Un désert où hurle le vent. Quelques carcasses de voitures. Un jeune garçon parle à un colosse. En fait, c’est un Cyborg (c’est-à-dire un composé de robot et de tissu humain), le héros de Terminator II: « Tu dois arrêter de tuer des hommes. – Je suis un Terminator. Je suis programmé pour tuer. – Non. Je t’ordonne de ne plus tuer. – Pourquoi ? » La réponse vient, embarrassée : « Parce que ça ne se fait pas. – Pourquoi ? reprend la voix métallique, coupante. » A bout d’arguments, le garçon répond : « Trust me ! Fais-moi confiance ! »
Notre monde est marqué par le soupçon et l’inquiétude qui naît du soupçon. Les trois maîtres du soupçon, Marx, Nietzsche et Freud règnent sur notre temps, que nous le voulions ou non. « Je voudrais vous aider. – Attention, c’est une manœuvre du pouvoir en place, explique le disciple de Marx. – C’est une recherche narcissique de sécurisation, renchérit le disciple de Freud. – Vous agissez comme un agneau par ce vous ne pouvez pas être un loup et vous maintenez les autres dans une mentalité d’esclave, vitupère le Zarathoustra de Nietzsche. »
Gardons-nous de l’illusion que la relation à Dieu serait immunisée contre ce soupçon. « Si vous croyez en Dieu, c’est parce que vous y trouvez la réponse à vos angoisses. Vous projetez en Dieu vos désirs d’idéal. Dieu, c’est l’homme en mal de raison de vivre. »
Que faire ? Le soupçon a-t-il raison ? Parfois, mais non pas toujours. Il n’y a qu’un seul remède contre le soupçon : la confiance. Et cette confiance est au cœur de toutes les relations vraiment humaines.
La fiancée dit à son fiancé : « Tu sais, je t’aime. » « Tiens, pense le fiancé, elle est bien gentille aujourd’hui. Que veut-elle me demander ? » Encore et toujours la violence du soupçon. Le fiancé à sa fiancée : « Prouve-moi que tu m’aimes. » Mais elle ne le pourra jamais. L’amour ne se démontre pas, il se montre. En parlant, celui qui aime révèle à l’autre son amour ; il lève le voile de son cœur et il ne peut le faire que s’il se sait déjà aimé. Il faut donc qu’un moment le raisonnement s’arrête et que commence confiance en la parole de l’autre. La certitude absolue n’existe pas : elle tuerait l’amour et enfermerait l’autre. Seule la confiance arrête le vertige mortel du soupçon et permet à la liberté de s’engager.
De même, la foi en Dieu n’est pas d’abord l’acquisition de quelque connaissance supplémentaire sur Dieu. La foi en Dieu est d’abord une relation de confiance de personne à personne. Dieu n’est pas un problème, c’est un mystère. Or, mystère vient d’un mot grec qui signifie « se taire ». Le conjoint commence à faire confiance quand il accepte de ne plus toujours donner raison à sa raison. Non pas pour l’humilier, mais pour l’inviter à la contemplation. La foi commence là où ma raison accepte de se mettre à genoux devant la Parole de Dieu qui se révèle à moi. C’est seulement dans la confiance que la raison ne rime plus avec soupçon, mais avec contemplation.
Mais la confiance n’est-elle pas un saut dans l’absurde ? Pourquoi faire confiance ? Une parabole vaut souvent mieux qu’un long raisonnement. Il y a quelques années, sortait en France un autre grand succès du cinéma : Indiana Jones et la dernière croisade (le troisième épisode de la série). A la fin, Indiana-Harrison Ford part chercher la coupe du saint Graal, et cela pour sauver son père (Sean Connery) d’une mort imminente. Il doit résoudre trois énigmes qui sont autant d’obstacles où il risque sa vie. Indiana arrive au pied d’un précipice infranchissable. Le papier dit : « Avance ton pied. » Sans autre indication. Que faire ? Indi aime son père, il espère le sauver. Le front perlé de sueur, Indiana avance le pied. Il perd l’équilibre et tombe en avant, dans le vide. Mais au moment où il bascule, brusquement son pied heurte une passerelle de pierre enjambant le précipice qu’un effet de perspective avait rendue invisible. Indi a-t-il fait un saut dans l’absurde ? Il a plutôt fait un pas dans la confiance. Il a fait confiance à la parole inscrite sur le papier ; et son amour a vaincu le soupçon.
« L’amour supporte tout, il fait confiance », disait Saint Paul. (I Co 13, 4-7)
Pascal Ide