Nevada
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Pays:
Américano-franco-belge
Thème (s):
Allégorie, Equithérapie, Guérison, Salut
Date de sortie:
19 juin 2019
Durée:
1 heures 36 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Laure De Clermont-Tonnerre
Acteurs:
Matthias Schoenaerts, Jason Mitchell, Bruce Dern
Age minimum:
Adolescents et adultes

Nevada (The Mustang), drame américano-franco-belge réalisé et co-écrit par Laure de Clermont-Tonnerre, 2019. Avec Matthias Schoenaerts, Jason Mitchell, Gideon Adlon, Connie Britton et Bruce Dern.

Thèmes

Guérison, salut, équithérapie, allégorie.

Le beau film de la comédienne et réalisatrice française est à la fois un exemple, un symbole et une allégorie.

 

Il se présente d’abord de la manière la plus patente comme un exemple d’équithérapie réussie. Si le fait est d’une évidence criante (le héros lui-même le formule : « Je ne suis plus le même »), en revanche, les facteurs curatifs sont plus latents et valent la peine au moins d’être égrenés, sans prétention à l’exhaustivité. Ils mettent en évidence les principes même de cette zoothérapie originale.

Du côté de l’homme, c’est-à-dire de l’être navré : l’obligation absolue de consentir à la règle et l’obéissance à l’altérité que le délinquant nie sous toutes ses formes – celle éthique de l’autre homme, celle juridique de la norme, celle ontologique du temps-patience.

Du côté de l’animal en général, donc du thérapeute malgré lui : l’absence de jugement, autrement dit la douceur ; la vérité sans fard ni filtre (il tend à l’autre le miroir de toutes ses violences, de toutes ses fuites et de tous ses mensonges ; dès lors chaque échec dans le dressage animal n’est que le reflet non déformé des échecs dans la discipline humaine).

Du côté du cheval en général : ce mammifère est une éponge affective qui entre en résonance avec chaque sentiment du cavalier. Ne peut faire corps avec sa monture que celui qui est connecté avec son corps. Toute dysharmonie extérieure avec la bête devient dès lors le révélateur d’une désunité intérieure.

Enfin, du côté de Marquis (l’américain prononce comme le féminin « Marquise », mais il s’agit bien d’un mâle et l’orthographe est masculine) en particulier, et c’est ce que nous allons désormais analyser.

 

Cette illustration presque didactique est loin d’épuiser la richesse de l’interaction entre l’homme et l’animal. Plus profondément, le film fonctionne comme un symbole, c’est-à-dire comme le signe visible d’une réalité inapparente.

Pourquoi Roman est-il attiré par Marquis ? Bien évidemment, parce que celui-ci est son double animal. Mais, plus encore, et l’homme ne le sait pas encore, parce qu’en domestiquant son mustang, il va dompter le cheval fou qui ne cesse de ruer-hurler en lui. Voilà pourquoi il est si profondément sigillé par l’histoire de ce Marquis qui, tenu par des rênes de soie, a pu n’avancer que de trois cent mètres en une heure : « Le cavalier a contrôlé sa force ».

Quelle leçon d’humanité ! Si Roman désire ainsi recontacter en lui cette douce patience (« Faut être patient, si tu veux réussir à le toucher »), c’est parce que la ressource pour l’acquérir n’a jamais été totalement perdue, mais est demeurée ensablée. « Les âmes ne se brisent jamais ». C’est ce que montre la bouleversante rencontre que Roman demande à sa fille Martha (Gideon Adlon) : la honte infinie d’avoir tué sa femme, puis détruit psychologiquement sa fille, l’a enfermé dans une telle culpabilité qu’il se croit désormais définitivement indigne de la compagnie des hommes (« Je ne suis pas bien avec les personnes », avoue Roman à la psy), voire qu’il se punit pour toujours de l’acte commis un jour.

C’est par le même processus symbolique et identificatoire que, au terme, Roman comprend, dans l’échec de la vente, que Marquis est demeuré indomptable et aspire à la liberté qui fait partie de son identité la plus profonde : le mustang est un animal sauvage. Or, en le rendant à la liberté des grands espaces, le détenu dit combien il a touché à sa liberté intérieure et donc peut répondre à la question que, au tout début, la psychologue lui posait : « J’essaie de savoir ce qui est important pour vous ».

Mais on ne saura jamais la raison de l’échec. Pourtant, les interprétations ne manquent pas : le temps orageux ; la perturbation introduite par l’hélicoptère ; l’absorption par Marquis de l’abyssale tristesse de Roman, abattu par l’absence de Martha ; l’attachement du mustang qui refuse d’être séparé de son compagnon ; une révolte de la nature sauvage qui se refuse à cette domestication (« Certains, on peut les dresser. Certains, on ne peut pas », expliquera Myles) ; etc. Cette dissémination polysémique introduit le dernier sens.

 

Et si, plus encore qu’un exemple ou un symbole, Nevada était une allégorie qui désigne autre chose (allos, en grec) et renvoie, en l’occurrence, à une transcendance.

Il vaut la peine de mesurer l’évolution de ce taiseux violent, asociable et impulsif. À la question de la psychologue : « Entre l’idée et le passage à l’acte [sous-entendu criminel], combien de temps y a-t-il ? », Coleman donne, de tous les prisonniers, la réponse la plus brève et la plus inquiétante : « Une fraction de seconde ». Au terme, il peut avouer à sa fille, en larmes : « Je ferai tout pour que tu me pardonnes. Je te le promets ». Entre les deux, son cheminement est ponctué de paroles de haute portée et de grande valeur qui sont autant de médiateurs de l’amour : « Merci », « S’il te plaît » [1].

Mais il n’y a pas de mots pour dire ce qui est peut-être l’acte le plus décisif et le plus nécessaire du don (de l’amour-don) : l’abandon. En effet, en son fond, la violence s’identifie au contrôle et l’hyperviolence à la toute-puissance de la toute-maîtrise. Or, l’histoire est, en effet, intégralement structurée à partir d’un triple évènement que Roman ne peut dominer.

Le premier est la tornade providentielle qui s’abat sur la prison et permet à Roman de montrer combien, au « trou », il a changé et le prouver de la manière la plus efficace et la plus symbolique : en passant le licol à son mustang.

Le deuxième survient dans la scène la plus émouvante du film. Alors que Roman a utilisé et usé tous les moyens, toutes les ruses pour apprivoiser le cheval qui, désespérément lui tourne le dos ; mais « Comment pourrait-il en être autrement ? », lui explique Henry (Jason Mitchell), son prisonnier-coach : il fut injustement et violemment frappé. Plus encore, il a épuisé toutes ses ressources intérieures de patience et de persévérance. Alors, de la manière la plus inattendue, mais la plus espérée, de la manière la plus imméritée et donc la plus donnée, Marquis s’approche de l’homme assis, rassis, rassasié d’amertume et d’impuissance, et se penche dans un geste d’inconcevable tendresse, de gratuite suavité, osons-le dire, d’inouïe miséricorde. Provoquant une émotion à la mesure même du don et, bientôt, de la communion. Le « touch » du cavalier qui est le signe de sa domination sur le cheval se retourne ici totalement dans le « touch » du cheval qui devient le symbole de la plus inconcevable des intimités et des complicités. Or, c’est lorsque l’homme a abandonné toute défense, donc a déposé toute arme, que l’animal désarmé peut enfin se laisser apprivoiser, dans tous les sens du terme.

Le troisième évènement arrive au terme : la réaction inanticipable de Marquis dont nous avons déjà parlé à deux reprises. Or, cette apparente catastrophe s’avère être une véritable bénédiction. Elle propose une solution totalement inédite au dilemme cornélien qui déchire l’âme de Roman. Ou retourner dans le monde une fois la peine purgée, mais courir le risque d’être à nouveau confronté à la bête homicide qui sommeillle en lui (« J’ai compris que tu n’avais pas envie de sortir », saisit enfin Martha) et l’a conduit à éliminer Dan (Josh Stewart) : si celui-ci est sans excuse, son justicier est sans état d’âme… Ou demeurer dans la prison et retourner en haine suicidaire le même fauve tapi dans les replis de cet inconscient violent.

La seule réponse consiste à transformer les murs extérieurs de la prison dans le lieu de sa liberté intérieure. Or, le chiffre de l’authentique libre-arbitre qui est un don est de se donner à son tour. Nous sommes donnés à nous-mêmes, pour donner de nous-même. Voilà pourquoi Marquis viendra une nuit saluer de loin son ami Roman. Voilà pourquoi surtout, celui-ci renouera en profondeur le lien avec Martha, sa fille, et Martin, son petit-fils. Voilà pourquoi enfin nous voyons fleurir sur son visage apaisé le sourire qu’Henry réclamait en souriant (« Ça te tuerait de sourire ? »).

Or, ces trois évènements ont ceci en commun qu’ils fructifient en cadeau gratuit seulement parce qu’ils sont accueillis comme donnés au terme d’une passivité éprouvante. Le chapelet autour du cou de Roman (le bien prénommé) n’interdit pas de filer la métaphore jusqu’à y lire la parabole du Don par excellence, à la fois immérité et tellement désiré, à la fois activité totale du donateur et réceptivité totale du bénéficiaire : la grâce.

 

Nous disions plus haut que l’homme était attiré par le plus « barjot » des chevaux. Et si Marquis avait choisi Roman avant que celui-ci ne le choisisse ? N’est-ce pas pour cela que le titre américain (inexplicablement perdu par sa traduction française) portait non pas sur le bénéficiaire, mais sur le donateur : The Mustang ? N’est-ce pas pour cela que, en inclusion et, chaque fois, dans une scène intemporelle, le film s’ouvre et s’achève sur lui ?

Pascal Ide

[1] Je me permets de renvoyer à Pascal Ide, Dix mots pour mieux s’aimer. Supplément de Famille chrétienne, 1747 (9 juillet 2011).

Des mustangs sauvages broutent l’herbe rare du Nevada. Soudain s’élève un bruit de rotor et apparaît un hélicoptère. Inquiétude du troupeau, puis panique. Les chevaux fuient sans se rendre compte qu’ils sont en fait dirigés vers des barrières et canalisés vers des hommes et des vans qui les conduiront à une prison, elle-même perdue en plein désert pour y être dressés par les détenus en vue de leur réinsertion sociale, puis vendus – non sans humour, le plus souvent à la police montée !

Dans cette prison, une psychothérapeute (Connie Britton) essaie de faire parler un détenu, Roman Coleman (Matthias Schoenaerts). Mais, quasi mutique et misanthrope, celui-ci n’exprime le désir ni de retrouver la liberté ni de vivre avec ses codétenus. Suite à la seule demande qu’il formule, il se retrouve à l’entretien à l’extérieur de la prison. Il est alors attiré par un box en bois d’où monte un vacarme à la violence impressionnante. Il s’approche et découvre un mustang qui ne cesse de ruer contre les planches. Mais, au moment où il veut rentrer, s’interpose un éleveur chargé du programme de réhabilitation grâce au dressage, Myles (Bruce Dern), qui lui dit que le cheval est dangereux et qu’il n’y a rien à faire avec lui…

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