X-Men: Dark Phoenix, science-fiction de super-héros américain, écrit et réalisé par Simon Kinberg, 2019. Avec Sophie Turner, James McAvoy.
Thèmes
Blessure, intérieur-extérieur, loi de synchronisation.
Septième opus de la franchise X-Men, ce bon film d’action commence de manière prometteuse et s’achève de manière heureuse – mais peine à avancer dans une intrigue plus hasardeuse.
D’entrée de jeu, l’intrigue nous centre, au-delà des super-pouvoirs, sur la vie intérieure des personnages et, en cette vie, sur leur complexité où se conditionnent mutuellement fermeture involontaire (par blessure) et enfermement volontaire (par complicité fautive). Voici une petite fille de huit ans, aux pouvoirs impressionnants et incontrôlables, qui non seulement va causer l’accident mortel d’un de ses parents, mais en réchapper seule et indemne. Au sortir de son coma, sa réaction inquiète est inquiétante : « Que vais-je devenir ? ». En effet, nulle larme de tristesse ou de désespoir ne coule sur ce visage si lucide, qui anticipe déjà tragiquement toute sa vie : elle ne cessera de faire du mal à ceux qu’elle aime, et donc de répéter avec fatalité le traumatisme inaugural. Le sang ineffaçable qui macule son vêtement, lors de la rencontre avec Charles Xavier signe la voix accusatrice qui la hantera pendant toute l’histoire.
Voici ce père traumatisé jusqu’à l’indignité et, peut-être plus encore, acculé jusqu’à se sentir inapte à l’élever. A-t-il héroïquement sacrifié son désir de l’éduquer pour qu’elle puisse bénéficier de la meilleure école ? Ou a-t-il lâchement éloigné celle qui l’a fait souffrir en tuant acidentellement son épouse bien aimée pour ne plus souffrir ? Le résultat est le même : depuis la mort physique de sa femme et la mort symbolique de sa fille, il est mort au-dedans ; et, selon la loi de synchronisation, il appelle celle qui achèvera en son corps ce que la culpabilité et l’amertume ont déjà accompli en son âme.
Voilà enfin ce « docteur pas comme les autres », empathique jusqu’à être consolant (« Tu as des dons »), contenant jusqu’à lui donner d’espérer (« Vous pouvez me réparer. Non, parce que tu n’es pas cassée »), paternel sans être paternaliste (partant de la métaphore du stylo qui peut écrire ou crever un œil, il l’enfante à sa liberté : « Ce que tu fais de tout cela, c’est à toi de décider »). Mais, comme Jean, Charles est ambivalent. En voulant être son sauveur, il devient son sauveteur : il ment par omission en dissimulant la survie de son père ; plus encore, il entre par effraction dans son psychisme pour y élever des barrières contre le souvenir blessant qu’il croit orgueilleusement imperméables. Je me permets de dire en passant tout mon étonnement que l’omniscient Professeur X ignore la capacité qu’ont des techniques comme l’hypnose ou l’EMDR, de pouvoir effacer le traumatisme sans effacer le souvenir, bref, qu’il émarge à la conception freudienne de l’inconscient-poubelle plutôt qu’à la conception éricksonienne de l’inconscient-ressource.
Ce machiavélisme (la fin justifie les moyens ; la fin bonne justifie les moyens désordonnés), Charles l’étend à toute la maison : il veut réellement le bien de toute son école et, au-delà, de tous les mutants, c’est-à-dire leur coexistence pacifique avec les humains attestée par leur aide régulière dans des missions de sauvetage ; mais il le fait en prenant ouvertement trop de risques et secrètement en flattant son égo.
Le prix à payer est, pour les deux protagonistes principaux, l’isolement. Alors que les X-Men sont une famille, plus, alors qu’ils sont efficaces seulement lorsqu’ils sont unis, complémentaires et solidaires, Jean s’auto-exclut par compassion pour ne pas faire payer trop cher sa présence à ceux qui lui sont chers, et Charles par orgueil au sommet de la hiérarchie en se fermant aux conseils pertinents de Mystique. Malheureux les cœurs divisés, ils diviseront les cœurs… Cet auto-isolement produit deux effets effroyablement destructeurs : il vulnérabilise Jean qui devient la proie rêvée de Vuk, ce prédateur d’âme avant que de planètes ; il rapproche Charles de cette même Vuk, en une fascination mimétique dont René Girard nous a montré qu’elle prélude à l’emballement de la violence.
Au terme, l’affrontement contre les méchants, pour être très physique et très spectaculaire, n’est victorieux que parce qu’il est lui aussi, intérieur et beaucoup plus révolutionnaire. Le combat triomphant sera préparé par l’humble aveu de Charles dont la vérité s’atteste dans sa publicité : face à tous les X-Men incarcérés, il raconte la triste théorie des errements qui l’ont conduit à l’échec final. Et, en levant l’obstacle spirituel qui le clivait, il dévoile le mensonge qui les a poussés à s’entredévorer, leur permet de redevenir une communauté et redonne à ceux qui s’épuisaient dans leurs luttes intestines d’enfin s’unir efficacement contre leur véritable ennemi commun. S’arrachant à leurs biens singuliers, ils peuvent désormais poursuivre le bien commun.
Enfin réconcilié, Charles peut travailler à la réconciliation intime de Jean. Mais, pour cela, il doit d’abord réparer la violence faite à sa victime. Et puisqu’il a violemment fait intrusion en son psychisme, il permet à la jeune fille d’entrer dans le sien, pour qu’elle y découvre elle-même que le mal involontairement commis était sous-tendu par un bien qui, lui, était volontairement poursuivi : « Tu agissais par amour », découvre Jean. Reconnaissant la bonté de cette figure substitutive du père si douloureusement manquant, elle peut désormais rentrer dans sa propre identité de fille et de sœur. Sa famille intérieure reconstituée, elle peut coopérer avec sa famille extérieure opprimée, les X-Men. Pacifiée au dedans, elle peut devenir pacifique au dehors. Dorénavant, la victoire finale devient aussi simple que le long combat préparatoire était multiple et complexe. L’ultime échange de paroles entre les deux femmes résume la totalité de leur agonie (agonè, en grec, est synonyme de combat), qui fut d’abord un titanesque choc intime : « Tes émotions font de toi un être fragile, affirme la métamorphe avec mépris. – Mes émotions font ma force, rétorque Jean qui peut alors se transformer en sa super-identité ».
Telle est, en revanche, la grande leçon de la psychanalyse freudienne : ce qui est blessant dans la blessure n’est pas l’événement traumatique au-dehors, mais son retentissement au-dedans (et la manière dont le psychisme va s’en protéger, consentant à mourir à une partie de lui, la partie traumatisée, pour que le reste survive). Le chemin de guérison consistera donc en une réconciliation intime qui fera passer de la survie à la vie, par la rencontre de cette partie blessée et méprisée. Et le signe de l’intégrité recouvrée sera que la personne peut de nouveau ressentir ce que, par nécessité protectrice, elle s’était interdit d’éprouver – l’insupportable souffrance en moins. Autrement dit, être en vie, c’est de nouveau avoir envie.
Malheureusement, entre les deux extrêmes, l’histoire peine et s’essouffle – sans rien dire d’un casting inégal où, à côté d’un prestigieux quattuor, l’on a connu des X-Mens interprétés d’une manière plus inspirée. Les contraintes de la très moralisante industrie Disney interdisant d’aller jusqu’au bout de la malice manipulatrice de Vuk, laissent au spectateur un goût d’inachevé et transforment un affrontement qui promettait d’être riche en rebondissements et en complexité intime, en une longue série de combats, certes physiquement créatifs, mais narrativement sans réel suspense. Endgame – déjà en deuxième place du box-office mondial – a créé de multiples émotions que Dark Phoenix n’a su susciter…
Ainsi, l’adjectif du titre – Dark – n’a pas tenu ses promesses. Et si l’on salue le substantif, ce Phoenix qui renaît de ses cendres et virevolte, protecteur, dans notre ciel, on se réjouira de ce que cette saga, elle, ne renaisse point – et économise la traditionnelle attente de la scène post-générique.
Pascal Ide
En 1975, alors qu’elle est en voiture avec ses parents, Jean Grey, âgée de huit ans (Summer Fontana), utilise par inadvertance son pouvoir télékinétique. Il s’en suit un accident de voiture qui tue, croit-elle, son père et sa mère. Peu de temps après, le professeur Charles Xavier alias Le Professeur X (James McAvoy) l’emmène à son école pour mutants, où il bloque mentalement l’accident de ses souvenirs et l’aide à aiguiser ses capacités psychiques.
En 1992, neuf ans après la dévastation mondiale causée par En Sabah Nur alias Apocalypse, une navette spatiale Endeavour décolle dans l’espace, mais est gravement endommagée par une éruption solaire et envoie un signal de détresse. Le Président des États-Unis demande son aide à Charles Xavier. Jean Grey alias Le Phénix (Sophie Turner), accompagnant les X-Men Raven Darkholme alias Mystique (Jennifer Lawrence), Hank McCoy alias Le Fauve (Nicholas Hoult), Scott Summers alias Cyclope (Tye Sheridan), Ororo Munroe alias Tornade (Alexandra Shipp), Peter Maximoff alias Vif-Argent (Evan Peters) et Kurt Wagner alias Diablo (Kodi Smit-McPhee), montent à bord du X-jet et se rendent dans l’espace, où la navette tourne sans contrôle. Scott arrête le jet en détruisant un propulseur, alors que Vif-Argent et Diablo sauvent les astronautes. Toutefois, il en manque un. En le sauvant, Jean absorbe la lumière solaire dans son corps. Diablo ramène son corps dans Endeavour.
Bien que tous les X-Men soient rentrés saufs sur Terre, Mystique exprime à Charles Xavier sa désapprobation parce qu’il a mis inconsidérément leur vie en danger. Le Fauve ausculte Jean qui a survécu à l’accident et découvre alors que ses pouvoirs psychiques sont grandement amplifiés à la suite de l’explosion solaire. Une fête est organisée pour le succès de la mission, mais Jean perd le contrôle de ses pouvoirs et tombe inconsciente. Pour comprendre ce qui lui arrive, Charles Xavier, aidé de Fauve et Mystique, utilise le Cerebro et découvre que le blocage mental mis en place dans le cerveau de Jean est dissous. Plus encore, celle-ci entre dans l’esprit de Charles Xavier.
Jean qui a découvert que, en réalité, son père est en vie, désire le retrouver, dans sa ville natale, à Red Hook, près de New York. Jean retrouve son père, le Dr John Grey (Scott Shepherd) ; mais celui-ci, abîmé dans l’alcool et la tristesse, préfère l’oublier. Au dehors, Jean tombe sur Charles, Mystique et d’autres mutants venus la chercher. Charles lui explique qu’ils sont sa famille. Mais Jean ne veut pas écouter. S’en suit un affrontement où Jean perd le contrôle et, dans sa colère, tue accidentellement Mystique.
Jean s’enfuit et se rend sur l’île des réfugiés mutants d’Erik Lehnsherr alias Magnéto (Michael Fassbender), à Genosha, afin d’obtenir de l’aide pour contrôler ses pouvoirs. Mais Erik refuse tout en s’engageant dans un combat avec les forces armées des États-Unis, venues pour l’arrêter. Jean rencontre Vuk (Jessica Chastain), la chef de la race extraterrestre D’Bari, qui explique qu’elle est possédée par une force cosmique qui a anéanti leur planète natale il y a quelques années. Empathique à l’égard de Jean et admiratrice de sa force cosmique, elle réussit à la manipuler et la convaincre de s’associer à elle. La jeune fille continuera-t-elle à s’enfoncer dans son amertume et Vuk réussira-t-elle à absorber ses super-pouvoirs ?