L’Amour flou, comédie française de Romane Bohringer et Philippe Rebbot, 2018. Avec Romane Bohringer, Philippe Rebbot.
Thèmes
Amour.
Rarement titre fut plus adéquat !
Le flou concerne d’abord le contour, c’est-à-dire l’existence même de l’amour. Romane et Philippe ne s’aiment plus assez pour demeurer ensemble, mais ils s’aiment trop pour ne plus se voir du tout. Ils ne se chérissent pas assez pour vivre au plus près ; mais ils sont trop attachés pour s’éloigner l’un de l’autre. D’où la créative invention du « sépartement ».
Le flou touche aussi les règles du quotidien. Certes, l’amour-passion se rêve par-delà le bien et le mal, mais la réalité de la relation rappelle bien vite que le « Je » et le « Tu » se rejoignent sur un fond de « Il », c’est-à-dire sur un horizon d’objectivité, donc d’universalité. La raison réside dans la finalité même de l’amour : il est « puissance unitive », disait, au 6e siècle, le Pseudo-Denys. Si l’amour est si désirable, c’est qu’il unit ce qui est différent. Or, la communion requiert la commun-ication, c’est-à-dire la transmission d’un bien qui devient commun. Voilà pourquoi l’amour n’existe que sur fond d’universel – ce que rappelle son étymologie : unum versus multa, « un tourné vers plusieurs »). Pourtant, à chaque fois, la dispute naît de l’incapacité à trouver et appliquer la norme commune. Emblématique est, de ce point de vue, la dispute sur le sens du mot « sas » pour désigner la pièce commune aux deux appartements. Certes, elle devient un prétexte pour cristalliser toutes les rancœurs accumulées. Mais elle atteste aussi qu’un couple ne peut vivre qu’en partageant un même vocabulaire. Il en est de même de l’instauration d’un règlement commun (par exemple, pour alterner les dîners), voire les normes communes (« L’éducation n’est pas la séduction »), qui sont aussi nécessaires à l’entente que l’affirmation singulière des personnes.
Le flou gagne encore les normes éthiques qui régissent l’amour. De ce point de vue, le film est un triste festival de tous les laxismes contemporains : trouble dans le sexe (plus que dans le genre), flou dans l’orientation, flou dans la différence de générations (le père de Philippe se comporte comme un grand adolescent). Or, là encore, la vie en sait plus que l’idéal auto-proclamé de l’amour romantique. Celui-ci se rêve érotique sans éthique ni ascétique. Pourtant, la jalousie que Philippe éprouve montre combien est coûteuse l’infidélité et déshumanisante la polygamie successive. Plus généralement, peut-on imaginer une relation durable construite sur le mensonge, la violence, la trahison ?
Voire, le film est lui-même flou sur les convictions qu’il véhicule : autant il est tristement laxiste, autant il réintroduit subrepticement l’« idéologie » la plus genrée en nous faisant entrer – de manière hilarante, d’ailleurs – dans les fantasmes des deux protagonistes : plus physique chez l’homme, plus romantique chez la femme.
Enfin, et c’est le plus grave, le flou concerne l’essence même de l’amour. Au fond, qu’est-ce que l’amour qui remplit le titre, sature les conversations des protagonistes, que Romane recherche de tout son corps, et Philippe à son corps défendant ? Cet amour est purement et simplement identifié à la passion, donc un élan affectif, voire sexuel. Bref, aimer, c’est être amoureux. À aucun moment n’affleure le soupçon qu’aimer ne soit pas seulement une passion, mais une action : « vouloir le bien de l’autre ». Peut-on avoir passé la moitié de sa vie sans avoir découvert que le secret de l’amour – et sa plus grande joie – réside dans le don de soi ?
Une grande compassion me saisit pour notre génération qui, à raison, recherche toujours l’amour fou et, par manque de raison, n’étreint qu’un amour flou.
Pascal Ide
Romane (Romane Bohringer), 43 ans, et Philippe (Philippe Rebbot), 53 ans, se séparent. Après 10 ans de vie commune, deux enfants, Rose (Rose Rebbot-Bohringer) et Raoul (Raoul Rebbot-Bohringer), et un chien, Lady, ils ne s’aiment plus. Enfin… ils ne sont plus amoureux. Mais ils s’aiment quand même. Beaucoup. Trop pour se séparer vraiment ? Bref… C’est flou. Alors, sous le regard circonspect de leur entourage, ils accouchent ensemble d’un « sépartement » : deux appartements séparés, communiquant par la chambre de leurs enfants. Peut-on se séparer ensemble ? Peut-on refaire sa vie, sans la défaire ?