie lumineuse (et système vivant) ––> C6H12O6 + 6 O2 + 6 H2O
Pour rendre ce processus encore plus concret, convertissons-le en moles (ou molécules-grammes), masse (précisément en grammes : g) et énergie (précisément en kilojoules : Kj)
6 mol CO2 + 12 mol H2O + énergie lumineuse ––> 1 mol C6H12O6 + 6 mol O2 + 6 mol H2O
264 g + 216 g + 2 897 kJ ––> 180 g + 192 g + 108 g
c) Conséquences remarquables
Chaque tonne anhydre (sans eau) de bois élaborée par l’arbre, donc chacune des tonnes de matière organique que ne cesse de fabriquer cet organisme vivant, produit différents effets décisifs – en l’occurrence, une action négative (soustractive) et deux actions positives – qu’il vaut la peine de chiffrer.
Tout d’abord, pour chacune de ces tonnes, une masse presque double (précisément 1,851 tonne) de dioxyde de carbone est soustraite à l’atmosphère. Quand on sait combien le CO2 contribue à l’effet de serrre et donc au réchauffement climatique, on voit combien, sur la planète Gaïa, l’arbre joue un rôle régulateur essentiel.
Ensuite, avec chacune de ces tonnes se forme une masse de 1,392 tonne d’oxygène provenant de la photolyse de l’eau, et donc nouveau. Mais il est plus spectaculaire de convertir ce poids en volume, sachant combien l’état gazeux est considérablement plus volumineux que l’état solide ou liquide. Lorsque l’arbre élabore 1 tonne anhydre de bois, il fabrique pas moins de 973 m3 d’oxygène néoformé. Or, celui-ci ne constitue que 21 % d’air. Donc, l’arbre contribue à la fabrication de 4 636 m3 d’air. Au-delà de la quantité se pose la question de la qualité : l’oxygène, venons-nous de dire, est nouveau ; de fait, il n’a encore jamais circulé dans l’atmosphère ; il n’a jamais été mis en relation. Pourquoi la nature éprouve-t-elle le besoin de renouveler l’oxygène ? Quelles sont les propriétés de cet oxygène inédit ? Expliquerait-il l’impression subjective de fraîcheur bienfaisante ressentie dans les sous-bois ? Surtout s’accompagnerait-il d’effets objectivement bénéfiques pour la santé ?
Mais il faut dire plus. Ce renouvellement de l’eau entraîne en cascade d’autres renouvellements à l’intérieur de l’organisme végétal [11]. En effet, la formation de fibres végétales requiert, du point de vue de l’opération (acte second), beaucoup d’énergie ; or, celle-ci est contenue dans le sucre. De plus, elle nécessite, du point de vue de l’être (acte premier), des polymères, comme la cellulose et la lignine ; or, ceux-ci sont constitués à partir de glucoses. Or, la polymérisation lie les sucres simples en sucres complexes à partir de liaisons osidiques. Mais celles-ci libèrent une molécule d’eau ; et cette eau est bien nouvelle puisqu’elle provient de l’assemblage d’atomes d’hydrogène et d’oxygène. Donc, la fabrication de la plante produit de formidables quantités d’eau nouvelle. Il est possible de les mesurer. C’est ainsi qu’à une mole de glucose, soit 180 grammes, correspondent 18 grammes d’eau. Et puisque la cellulose est un polymère (linéaire et non pas circulaire comme l’amidon) de glucoses, sa masse est donc composée de pas moins de 10 % d’eau nouvelle. Si maintenant nous sommons le résultat de la photosynthèse dont on a vu qu’elle produit 108 grammes d’eau renouvelée par mole de glucose, nous aboutissons à un résultat de 234 grammes d’eau nouvelle pour chaque masse de glucose, soit environ 1,3 fois celle-ci. Ainsi, l’apport de la plante ne se résume pas à celui, déjà considérable, de la biomasse glucidique, à la fabrication de cette matière organique si précieuse, mais compte aussi le recyclage permanent d’une quantité considérable d’eau. Au sens le plus rigoureux du terme, il faut affirmer que les forêts sont les lieux de renouvellement, plus, de revitalisation, de régénération – quasiment de « résurrection » – de l’élément vital par excellence qu’est l’eau.
Enfin, outre le renouvellement de l’oxygène, chaque tonne anhydre de bois s’accompagne aussi du renouvellement de l’eau, en l’occurrence, 541 kilos. Autrement dit, la plante ne fait pas que consommer de l’eau, elle en produit. Or, cette eau néoformée n’a encore jamais circulé (mouvement local ou physique) dans le grand cycle que nous avons vu par ailleurs (évapotranspiration-formation des nuages-condensation-précipitation-ruissellementm-percolation-accumulation-résurgence-évapotranspiration-etc.) ou à l’intérieur de la plante (avec la sève) ; elle n’a encore non plus jamais noué de liens avec d’autres molécules (mouvement qualitatif ou chimique). L’on est donc en droit de s’interroger sur les propriétés inédites introduites par cette eau totalement renouvelée.
d) Confirmation
Gerald Pollack [12], chercheur et professeur en bio-ingénierie, a découvert le fait suivant : en présence de membranes hydrophiles (naturelles ou artificielles), l’eau acquiert un état apparenté à la fois au liquide et au solide, une structure particulière évoquant les cristaux liquides – et cela sur une distance atteignant parfois quelques dixièmes de millimètres. Aussi, l’auteur parle-t-il d’un quatrième état ou d’une quatrième phase de l’eau, à côté des trois bien connues : solide, liquide et gazeuse [13]. Il parle aussi de « zones d’exclusion (exclusion zone water ou ez water) ». Or, ce quatrième état et ces zones sont liées à la pureté de l’eau. Pollack émet l’hypothèse que ces caractéristiques proviennent des propriétés diélectriques particulières des membranes hydrophiles. De fait, l’eau qui est proche de ces membranes se distingue de l’eau normale par de nombreuses propriétés physiques, électriques et chimiques : la pureté, le pH, la viscosité, l’indice de réfraction, l’absorption d’énergie lumineuse, la charge électrique, la teneur en oxygène et la mise en réseau supramoléculaire (par les liaisons hydrogène ?). Rien moins que cela ! Une conséquence en est, par exemple, que l’eau parcourant les trachéides des résineux (gymnospermes) et les vaisseaux des feuillus (angiospermes) de petit diamètre (les capillaires) peut demeurer liquide jusqu’à des températures très basses (de l’ordre du – 15 °C), interdisant la formation de cristaux de glace qui endommageraient gravement ces vaisseaux et permettant la circulation de la sève même pendant les hivers rigoureux. Si, dans cette phase « cristalline-liquide », le degré de viscosité est élevé, le point de congélation, lui, est abaissé.
Or, les structures anatomiques des plantes en général et des arbres en particuliers sont constituées par un système complexe de membranes et de cellules aux parois hydrophiles ; or, celles-ci possèdent justement des propriétés diélectriques ; donc, l’eau devrait passer, en certaines zones de la plante, dans cette quatrième phase. Ne peut-on donc pas expliquer certaines propriétés des plantes, le métabolisme photosynthétique, à partir de ce nouvel état de l’eau ? Pour des développements complémentaires, cf. l’article : « ‘Tout est lié’. De l’influence du cosmos sur les plantes ».
e) Précision, quantification
Nous avons déjà vu que, pour chaque mole (180 grammes) de glucose formée, apparaissent 6 moles d’eau « nouvelle », soit 108 grammes, soit 60 % en poids.
Si l’on élargit au bois, l’on est aujourd’hui à même de détailler le pourcentage pondéral des éléments chimiques composant la plante : sa masse est constituée environ pour moitié par le carbone, 44 % par l’oxygène, 6 % par l’hydrogène et moins de 1 % pour le reste (azote, phosphore, calcium, métaux, etc.). Quelle que soit son essence, la composition du végétal est à peu près constante.
L’on peut déduire de ce pourcentage une conséquence fascinante : sachant que le dioxyde de carbone provient de l’atmosphère et que l’eau elle-même est véhiculée dans le cycle, entre ciel et terre, qui la fait passer par tous ses états (solide, liquide et gazeux), l’on peut donc conclure que 99 % du bois provient non pas de la terre, comme le pense la grande majorité des mortels, mais bien du ciel. Nous le redirons.
Mais la photosynthèse fait aussi intervenir l’énergie solaire. Or, la quantité de cette énergie lumineuse peut aussi être quantifiée : elle correspond à environ 19 mégajoules (MJ) par kilo pour le bois anhydre ou sec et 14 MJ par kilo pour le bois à l’état sec, mais à l’air, donc ayant une teneur d’eau d’environ 15 %. Convertissons cette énergie de manière concrète : 1 kilo sec de bois, on le sait, se met dans une cheminée. Il dégage alors de la chaleur, en l’occurrence de quoi faire monter la température de 170 litres d’eau de 10 à 30 °C (un bon bain !). Ajoutons d’ailleurs que le bois qui brûle ne se contente pas de restituer l’énergie qui l’a constitué sous forme de chaleur, mais il brille, autrement dit, il donne aussi de la lumière. La plante vérifie la dynamique du don (qui va être détaillée dans un instant) aussi du point de vue énergétique.
f) Une conséquence théorique : la mémoire de l’eau
Avec la liberté, mais aussi la rigueur qui le caractérise, Ernst Zürcher ose tirer la conséquence suivante sur les
« qualités, propriétés ou vertus spécifiques d’une telle eau […]. Une telle question peut être placée dans une thématique scientifique moderne, initialement très controversée, mais trouvant de plus en plus de défenseurs de renom : celle de la ‘mémoire de l’eau’, telle que l’ont développée des pionniers comme Jacques Benveniste, Vinh Luu ou Gerald Pollack [14] ».
Quelle audace ! Et quelle perspective passionnante ouverte sur ce sujet encore trop tabou qui est celui de la structure physique de l’eau, structure qui est autrement plus transmissible que les éléments entrant chimiquement en composition avec elle.
4) Relecture philosophique
a) La photosynthèse en général
Ce processus vital atteste d’abord en général combien le végétal est, en creux, néguentropique et, en plein, producteur d’ordre, de structure, d’information.
Ce faisant, la plante et l’arbre transforment la matière inerte et la surélèvent. Se dit ici une loi métaphysique d’importance. Les êtres ontologiquement hiérarchisés sont aussi connectés selon un principe d’élévation : le supérieur élève l’inférieur ; autrement dit, il le porte avec lui à un degré de perfection qu’il ignorait. Il est aisé de le démontrer à partir d’une induction scalaire fondé sur les quatre ordres : nous venons de voir que le végétal surélève l’inerte (autant le minéral terrestre que l’air médian, c’est-à-dire l’atmosphère en son climat, et l’énergie céleste, c’est-à-dire le soleil) ; l’animal surélève tout le monde matériel, sensible dans l’acte de connaissance (qui héberge l’autre respecté en tant qu’autre) ; l’homme surélève tout l’être dans l’acte de l’esprit et de la liberté, donc dans une histoire ; la charité, enfin, surélève non plus seulement l’être, mais même ce qui manque à l’être, cette privation par excellence qu’est la violence, cette blessure de néantisation qu’est le péché, et donne une place non pas à ce non-être, mais au sujet qui en est responsable, dans l’histoire sainte reconduisant la création rédimée à Dieu. Ainsi la photosynthèse illustre, au degré qui est le sien, cette grande loi qui pourrait s’expliciter à partir du don, voire de la dynamique réciproque : au service que l’inférieur rend au supérieur, celui-ci, vulnérable (touché) répond par un nouveau service, à savoir son élévation. Cette communion de services gratuitement offerts corrige donc l’utilitarisme réel d’une relation qui ne serait qu’unilatérale. Nous allons retrouver dans un instant cette loi d’élévation dans sa forme dramatique qu’est la loi de décomposition-recomposition.
Enfin, ce processus d’information-transformation-élévation est total. En effet, il concerne les quatre éléments de la cosmologie antico-médiévale, voire les cinq éléments de la cosmologie chinoise. Ainsi se vérifie une autre grande loi métaphysique : la loi fractale ou holographique. Statiquement ou dynamiquement, le tout est présent dans chacune des parties. Ici, dans le processus élémentaire (mais nodal) de la photosynthèse se rencontrent (et s’épousent) les différents éléments dans leur affinité et leur complémentarité réciproques.
b) La nouvelle compréhension de la photosynthèse
1’) Signification ontologique
Pour comprendre la nouveauté radicale apportée par cette vision, il faut sortir d’une conception seulement chimique de l’eau, pour entrer dans une conception aussi physique. Ou plutôt, il faut passer d’une vision élémentariste, des molécules, pour entrer dans une conception relationnelle. L’oxygène et, plus encore, l’eau, sont des molécules qui, loin d’être inertes, nouent des liens avec leur environnement. Et cela est particulièrement frappant pour l’eau, ainsi que l’atteste l’expérience aussi simple que fondamentale de l’eau liquide : elle semble être un élément un (même s’il est indéfiniment fragmentable) ; or, cette unité vient des multiples relations nouées par chaque molécule d’eau avec son entourage. Une autre expérience élémentaire est celle de la dissolution du sucre dans l’eau.
2’) Signification ontodologique
Procédons enfin à une relecture philosophique à la lumière du don. Centrons-nous sur l’eau. Mais ce que nous disons pourrait valoir, mutatis mutandis, de l’oxygène, donc de l’air, et aussi de la lumière. De manière générale, le fait que la plante ne fasse pas que consommer de l’eau, mais en produise, l’inscrit dans le cycle du don. Mais entrons dans le détail des moments de la valse ternaire du don (réception, appropriation, donation).
Tout d’abord, nous avons vu que les racines de l’arbre sont plantées en haut, non pas seulement parce qu’il reçoit toute son énergie du soleil, mais toute sa substance de l’air. Bref, l’eau vient du haut. Et comme, symboliquement, la hauteur est signe du donateur (cf., par exemple, Is 55,10-11 ; Jc 1,17), comment mieux dire que l’eau naît et se reçoit ?
Puis, l’eau confirme sa profondeur d’obéissance en acceptant d’être ainsi docilement transférée d’un lieu à un autre, d’un milieu à un autre, et surtout d’être intégrée à un organisme.
Ensuite, l’eau est à ce point abandonnée qu’elle va jusqu’à se sacrifier. En effet, la photolyse n’est rien moins que la destruction ou la corruption de sa forme substantielle. Le don fait par l’eau va donc jusqu’à l’extrême.
Par ailleurs, cette docile offrande de son être produit une fécondité inattendue. En cela, elle applique une loi métaphysique ébauchée par Simone Weil. Cette loi est en quelque sorte la forme dramatique de la loi d’élévation induite ci-dessus : l’être qui, dans un premier temps, consent à la violence jusqu’à se trouver démembré se retrouve surélevé dans une forme supérieure inédite. Appliquée à la photosynthèse, cette loi énonce que la décomposition de l’eau prépare à sa recomposition : l’élément hydrique renaît dans la forme supérieure qu’est le glucide. Or, ce faisant, elle dispose de manière prochaine à l’apparition de la plante. Mais le sacrifice si généreux est encore plus fertile : par la libération totalement inespérée de l’oxygène sous la forme gazeuse du dioxygène, l’eau dispose de manière lointaine à l’émergence des essences supérieures que sont les animaux et, ultimement, l’homme. Admirable fécondité de cette mort et résurrection.
De plus, les effets nouveaux induits par l’eau purifiée peuvent aussi s’interpréter philosophiquement. En effet, l’eau n’est pas seulement substance ayant composition et configuration, elle est aussi capacité de relations. D’ailleurs, c’est là la conséquence de sa profondeur de réception, au nom même de la grande loi énoncée par le Christ et dont la portée est véritablement transcendantale : ce qui est reçu gratuitement est donné gratuitement. Après avoir été décomposée et recomposée, donc être renée (avoir reçu l’être à nouveau), cette eau aurorale est ainsi prête pour de nouvelles actions et les nouvelles relations que celles-ci fondent. Voilà pourquoi l’eau photosynthétisée est une eau douée de propriétés originales. Et, pour être adéquatement comprise, cette fécondité inédite requiert un regard non pas seulement atomistique, mais physique, ainsi que nous allons le redire. Même si chimiquement, l’eau est toujours composée d’un atome d’oxygène et de deux atomes d’hydrogène, elle a été, au sens le plus aristotélicien du terme, trans-formée, elle a revêtu une nouvelle forme substantielle.
Enfin, ce renouvellement si fécond pour la plante rétroagit sur l’eau elle-même qui ressort de ce processus métamorphosée et purifiée au plus intime. Ici se vérifie une autre loi : la dynamique du don est celle d’une vasque et non pas d’un canal. Non seulement, en amont, le don de soi suppose le don à soi (concrètement, doit s’asseoir sur une estime de soi ajustée), mais, en aval, il vient bénir le donateur, ne serait-ce que par la joie et le mérite, dont il hérite par surcroît.
Ajoutons ce qui est une question : par la photolyse, si l’eau est ainsi régénérée, réémerge-t-elle de son passé à neuf, purifiée de toute trace traumatique, à l’instar d’une guérison qui reconfigure, voire efface les circuits neuronaux sous-tendant la blessure ? Ou bien faut-il envisager ce renouvellement comme une pacification, mais pleine de mémoire (et de gratitude), à l’instar d’un pardon qui efface la faute sans effacer le souvenir ?
3’) Signification épistémologique
Pourquoi est-on aussi longtemps passé à côté de cette nouvelle vision de la photosynthèse ? Pourquoi ce que j’appelle la conception classique est-elle encore aussi tenace ? Voire, pourquoi avons-nous simplement de la difficulté à comprendre la démonstration qui a été résumée ci-dessus ? Il y va d’une vision atomistique et statique de la nature. Celle-ci est cristallisée dans la formule chimique classique qui réduit le tout à ses parties.
5) Relecture théologique symbolique
Nous avons évoqué ci-dessus une eau aurorale. L’on aurait aussi pu la qualifier de lustrale. Comment ne pas noter le parallèle entre l’élément sans lequel le baptême ne pourrait avoir lieu et celui-ci ? Le baptême est la naissance à la vie divine, donc le renouvellement le plus profond qui puisse advenir chez un être humain. Or, de même, la photosynthèse est l’événement le plus radical qui puisse advenir dans l’existence de l’eau : l’avènement à une nouvelle existence.
Du bois de l’arbre jaillit, ne cesse de jaillir de l’eau et, plus encore, une eau nouvelle : tel est l’admirable enseignement de la biologie. Comment ne pas mettre en résonance plusieurs paroles scripturaires ? D’abord, le Christ est le crucifié. Il est cet arbre. Or, de son sein coulent des fleuves d’eau vive. Et cette eau vive est celle de l’Esprit qui renouvelle, qui ne cesse de renouveler la face de la Terre.
La régénération de l’eau par les arbres, écrit audacieusement Ernst Zürcher, « nous amène à comprendre d’une façon inédite la vision ancienne de l’arbre de vie ou de l’arbre cosmique, au pied duquel surgissent des sources et des fleuves d’eau pure [15] ».
Pascal Ide
[1] Psaume 76(77), 20.
[2] Laura Sigg, Philippe Behra, Werner Stumm, Chimie des milieux aquatiques. Chimie des eaux naturelles et des interfaces dans l’environnement, coll. « Sciences Sup », Paris, Dunod, 32006, p. 271.
[3] « Les premiers êtres vivants ont cherché, d’une part à accumuler sans relâche de l’énergie empruntée au Soleil et, d’autre part, à la dépenser d’une manière discontinue et explosive par des mouvements de locomotion : les Infusoires à chlorophylle, les Euglènes, symbolisent peut-être encore aujourd’hui, mais sous une forme étriquée et incapable d’évoluer, cette tendance primordiale de la vie » (Henri Bergson, L’Évolution créatrice, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », Paris, p.u.f., 1907, coll. « Quadrige », Paris, p.u.f., 1991, chap. 2, § 2 : « Relation de l’animal à la plante », p. ).
[4] Cf. Gustav Siewerth, La philosophie de la vie de Hans André, trad. Emmanuel Tourpe, introduction et commentaire de Pascal Ide, Paris, DDB, 2015, chap. 13 : « Photosynthèse ».
[5] Cf. Laura Sigg, Philippe Behra, Werner Stumm, Chimie des milieux aquatiques, p. 4.
[6] Aristote, « De la respiration », Petits traités d’histoire naturelle, trad. Pierre-Marie Morel, Paris, Gallimard, 2004, p.
[7] Walter Pagel, Joan-Baptista Van Helmont, Reformer of science and medicine, p. 53, cité par Claude Lance, Respiration et photosynthèse. Histoire et secrets d’une équation, Grenoble, EDP sciences, 2013, p. 36.
[8] Joseph Priestley, « Observations on different kinds of air », Philosophical transactions of the Royal Society, 62 (1772), p. 147-264, ici p. 149.
[9] Cf. Nicolas-Théodore de Saussure, Recherches chimiques sur la végétation, Paris, Veuve Nyon, 1804.
[10] Cf. Nicolas-Théodore de Saussure, « La formation de l’acide carbonique est-elle essentielle à la végétation ? », Annales de Chimie, 24 (1797), p. 135-149 ; 227-228 et 336-337.
[11] Cf. Ernst Zürcher, en coll. avec Nadine Cantaloube, « De l’eau nouvelle en cascades – Un bilan paradoxal », Les arbres entre visible et invisible, p. 270-271.
[12] Cf. l’ouvrage réputé de Gerald Pollack, Cells, Gels and the Engines of Life, Seattle, Ebner & Sons, 2001.
[13] Ses études ont été regroupées dans l’ouvrage suivant : Gerald Pollack, The Fourth Phase of Water. Beyond Solid, Liquid and Vapor, Seattle, Ebner and Sons, 2013.
[14] Ernst Zürcher, Les arbres entre visible et invisible, p. 66.
[15] Ernst Zürcher, en coll. avec Nadine Cantaloube, « De l’eau nouvelle en cascades – Un bilan paradoxal », Les arbres entre visible et invisible, p. 271.